7 – Des lumières et de la grande noirceur

L’eau d’érable, le Bon Sauvage et le Siècle des Lumières

Les Amériques ont eu de multiples impacts sur le vieux continent en plus d’y introduire de nouveaux aliments.  Simplement au niveau du sport, les Amérindiens pratiquent des sports d’équipe, contrairement aux Européens qui pratiquent des sports individuels.  En Europe, la performance sportive relève de l’individu.  La personne doit être meilleure que son adversaire au combat, à la course ou au lancer.  En Amérique, les communautés pratiquent les sports de balle faisant appel à une équipe.  Le monde du sport amérindien est plus égalitaire, plus intégrateur, moins élitiste. Certains avancent que la fédération des nations iroquoises a inspiré le fédéralisme en Amérique.[1]

Plusieurs des idées influençant la philosophie du Siècle des Lumières ont pour origine le nouveau continent, principalement en ce qui a trait à l’égalité et la liberté individuelle. À l’image du savoir-faire acquis pour l’exploitation de l’eau d’érable, les relations cordiales des colons français avec les autochtones ont conduit également à l’intégration de leur savoir-vivre.  Les Canadiens d’origine seront les principaux vecteurs de transmission des connaissances, tant techniques que philosophiques, entre Européens et Amérindiens.

L’épopée de la traite des fourrures entraîne les Français dans l’univers diversifié des cultures amérindiennes.  Dans ce monde en effervescence aux identités fluides, les voyageurs transportant des marchandises et trimballant des cultures constituent les vecteurs de changement : « Bien qu’ils aient précédé les vagues de colons européens, et que leurs activités dans la traite aient frayé le chemin au processus de colonisation et inauguré la longue histoire des conséquences dramatiques des relations entre les Amérindiens et les euroAméricains, les voyageurs ne correspondent pas au schéma habituel du contact. »[2] Les contacts avec les colons francophones d’Amérique ont pour socle le traité de la Grande Alliance. Les coureurs des bois voyageant à travers le continent sont l’exemple par excellence d’hommes libres personnifiant le rêve de Champlain en s’ouvrant aux sociétés autochtones. En mariant les femmes autochtones dans les territoires reculés, ils contribuent à l’intégration mutuelle des cultures et des connaissances pour la création d’une société nouvelle.

Les femmes autochtones jouent un rôle fondamental dans l’établissement de bonnes relations, la transmission de connaissances et la constitution des réseaux de commerce : « Elles enseignaient leur langue aux traiteurs européens et aux voyageurs de l’intérieur. Elles transmettaient également les informations entre les groupes autochtones et les traiteurs et rapportaient souvent les faits et gestes et les intentions des divers groupes amérindiens pour aider les euroAméricains à planifier la traite. » L’histoire n’a pas été tendre pour ses fougueuses femmes, le terme squaw n’honore plus ces personnes légendaires.  Le terme Squaw a pris une forme péjorative en regard du standard culturel chrétien : « L’image de la « princesse indienne » a fait place à celle de la « squaw » aux mœurs légères, situation qui rend les femmes autochtones vulnérables à la violence et aux mauvais traitements. »[3]  À l’époque, les femmes autochtones heurtent les standards européens patriarcaux, car elles ne jouent pas un rôle de figurante comme dans les cours européennes de l’époque : « Elles incitaient souvent leurs maris à déserter du service pour se faire gens libres ou pour vivre avec leurs familles autochtones. »[4]  L’esprit de liberté autochtone fut transmis par les femmes aux coureurs des bois, mais l’obscurantisme des missionnaires au service des élites européennes les a déshonorées pour faire triompher un monde patriarcal.

Le rôle des femmes dans la société autochtone est beaucoup plus important que dans la société européenne de l’époque. « En raison de leur importance économique et diplomatique, les Amérindiennes avaient la possibilité d’exercer un contrôle sur la carrière de leurs maris voyageurs dans la traite des fourrures. »[5] Les femmes autochtones jouissent d’une grande liberté sexuelle, ce qui peut affecter la pérennité d’un engagement avec une autre personne. « Le sexe n’était pas confiné au mariage, et bien que les pratiques sexuelles y aient aussi eu des limites, elles n’étaient pas aussi fortement régulées que dans les communautés catholiques françaises. »[6] Les femmes étaient libres de contracter mariage ou de divorcer.  Cette culture de grande liberté sexuelle favorise une société plus fluide permettant l’échange d’idées et l’intégration de nouveaux concepts.  Paradoxalement, bien que les tolérantes squaws s’ouvrirent aux coureurs des bois, ce sont les intolérants missionnaires catholiques qui racontaient leurs aventures. Squaw signifie femme mariée en Algonquin, en les présentant comme des femmes de petites vertus, le rôle social majeur de ces femmes fut dénigré par les missionnaires défenseurs du patriarcat.

Le contact bienveillant entre les Européens et les Amérindiens résulte d’un trait caractéristique des cultures autochtones. Bien que les Européens s’imposent en Amérique par leur technologie plus avancée, la bienveillance autochtone permit une plus grande fluidité dans l’échange d’idées qui à terme auront un impact sur les sociétés européennes. Les idées ne nécessitent point de technologie, elles n’ont besoin que de vecteur de transmission que la Nouvelle-France pourvoira par son approche colonisatrice.  « Non seulement les peuples amérindiens avaient-ils rendu possible la traite des fourrures, mais ils avaient également influencé culturellement les euroAméricains vivant dans l’intérieur du nord de l’Amérique. »[7]  En 1608, la fondation de Québec, situé à plus de 500 km à l’intérieur du continent, fait de la Nouvelle-France la colonie en Amérique la plus influencée par les échanges culturels avec les autochtones. Les postes de traite subséquents s’enfonceront toujours plus dans le continent. Dans ce contexte, la vision d’un autre monde devient une réalité pour les habitants de Nouvelle-France.

Les missionnaires catholiques sont témoins d’un monde en mouvance qu’ils désirent voir christianiser.  En accompagnant les coureurs des bois dans les expéditions au cœur des sociétés autochtones, ils témoignent nos seulement de la vie des communautés traditionnelles, mais également de la nouvelle vie de liberté que le monde de la traite de la fourrure procure.  « Les voyageurs représentent le temps du possible, lorsque le schéma de colonisation n’était pas encore inévitable et inexorable. »[8] En tirant parti du meilleur des deux mondes, les coureurs des bois représentent l’esprit américain de liberté. Et bien que les missionnaires rapportent une version filtrée des cultures autochtones, ils démontrent qu’un autre monde est possible.  Ces nouveaux concepts de liberté inspirent les philosophes européens de l’époque des Lumières.

Dès le début de leur mission, les Jésuites remarquent les Hurons assis en cercle pour tenir conseil.  Ils prennent la parole à tour de rôle et discutent en fonction des arguments de chacun. Les décisions se prennent suite à de longues discussions où tous peuvent prendre la parole. Ce mode de fonctionnement politique des Hurons démontre qu’en dehors de la monarchie, la république est possible, tout comme le droit au bonheur. À l’époque le dogme justifiant le système politique en Europe repose sur la croyance que sans la monarchie, l’anarchie règne. Pour l’historien Denys Delâge, les grands thèmes modernes de la liberté, de la république et du droit au bonheur se développent dans l’interaction avec les autochtones et les discours à leur sujet.[9] Le père Charlevoix, un homme érudit qui explora la Nouvelle-France, est considéré comme le premier historien de cette saga par son manuscrit publié en 1744 : Histoire et description générale de la Nouvelle-France avec le journal historique d’un Voyage fait par ordre du Roi dans l’Amérique Septentrionale.[10]  De retour en France, il poursuivit sa carrière d’enseignant et un de ses élèves fut Jean-Jacques Rousseau à qui l’on doit l’idée du Bon Sauvage : une idée maîtresse de cette époque des Lumières qui changera la philosophie des gens en rapport à leur pouvoir sur leur destinée. « L’auteur du Discours sur l’origine de l’inégalité et de ce traité de pédagogie nouvelle qu’était L’Émile s’est donc abreuvé au savoir de son maître marqué par ses expériences américaines. »[11] Le père Charlevoix a fait connaître ce qui anime ces Français qui se transforment en Canadiens d’origine en vivant parmi les nations amérindiennes. Les coureurs des bois, bien qu’étant polyglottes étaient souvent illettrés, laissant à des gens comme le père Charlevoix et autre missionnaire le soin de se faire les reporters des idéaux que chérissent les Canadiens d’origine.

Manuscrit de Pierre-François-Xavier de Charlevoix

Source : https://books.openedition.org/pum/docannexe/image/6816/img-1.jpg

L’idée de Rousseau que l’humain naît naturellement bon et que c’est la société qui le corrompt part du concept du bon sauvage.  Les gens de l’époque considèrent sauvage ce qui n’est pas altéré par la main humaine.  Ainsi, les autochtones vivant en forêt sont considérés comme des sauvages, car aucune structure permanente construite par les Amérindiens n’existe. Ils vivent en harmonie avec la nature dans le respect des forces et faiblesses de chacun de ses éléments. La conception autochtone pour mesurer la valeur d’une personne en fonction de ses réalisations, et non pas en fonction de sa lignée familiale, découle d’une vision de la vie acceptant la nature comme elle se présente, tant pour les humains que pour leur environnement.

Le Siècle des Lumières a été celui du triomphe de la France : le français est la langue des têtes couronnées d’Europe, de la philosophie des élites et du commerce sur la majeure partie de l’Amérique du Nord.  Au crépuscule du Roi Soleil, ce phare du monde oriente l’avenir de la planète.  L’intense siècle des Lumières va de la mort de Louis XIV en 1715 à la Révolution française de 1789.  Ce siècle pose les balises d’un monde nouveau en émergence bouleversé par les grandes découvertes tant géographiques que scientifiques. Et la philosophie de la vie est influencée par les échos du père Charlevoix et des autres missionnaires contribuant aux Relations des Jésuites qui racontent la vie en Nouvelle-France.  « Source ethnographique et documentaire sans égale, les Relations des Jésuites sont dévorées par de nombreux lecteurs du XVIIIe siècle, tout comme les œuvres de Cartier et Champlain : c’est une littérature de voyage passionnante. » [12] Dans le contexte historique de cette Europe francophile s’ouvrant sur le monde, l’accès aux savoirs, facilité par l’imprimerie, permet aux nouveaux idéaux d’être diffusés plus largement. En plus de celle de Jean-Jacques Rousseau, il est difficile de mesurer l’influence des écrits de la Nouvelle-France sur des personnalités marquantes de l’époque, comme Voltaire, Lavoisier, Goethe, Benjamin Franklin, qui demeurent des références littéraires pour comprendre la constitution du monde d’aujourd’hui. [13]

À cette époque, le commerce international stimule la production de biens par des particuliers entraînant l’accumulation de richesses privées. Le partage des connaissances favorise l’émergence de la Révolution industrielle grâce au développement de technologies manufacturières pour la production de biens utilitaires de base : clou, hache, couteau, chaudron ou perle de porcelaine. L’accumulation de richesses qu’a entraînée la découverte du Nouveau Monde par l’apport de nouvelles matières premières et de nouveaux types de produits favorise l’émergence de la société moderne européenne. La bourgeoisie naissante épouse les nouveaux idéaux de liberté sociale, reprenant la façon autochtone de mesurer la valeur d’une personne en fonction de ses réalisations. La bourgeoisie marchande bouleverse les institutions monarchiques.

Les révolutions démocratiques en Occident représentent la prise d’un pouvoir étatique par la bourgeoisie marchande. Elle vise à mieux protéger l’acquis des marchands par des institutions non soumises à l’arbitraire d’un Roi.  Par la suite, l’élite marchande détentrice du pouvoir politique oriente les gouvernements vers la conquête des marchés.  Le développement d’un grand empire colonial permet une meilleure exploitation des ressources d’un vaste territoire par les entreprises d’un État protégeant ce marché. La complicité entre l’État et les entreprises est nécessaire à la protection du marché, tant pour la sécurité des transactions que pour le maintien des termes de l’échange. Aux États-Unis, la religion vient en soutien à l’État en imposant son dogme pour contrecarrer toute remise en question du système par les masses populaires et pour justifier la conquête civilisatrice de l’Ouest.  De façon sommaire, le conseil des marchands-bourgeois remplace les rois en Occident.

Le commerce entraîne l’échange d’idées, comme celle du droit au bonheur. L’idéologie capitaliste commercialisera l’idée même du droit au bonheur. L’affinement des connaissances par l’acquisition de nouvelles technologies et de savoir-faire sur la production, la distribution, la vente et surtout le marketing conduit au développement de vastes empires financiers réclamant plus de ressource pour maintenir leur croissance. L’amélioration des techniques conduit à l’abondance des biens de consommation due à la surcapacité de production des manufactures.

L’industrie du sucre blanc illustre la vente du bonheur à bas prix. Elle démontre également la rentabilisation des investissements par la surexploitation de l’humain et de son environnement grâce à des méthodes scientifiquement éprouvées. L’industrie du sucre commercialise le droit au bonheur en nous vendant des sucreries ou de boissons gazeuses sucrées conduisant à la dépendance : les boissons sucrées ne désaltèrent pas, elles donnent soif. Aujourd’hui, les conseillers financiers et les lobbyistes influencent les gouvernements pour maintenir la croissance d’empires commerciaux reposant sur une vision de la liberté et du bonheur liée à ce type de système de consommation. Au Québec, le maintien de la consommation de sucre d’érable jusque dans les années 1930 permit de conserver une certaine liberté envers le système de consommation mondialiste. La récolte de l’eau d’érable agrémentée des célébrations à la Cabane à sucre permet aux Québécois de commémorer dans la joie cet esprit de liberté à la source de la quête du bonheur de l’époque des Lumières.


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[1] L.Côté, L.Tardivel, D.Vaugeois, « L’indien généreux, ce que le monde doit aux Amériques » Ed. Boréal, 1992
[2] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université́ Laval, 2009, p. 298
[3] https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/questions-relatives-aux-femmes-autochtones en ligne 12 novembre 2020
[4] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université́ Laval, 2009, p. 268
[5] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université́ Laval, 2009, p. 268
[6] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université́ Laval, 2009, p. 253
[7] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université́ Laval, 2009, p. 60
[8] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université́ Laval, 2009, p. 299
[9] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
[10] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p167
[11] Delâge, Denys, L'influence des Amérindiens sur les Canadiens et les Français au temps de la Nouvelle-France, Revue Lekton, vol. 2, no 2, Automne 1992, pp. 102-191 http://classiques.uqac.ca/contemporains/delage_denys/influence_amerindiens/influence_amerindiens_texte.html#influence_amerindiens_IEn ligne 30 juin 2020
[12] https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/relations-des-jesuites En ligne 30 juin 2020
[13] http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HIST_FR_s7_Lumieres.htm  En ligne 30 juin 2020


© Bastien Guérard, 2021

La pensée scientifique au service de l’érablière

Le savoir a évolué depuis l’invention de la hache de pierre pour répondre aux nouvelles réalités que le progrès engendre. Comme la création d’un mode de vie sédentaire demande l’adoption de la hache en fer pour entailler l’érable au printemps afin de préserver l’arbre pour la saison suivante. L’industrie de l’érable à sucre illustre bien l’impact de nouvelles technologies sur un processus de normalisation d’une exploitation traditionnelle. L’usage du chalumeau de fer et du sceau de métal pour prélever la sève ont contribué au raffinement de la récolte de l’eau d’érable.  Tout comme l’arrivée d’érablières avec fourneau spécialisé pour l’évaporation de l’eau d’érable au printemps permet le perfectionnement de la production. Toutefois, pour assurer son succès, toute entreprise doit développer un produit standard que les consommateurs achètent pour sa qualité et sa fiabilité.  La fiabilité d’un produit favorise la fidélisation de la clientèle.  Pour obtenir un produit standardisé à partir d’eau d’érable, la mesure de la température pour le bouilleur de sève d’érable devient essentielle.  L’introduction du thermomètre à degrés dans l’érablière permet la standardisation de la production des bouilleurs d’eau d’érable. L’arrivée du thermomètre remplace le rameau béni à suspendre au-dessus de la bouilleuse pour prévenir les débordements.[1] En contrôlant la température du fourneau, les bouilleurs d’eau d’érable évitent les débordements du liquide, tout en standardisant la qualité du produit fini. Ainsi, le sirop d’érable s’obtient à 104 C, le sucre granulé à 123,3 C ; à des températures intermédiaires, on obtient la tire sur la neige à 110 C ou les bonbons de sucre à 115,5 C.

Température d’obtention des produits de l’érable

Source : https://www.lafermemartinette.com/technologie-de-la-transformation-du-sirop-derable/

En plus d’améliorer les moyens de production, la pensée scientifique permet de se libérer de la pensée religieuse omniprésente à l’époque. Toutefois, la remise en question des dogmes contribuant au maintien de l’ordre social est un travail herculéen délicat. Dans son ouvrage, Galilée se demande si la Terre tourne autour du Soleil, sans toutefois l’affirmer pour ne pas contredire le dogme de l’Église.  En 1616, Galilée se retrouve au Vatican pour défendre une théorie selon laquelle la Terre n’est pas le centre de l’Univers. Grâce à la lunette d’approche, inventée par l’opticien hollandais Hans Lippershey en 1608[2], Galilée fait des observations astronomiques révolutionnaires. Ainsi, ses observations sur les phénomènes célestes démontrent une réalité contraire aux écrits bibliques. Galilée révolutionne la science et la recherche; l’Église ne peut pas contredire un fait révélé par une expérience reproductible qui le confirme de façon répétée. Galilée démontre le bon usage de la pensée scientifique dans la société occidentale.

La méthode scientifique tire son origine du scepticisme des philosophes grecs de l’antiquité face à la médecine. On redécouvert cette méthode au Moyen Âge lors de l’étude de ses philosophes, ainsi que de nouveaux philosophes comme Avicenne et Averoès, à la suite des Croisades au Moyen-Orient.  À l’instar des Juifs, les Musulmans ont su préserver les connaissances ancestrales héritées de l’antiquité grecque et romaine. De plus, l’Islam bâtit sa puissance en rassemblant des ouvrages philosophiques et scientifiques provenant de tous les horizons.  Les ouvrages sont traduits en arabe pour donner accès au savoir à ce monde musulman en expansion.  D’où l’erreur de nommer les chiffres, nouveaux à l’époque, de chiffres arabes, bien que les chiffres nous viennent de l’Inde.

Dans les Cités-États comme Venise, le remplacement des chiffres romains par les chiffres arabes facilite les calculs des intérêts dans un monde capitaliste en émergence.  Le raffinement des mathématiques dans le monde arabe est la conséquence d’une grande innovation de l’Islam : cette religion accorde le tiers d’un héritage aux filles. Grâce aux mondes musulmans, l’algèbre et les algorithmes font leur apparition pour calculer les héritages.  En Occident, ce raffinement des mathématiques accompagne l’usage de méthode scientifique pour évaluer la rentabilité des actions des marchands.

La méthode scientifique est simple et efficace pour établir, en cinq étapes à partir de théories, une loi dont l’application sera universelle :
1. observation d’un phénomène,
2. formulation d’une hypothèse,
3. prévision d’événements en fonction de la théorie issue de l’hypothèse,
4. vérification par expérience,
5. conclusion par un l’établissement d’une théorie ou d’une loi.

La répétition des résultats d’une même expérience démontre la validité de l’hypothèse faisant de celle-ci une théorie ou une loi. Au début, cette méthode s’applique à la médecine pour définir les meilleurs moyens de procéder pour maintenir la santé des gens. Par la suite, l’application de la méthode a permis l’étude de tous les phénomènes pour en tirer des lois universelles.  Un monde reposant sur des bases scientifiques profite à la santé, à l’agriculture, au commerce et aux développements des technologies. L’humanité profite encore de l’avancée des connaissances dans ces domaines.

En mettant à l’index les connaissances ancestrales en santé ou dans d’autres domaines transmis par tradition orale ou écrite, l’Inquisition a favorisé le développement de la pensée scientifique dans la société européenne. La rigidité de l’Inquisition réclame que toute méthode non prouvée scientifiquement soit considérée comme étant de la sorcellerie ou du charlatanisme. Une situation qui incite la science à offrir une nouvelle source de vérité face au dogme religieux.  La méthode scientifique s’impose pour contrecarrer la rigidité de la pensée religieuse dans la société. L’Inquisition en voulant imposer son dogme religieux a produit une réaction inverse.

La science représente un refuge pour la liberté de pensée dans une époque soumise aux dictats religieux.  Elle permet le développement de nouveaux modes de vie échappant à l’imposition de la pensée religieuse.  L’autorité de l’Église catholique est à son apogée au Moyen Âge.  Elle contrôle la pensée des masses populaires en imposant son dogme religieux immuable : votre misère vous garantit votre salut éternel.  Une façon de contrôler les masses populaires sous-développées et maintenues dans l’ignorance par une pensée religieuse au service de l’élite.

Les Réformes religieuses lancées par Luther dans le nord de l’Europe enclenchent la mise en place d’une pensée protestante remettant en cause les dogmes religieux traditionnels. Chez les protestants, l’étude de la Bible sert, entre autres, à justifier l’acquisition de richesses personnelles. La Réforme protestante arrête le drainage vers Rome des richesses d’une grande partie de l’Europe.  La philosophie de la Réforme se répand dans des régions où vivent, entre autres, les descendants des Vikings. Les Vikings s’étaient christianisés pour intégrer au vaste marché chrétien leurs comptoirs de commerce devenus cités à travers l’Europe. Ils ne s’étaient pas christianisés au profit de Rome.

Cette émancipation du dogme religieux catholique profite aux Hollandais, qui comptent déjà plusieurs propriétaires libres ayant conquis leur terrain à partir de la mer. Les Hollandais, en investissant judicieusement l’argent dans la connaissance et la recherche pour répondre à leurs besoins de mercantiles, deviennent maîtres du commerce en Europe à l’aube de la colonisation de l’Amérique. Les Pays-Bas démontrent bien les possibilités qu’offre un meilleur contrôle de son environnement et de ses institutions, car bien qu’étant un petit pays, son efficacité en fit une puissance commerciale redoutable. L’accumulation de richesses localement offre la possibilité d’investir dans la recherche pour répondre à de nouvelles ambitions commerciales.

Les connaissances acquises permettent de mieux utiliser les ressources disponibles grâce à l’application des technologies développées.  La science nous permet de mieux comprendre notre environnement pour en retirer le meilleur à l’aide de nouvelles techniques. Les Hollandais ont bien compris l’importance du savoir lors de la réforme protestante en réorientant plusieurs institutions religieuses vers l’éducation. La dynamique qu’engendre l’investissement dans les connaissances et l’avantage systémique s’illustre dans la ville de Middelburg. En 1595, quelques années avant l’invention de la lunette d’approche dans la même ville, le lunetier hollandais, Zacharias Janssen, invente le microscope.[3] La lunette d’approche, le télescope ou le microscope permettent l’étude de l’infiniment grand comme de l’infiniment petit. Elles conduiront à des découvertes qui modifieront notre conception du monde.

Le développement du savoir permet l’acquisition de nouvelles technologies plus spécialisées répondant à de nouveaux besoins découlant de l’acquisition des dernières technologies.  L’évolution humaine basée sur l’acquisition de connaissances accélère un cercle vicieux : en modifiant sans cesse son environnement par ses innovations technologiques, les humains doivent constamment se réadapter. La Révolution industrielle marque un changement du rapport de l’humanité à la nature qui l’a bercée depuis la nuit des temps.  Avant la révolution industrielle, les humains subissaient les aléas de la nature; avec les avancées technologiques, les humains maîtrisent de plus en plus son environnement. Aujourd’hui, la nature exploitée au maximum subit les aléas de l’activité économique capitaliste qui en abuse.

La maitrise technologique de l’environnement demande un certain équilibre entre l’impact des activités d’exploitation et les capacités de régénérescence de la nature. L’exploitation à grande échelle de l’eau d’érable serait impossible en utilisant l’ancienne technique amérindienne qui consistait à fendre l’arbre avec une hache de pierre. Certains jugeront que du point de vue éthique, la bienveillance autochtone envers les arbres semble absente, mais il faut comprendre qu’ils ne connaissaient rien de mieux. Éventuellement, les gens jugeront notre époque en fonction de l’usage abusif des énergies fossiles.  Comme pour l’érable à sucre, les activités humaines d’exploitation de la nature doivent trouver un juste équilibre pour une exploitation pérenne de la ressource.

Le développement de la méthode scientifique permet la reproduction d’un phénomène spécifique. En s’assurant de la constance des résultats d’une activité, il est plus facile de vaincre le scepticisme des investisseurs pour le financement de projets d’envergure.  La prévisibilité de reproduction d’un phénomène est idéale pour calculer le profit sur un investissement. La méthode scientifique permet l’acquisition de techniques de production fiables et efficaces soutenant le développement de l’industrie et du commerce. En mettant dans un cadre mathématique des phénomènes physiques ou même sociaux, les spécialistes du domaine de l’investissement favorisent l’émergence du modèle capitalisme de développement basé sur la consommation.  Le capitaliste vise pour l’argent investi, le maintien de la valeur investie et l’accumulation de profits sur une base annuelle.

De nos jours, la production de sirop d’érable et d’autres produits de l’érable utilise les dernières technologies informatiques pour tirer le maximum de la sève d’une érablière en fonction de la température printanière dans une optique de préservation de la ressource.  Les connaissances acquises et les nouvelles technologies offrent des prédictions plus fiables que l’adage : « S’il fait un temps sombre le jour de la fête de Saint Mathias, le printemps sera tôt et la sève abondante. » [4] Comme dans bien des domaines, la science a supplanté le calendrier religieux ou les traditions ancestrales pour planifier la production du temps des sucres.  Aujourd’hui, la science démontre parfois que des traditions ancestrales avaient une raison d’être, et d’autres fois les traditions nous apprennent que la science ne connait pas tous les secrets de la nature.

À travers le temps, la science a découvert une multitude de phénomènes à étudier comme la chimie, la biologie, l’électricité, la mécanique, le nucléaire et le comportement humain.  Toutes ces disciplines reposent sur un socle commun, à savoir les mathématiques qui régissent l’univers.  Nous pouvons tout mettre dans un cadre mathématique.  L’ordinateur introduisant la réalité virtuelle illustre admirablement ce phénomène.  Aujourd’hui, le monde de la finance, par des algorithmes mathématiques, décide du destin du monde en fonction de la froide rentabilité d’un système exploitant nos faiblesses dans un cadre environnemental détaché de la nature.

Au niveau social l’humanité a fait des progrès, en remettant en question l’accumulation de la richesse par une élite ne sachant en profiter que pour maintenir son pouvoir en orientant les choix économiques de la société. Pour contrecarrer les revendications sociales, nous assistons à un retour du religieux opposant sa morale à la science du climat.  Par la méthode scientifique, Darwin démontra que le monde n’a pas été créé en 6 jours comme le prétend la Bible.  Suite à la révélation d’une faille dans le dogme chrétien à ce sujet, l’influence de l’Église s’en trouve affectée.  Toutefois, des mouvements créationnistes aux États-Unis veillent à promouvoir la version biblique de la création du monde. La morale religieuse tente toujours d’évacuer la science au grand bonheur d’une élite vivant au détriment de son environnement.


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[1] Dupont, Jean-Claude, Le temps des sucres, Les Éditions GID, 2004
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Hans_Lippershey en ligne 2 novembre 2020
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Zacharias_Janssen en ligne 2 novembre 2020
[4] Dupont, Jean-Claude, Le temps des sucres, Les Éditions GID, 2004 p131


© Bastien Guérard, 2021

L’eau d’érable, le sucre du Pays

L’époque des Lumières, par l’ouverture à la science et les modifications des rapports sociaux, transforme le monde dans son organisation sociale.  Avec l’apparition d’une nouvelle bourgeoisie, les grands réseaux de commerce international s’établissent et permettent aux individus d’acquérir des fortunes colossales. Des produits de consommation, comme le sucre raffiné provenant de la canne à sucre, envahissent les marchés, assurant l’accumulation de capital par l’exploitation de la force humaine, mais également grâce à l’exploitation d’un penchant naturel pour les aliments sucrés. Le sucre représente bien les nouveaux produits de consommation qui engendrent une fidélisation de la clientèle en lui procurant une satisfaction éphémère toujours à renouveler.

À l’époque de la colonisation des Amériques, la blancheur était un symbole de pureté : le sucre blanc des Antilles, répondant aux standards sociaux, était très populaire. Le sucre d’érable n’a pu connaître un grand succès commercial international étant donné sa couleur brunâtre. Ne suscitant pas la convoitise des commerçants, le sucre du pays a pu maintenir son exploitation sur une base familiale. Depuis l’aube de la Nouvelle-France, les Canadiens d’origine exploitent l’eau d’érable pour s’approvisionner en sucre, étant donné que les guerres coloniales ne facilitaient pas l’arrivage régulier de cette denrée alimentaire. Même après la Conquête, le sucre blanc anglais demeure dispendieux dans la vallée du Saint-Laurent.

Possédant une érablière au fond du champ, les Canadiens d’origine se détournent naturellement du commerce du sucre blanc avec les Anglais.  Bien que l’eau d’érable transformée en sucre donne un produit de couleur brune, les Canadiens d’origine ferment les yeux pour en apprécier le goût si savoureux. L’exploitation de l’eau d’érable demeure la principale source d’approvisionnement en sucre des Canadiens d’origine au cours du XVIIe et XVIIIe siècle.[1] En passant du régime français au régime britannique, les habitants de la vallée du Saint-Laurent contribuent au développement en Amérique du Nord d’une culture agricole particulière :  chaque printemps les agriculteurs vont dans le boisé au bout de leurs champs faire la récolte de l’eau d’érable.

Pendant que le reste de la planète se précipite dans la consommation de masse, le Canadien d’origine demeure à l’écart dans son coin de pays immobilisé par le froid la moitié de l’année.  Il développe un mode de survivance sur son lopin de terre. À l’image de l’exploitation du sucre d’érable, la culture des Canadiens d’origine permit de préserver une certaine indépendance par rapport à un monde de plus en plus dépendant des grandes routes de commerce. La simplicité volontaire inspire le mode de vie sur la ferme. Porte d’entrée du continent, le Saint-Laurent est au cœur des grands circuits commerciaux, tant maritimes que ferroviaires. Malgré cet avantage, le Québec hésite à intégrer un marché contrôlé par les grandes entreprises; il préfère se rattacher aux réseaux commerciaux locaux. L’exploitation de l’eau d’érable est une garantie d’indépendance face au modèle commercial anglo-américain naissant.  Le sucre d’érable accorde une plus grande autarcie à ceux qui vivent sur la ferme. Les Québécois, bien heureux de consommer un sucre d’un goût et d’une qualité supérieure, vont développer une culture en porte-à-faux au courant dominant basé sur la consommation de masse.  De plus, les produits de grande consommation confectionnés pour un marché mondial ne sont pas adaptés au rude climat hivernal.  Discrètement, les Canadiens d’origine développent des outils adaptés à leur climat et à leur mode de vie. La motoneige représente bien un produit développé pour une culture hivernale en contact avec la nature. Tout comme à l’époque des Lumières, cette façon de faire particulière influence toujours le destin de l’Amérique du Nord.

Héritage de nos relations fraternelles avec les Amérindiens, l’exploitation de l’eau d’érable est un élément central au terroir québécois depuis les origines de la Nouvelle-France.  Le sucre d’érable est à l’image d’une culture ancrée dans la terre du pays. Par son processus de production artisanale, il demeure longtemps un produit hors des grands circuits commerciaux, desservant uniquement les habitants de la région. Vers 1820, l’apparition de cabanes à sucre dans leur forme actuelle démontre l’intégration du temps des sucres au mode de vie des fermiers. Le développement de fermes pouvant pourvoir à l’ensemble des besoins familiaux dans un climat rude ignoré des grands courants migratoires en Amérique contribue à l’élaboration de cette culture francophone unique à l’Amérique du Nord.

Ancien chalumeau  pour la récolte de l’eau d’érable

La cabane à sucre offre un espace de liberté qui aidera à la survivance des francophones d’Amérique. À l’écart dans leur cabane, les gens du pays développent un folklore singulier et l’autosuffisance économique. Le peuple francophone sur les rives du fleuve Saint-Laurent flaire les grands courants de la mondialisation. Son fleuve demeure toujours une grande porte d’entrée de l’Amérique conviant certains des Québécois à la recherche d’un monde meilleur sur ce continent aux vastes possibilités.

Au fil des années, l’exploitation de l’eau d’érable s’est adaptée au cours du temps aux modèles socioéconomiques et aux diverses technologies.  Ainsi, dans cette saga de la survivance des francophones d’Amérique, l’érablière passera d’une plus grande production de sucre d’érable à une plus grande production de sirop d’érable.

Autour de la cabane à sucre, une culture se développe, s’intégrant à un mode de vie unique en son genre. L’usage grandissant de sucre du pays confectionné dans une cabane à sucre a conduit à la création de moules à sucre réutilisables. La confection de moules en bois pour déposer le sucre mou avant qu’il fige reflète bien cette culture de l’érable à sucre. « Selon Robert-Lionel Séguin, l’usage de moules de bois ne remonterait qu’à la fin du XVIIIe siècle.  Auparavant, la pièce était d’écorce de bouleau, ou même d’une carte à jouer enroulée. »[2]   Les moules à sucre font l’objet d’un art populaire qui a produit des œuvres remarquables.  Normalement constituées de deux pièces retenues par des chevilles de bois, certaines pièces nécessitent l’assemblage de six ou huit morceaux de bois pour reproduire, par exemple, un livre de messe en sucre.  Les motifs secondaires sculptés au creux des moules permettent de représenter des éléments de décors comme les fenêtres d’une maison, une étoile, un nom. Les moules à sucre sont confectionnés à la maison ou dans un camp de bûcheron ou encore à la cabane à sucre : « N’ayant souvent que son canif ou une gouge pour découper et sculpter le bois, l’homme seul trompe son ennui et évite le sommeil en reproduisant le monde intérieur qui peuple sa solitude. »[3]  Toutefois le temps a effacé les traces de ces œuvres d’art populaire parce que les cabanes à sucre étaient souvent détruites par le feu.  La durée moyenne d’utilisation d’une cabane à sucre est d’une cinquantaine d’années.  Ces moules à sucre représentatifs de l’histoire populaire sont maintenant recherchés par les collectionneurs.

Dans le bois, à l’arrière des fermes dans la cabane à sucre, se cristallise une recherche perpétuelle de liberté faisant appel à la musique, l’art et les contes lors des festivités printanières liées à la récolte de l’eau d’érable. Par l’espace de liberté qu’elle représente, la cabane à sucre devient un lieu d’expression culturelle pour les francophones d’Amérique.  « L’érable et la cabane à sucre sont à l’origine de formes architecturales et de décors de l’environnement matériels, »[4]  La culture de l’érable meuble notre environnement sans que nous le réalisions.  L’érable s’incruste dans diverses expressions de la culture visuelle : « L’érable et la cabane à sucre sont aussi à l’origine de motifs décoratifs qui ornent des pièces de lingerie de maison, des taies d’oreillers et des tabliers brodés, des tapis crochetés qui reconstituent les activités des sucres. La feuille d’érable apparaît sur divers objets de ferronnerie, sur des croix de chemin, des balustrades de balcon, etc. »[5]  L’érable devient le cœur de la représentation de la culture des Canadiens d’origine.

Au-dessus de la porte des maisons, les feuilles d’érable trônent comme des armoiries au même titre que le castor, l’autre grande source de richesse dans ce pays particulier. L’érable devient un élément culturel représentatif du caractère spécifique des francophones d’Amérique.  En plus de symboliser la possibilité de vivre de manière autonome, il représente une philosophie de vie particulière : il forge une solidarité communautaire grâce à la participation des villageois à la récolte printanière et aux festivités célébrant le retour de la chaleur estivale. Cette ressource unique et singulière au pays renforce l’attachement des habitants à leur territoire.  La feuille d’érable devient un symbole distinguant les Canadiens d’origine des Français, puis des Anglais après la Conquête. Malgré son usurpation par le conquérant, l’érable façonne toujours le destin des francophones d’Amérique.

La cabane à sucre reflète l’esprit de fraternité humaine et de liberté à la source de l’époque des Lumières : suite à la récolte de l’eau d’érable faite dans un esprit de fraternité, le fermier peut confectionner en toute liberté divers produits comme le sirop, la tire, les bonbons ou le sucre pour satisfaire les besoins de la communauté. L’exploitation de l’eau d’érable témoigne d’une liberté culturelle et d’une économie bienveillante envers l’environnement, respectueuse de la nature nourricière. Aujourd’hui, pour plusieurs Québécois, à l’image de l’esprit de liberté qu’il représente, le sirop d’érable coule dans leurs veines. Les Québécois pur sirop sont l’expression, souvent complexe, du goût du Québec pour une liberté en équilibre entre l’indépendance individuelle et la solidarité sociale, entre la nature et les activités humaines, entre l’eau d’érable et le sucre d’érable.


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[1] http://grandquebec.com/histoire/histoire-sirop-erable/#sthash.2OAbmd5t.dpuf  En ligne 30 juin 2020

[2] Dupont, Jean-Claude, Le temps des sucres, Les Éditions GID, 2004 p200
[3] Dupont, Jean-Claude, Le temps des sucres, Les Éditions GID, 2004 p198
[4] Dupont, Jean-Claude, Le temps des sucres, Les Éditions GID, 2004 p188
[5] Dupont, Jean-Claude, Le temps des sucres, Les Éditions GID, 2004 p189


© Bastien Guérard, 2021

Le Québec, source de la Révolution américaine, française…

Pour des colons français fuyant le régime féodal archaïque de France, le Québec représente une terre de liberté, une terre d’asile en équilibre entre de nombreux mondes spirituels, économiques et sociaux.    Pour les communautés amérindiennes déstabilisées par l’expansion du commerce avec l’Europe, l’introduction de nouvelles technologies et de l’arrivée massive des Anglais, la Nouvelle-France leur a fourni un lieu de sérénité dans les bouleversements de leur milieu de vie. La vallée du Saint-Laurent devient un territoire refuge pour les Hurons de l’Ontario, les Abénakis de Nouvelle-Angleterre, et même les Mohawks de l’État de New York après la Révolution américaine.

La tolérance et l’inspiration d’une tradition démocratique chez les Canadiens d’origine prennent racine dans les traditions amérindiennes qui ont imprégné la société canadienne de souche. En rapport aux institutions, la quête de cet idéal commence par le remplacement du régime monarchique de Nouvelle-France par le système parlementaire britannique comme nous le connaissons aujourd’hui. Au cours d’un long processus, les droits démocratiques furent accordés aux francophones au compte-goutte par le conquérant britannique. L’organisation de l’administration publique après la Conquête s’ajuste à la situation géopolitique en développement en Amérique du Nord et aux changements d’idéaux en Occident. Plusieurs idéaux des Lumières s’inspirent de la saga des colons français d’Amérique.

La Proclamation royale de 1763 place sous la responsabilité de l’administration britannique établie à Québec l’ensemble du territoire de la Nouvelle-France. Contrairement à la plupart des colonies britanniques, The Province of Quebec ne dispose pas d’une assemblée d’élus ayant le pouvoir de lever des taxes. « Aux yeux des dirigeants anglais, l’octroi d’une institution représentative à ce peuple récemment conquis était prématuré, car les habitants de souche française y auraient à coup sûr obtenu la majorité. »[1] Dès la Conquête, la politique anglaise vise l’assimilation des francophones d’Amérique en les contraignant à adopter les mœurs britanniques.  La pleine démocratie ne sera jamais accordée aux francophones du pays conquis : même aujourd’hui, l’Assemblée nationale du Québec demeure inféodée à la Constitution canadienne. Les pouvoirs démocratiques accordés aux Québécois sont le résultat de circonstances géopolitiques qui poussèrent l’Angleterre à accorder des droits à des catholiques francophones dans le but de préserver son empire.

Après la Conquête, la liberté de culte de l’Église catholique est respectée, « mais sans jamais admettre aucune juridiction ecclésiastique émanant de Rome. »[2] De plus, l’accès à l’administration publique pour les francophones repose sur le serment du test : le rejet de l’église de Rome est demandé à tous les fonctionnaires de ce gouvernement anglais.  Ce serment stipule que l’on renonce à la reconnaissance de l’Église de Rome, une demande inacceptable pour les catholiques de cette époque ayant connu les guerres de religion.  Toutefois, comme seuls les catholiques pouvaient immigrer en Nouvelle-France, cette exigence complique le recrutement, pour l’administration publique, de fonctionnaires possédant une certaine connaissance du pays.  Cette vaste colonie francophone représente un territoire plus grand que l’ensemble des autres colonies anglaises. L’intégration de la colonie francophone à l’Empire britannique sera faite de compromis comme l’administration de la justice le démontre. L’administration de la justice civile et criminelle devient ingérable avec des juges de paix parlant uniquement anglais, appliquant le droit anglais à des francophones habitués aux coutumes de Paris en matière de justice sociale.  « Rapidement, un système hybride de justice prend place et le droit civil français continue d’être utilisé. »[3]  En laissant les francophones régler les différends entre eux en fonction des normes judiciaires de l’ancien régime, l’administration britannique est soulagée de petites tracasseries.

Pour plusieurs Anglais venus profiter de la manne qu’offre la conquête d’un nouveau territoire, les largesses de Murray à l’égard des francophones, peuple conquis, sont inadmissibles. « Les affairistes anglais réussiront à faire rappeler Murray à cause de sa politique d’ouverture envers les Canadiens, mais Carleton, qui le remplace, n’aura d’autre choix que de continuer dans la même voie. »[4] La politique de ménagement de la chèvre et du chou de Murray démontre son efficacité pour le maintien du contrôle de la colonie, mais également pour la préservation de celle-ci dans le monde en mouvance de l’époque des Lumières.

De la France rayonnante, les idéaux des Lumières provoquent du grenouillage dans les colonies anglaises au Sud. De plus, la résistance autochtone dans les anciennes régions de Nouvelle-France d’où émerge un monde métissé inquiète autant la couronne britannique que l’Église catholique au Québec.  Cette menace est une première occasion de faire alliance pour utiliser la population québécoise afin de servir leur intérêt commun.  En témoigne, l’opinion du gouverneur Murray ; « les Canadiens, selon lui, forment « la race la meilleure et la plus brave de la terre », qui pourrait en très peu de temps devenir « le plus fidèle et le plus utile groupe d’hommes dans cet Empire d’Amérique. »[5] La menace de la révolution dans les colonies anglaises incite l’Angleterre à lâcher du lest aux Canadiens d’origine : « Consciente de sa position de faiblesse en Amérique où les colonies menacent maintenant de faire l’indépendance, la Grande-Bretagne consolide son emprise sur la Canada en faisant des concessions aux Canadiens. Le roi George III – le roi fou – approuve l’Acte de Québec en juin 1774. »[6] L’Acte de Québec, au même titre que le Traité d’Utrecht, a des répercussions considérables pour l’avenir de l’Amérique francophone.

L’Acte de Québec confirme l’Église catholique dans son droit de collecter la dîme. Pour que l’évêque ne soit pas nommé par Rome, l’évêque de Québec, chef de l’Église, doit nommer son successeur.  Un successeur ayant des affinités avec l’establishment anglais, il va sans dire.  L’abolition du serment du test permet aux catholiques d’avoir accès à des postes dans le gouvernement, même d’accéder au Conseil législatif du lieutenant-gouverneur, siège du pouvoir dans la colonie. Et en officialisant le maintien des lois civiles françaises, le Québec est aujourd’hui le seul endroit en Amérique du Nord où s’applique le code Napoléon. La justice britannique ne s’applique qu’en droit criminel au Québec.

Pour les anciens ennemis anglais des colonies plus au sud, le plus choquant dans l’Acte de Québec, c’est que The Province of Quebec reprend les territoires du Labrador, des Pays d’en Haut et de l’Ohio.  En plus de la province du Québec actuel, cela représente 6 futurs États aux États-Unis, l’Ontario jusqu’au Manitoba et ainsi que le Labrador.  Pour les colons anglais, ces terres auparavant sous tutelle de la Couronne britannique représentaient des territoires à acheter à bon prix pour s’y établir. Le seul gain pour les colons anglais rêvant d’expansion dans la vallée de l’Ohio, c’est le Vermont : « L’Acte de Québec redonne à la province de Québec les frontières de la Nouvelle-France, sauf pour la vallée du lac Champlain. »[7] La vallée représente la frontière entre l’État de New York et l’État du Vermont, The Green Mountain State (les montagnes vertes) dont la capitale porte un nom francophone : Montpelier. Aujourd’hui encore pour certain vermontois, la métropole de la région est Montréal, au Québec.

Le Québec, source de la Révolution américaine, française…

Source : Bastien Guérard

La concession britannique des belles montagnes vertes faite aux colons anglais ne suffit pas à calmer leur grogne.« Car la récompense des Américains pour avoir aidé à défaire la Nouvelle-France est une hausse de taxes pour payer la guerre, la reconnaissance de la religion catholique et le retour aux frontières d’avant-guerre. »[8] L’Acte de Québec est perçu par les Américains comme une manœuvre de Londres pour leur nuire.  Alexander Hamilton, un des futurs rédacteurs de la Constitution américaine, fait usage d’enflure verbale typiquement américaine : « L’affaire du Canada est encore plus grave, si cela est possible, que celle de Boston. »[9]  La référence au « Boston Tea Party » de 1773, symbole du déclenchement de la révolte dans les colonies anglaises, démontre que l’Acte de Québec représente le sifflement de cette théière d’eau bouillante. Le 22 juin 1774, l’Acte de Québec contribue à la surchauffe : « Dans les 13 colonies anglaises qui se sont battues pour prendre de l’expansion à l’ouest des Appalaches, c’en est trop. »[10] Le 5 septembre 1774 a lieu le premier Congrès de Philadelphie réunissant 12 colonies qui organise la contestation de l’autorité britannique. Le début de la Révolution américaine commence en 1775 et la Déclaration d’indépendance est prononcée le 4 juillet 1776 à laquelle la Géorgie se joint également.

Curieusement, les Américains qui ont combattu avec virulence les Canadiens d’origine depuis plus d’un siècle, et qui ont dénoncé les termes de la paix et l’ouverture aux papistes par l’Acte de Québec, viennent dans The Province of Quebec pour demander aux francophones de faire alliance avec eux. Le 26 octobre 1774, le Congrès américain désigne Benjamin Franklin, un francophile, pour aller à Montréal convaincre les Canadiens d’origine de se joindre à la Révolution américaine.[11]  L’ expansionnisme continental de la Destinée manifeste s’exprime déjà. Le premier à réagir est l’évêque Briand de Québec, défendant la légitimité du Souverain devant Dieu. Les Canadiens d’origine sont divisés sur la question sachant que la victoire des révolutionnaires signifierait l’expansion des colons anglais vers la vallée de l’Ohio où plusieurs de leurs alliés se sont réfugiés après la Conquête anglaise. Le rouleau compresseur du colonialisme anglais est craint par tous, mais le rêve de la démocratie fait battre également le cœur des habitants francophones. La nouvelle élite francophone des Canadiens d’origine décide de jouer de précaution : « Confirmés dans leurs droits et privilèges par l’Acte de Québec, l’Église catholique et les seigneurs refusent en leur nom. »[12]

Insatisfait de cette réponse, le Congrès américain ordonne en juin 1775 d’envahir la province de Québec. En novembre de cette année-là, Montréal est aux mains des révolutionnaires américains, mais ces derniers échouent devant Québec. Après une dernière tentative le 31 décembre, les Américains se retirent. La défaite est attribuable à notre rude climat hivernal qui affecta la logistique d’approvisionnement de l’armée des révolutionnaires, en plus d’épidémie de petite vérole.[13]  Quelques centaines de Canadiens participeront à la Révolution américaine dans l’armée de Washington, mais la majorité de la population ne bronche pas.[14] La stratégie britannique envers les Canadiens d’origine sauve sa colonie francophone d’Amérique.  Dans le modèle démocratique naissant, le plein pouvoir semble plus accessible en demeurant une colonie francophone sous tutelle britannique qu’en se joignant à la Révolution américaine.

En 1778, la France entre en guerre contre l’Angleterre en soutien à la Révolution américaine.  « Dans l’esprit des Français, nuire à leur vieil ennemi anglais est une chose : reconquérir le Canada en est une autre. »[15] Son soutien à la Révolution sera important au niveau naval. Mais la guerre se gagne au niveau terrestre par l’occupation du territoire.  L’armée de Washington mène une guerre de guérillas contre les Britanniques.  Une technique qu’il avait assimilée à ses dépens au commencement de la French and Indien War en Ohio.  Washington avait appris de sa défaite contre les milices canadiennes de Nouvelle-France comment mettre en échec l’armée anglaise !  « Le traité de Versailles de 1783 officialise l’indépendance des colonies américaines.  La vallée de l’Ohio, Détroit et le sud des Grands Lacs passent aux Américains. La frontière canado-américaine est fixée au 49e parallèle après le massacre des Iroquois par Washington et ses troupes. »[16] D’un certain point de vue, après 30 ans d’effort, Washington a ouvert l’Ohio à la colonisation anglo-américaine.

Suite à la Révolution, les colons anglais fidèles à la Couronne affluent dans ce qui reste de l’Empire britannique en Amérique du Nord et que paradoxalement sa seule colonie francophone a su préserver. « Au lendemain de la déclaration d’indépendance des États-Unis, 35 000 loyalistes affluent au Nouveau-Brunswick, 6 000 en Ontario et 600 dans les Cantons de l’Est. »[17] Après avoir accueilli des membres de nombreuses nations amérindiennes disséminées par les colons anglais et leurs alliés mohawks, voilà que The Province of Quebec accueille les Mohawks et les Anglais. Les Mohawks viendront se réfugier dans la région de Montréal où des missions catholiques leur sont ouvertes.

La conquête de la Nouvelle-France a épuisé les finances britanniques.  La Couronne britannique doit taxer davantage ses colons américains pour payer la Conquête, ce qui conduit les 13 colonies à la révolution.  La France, pour soutenir la Révolution américaine, taxe sa population, en plus d’importer les idées révolutionnaires à travers ses troupes de soutien. La Révolution américaine conduit à la Révolution française.  La France, en plus d’investir plus d’argent dans la Révolution américain qu’elle ne l’a fait pour sauver la Nouvelle-France, provoque l’exode massif d’anglais vers nos terres si vaillamment défendues. Une autre origine possible de l’expression très québécoise : maudit français !


Ce blogue libre d’accès s’inspire de l’esprit du don autochtone.
L’esprit du don repose sur la réciprocité des échanges en fonction de la capacité des gens à reconnaître la bienveillance d’autrui envers eux.
Un système de redistribution de la richesse basé sur les talents de chacun.
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[1] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p91

[2] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p90

[3] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p92

[4] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p50

[5] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p93

[6] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p50

[7] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p51

[8] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p52

[9] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p52

[10] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p139

[11] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p93

[12] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p139

[13] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p100

[14] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p100

[15] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p100

[16] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p141

[17] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p140


© Bastien Guérard, 2021

Création de deux Canada : Haut-Canada et Bas-Canada

Les colons loyalistes ne viennent pas dans The Province of Quebec pour remercier les francophones d’avoir sauvé les terres de la Couronne lors de la Révolution américaine. « Les loyalistes, que les Américains considèrent comme la lie de leur population, les plus soumis à la Couronne, les plus conservateurs, les moins démocrates, les plus bornés, les plus violemment anticatholiques, vont venir se réfugier chez nous. Ils feront cause commune contre la majorité française et catholique avec les profiteurs de guerre déjà installés ici depuis la Conquête. »[1] Les loyalistes déçus de l’organisation sociopolitique de la Province of Quebec qui n’a pas une assemblée d’élus contrairement à ce qui est de coutume dans les colonies anglaises, exigent des changements. En plus, le régime seigneurial régit la distribution des terres : « Ils refusent de vivre dans les seigneuries françaises et d’être régis par les coutumes médiévales de quelques privilégiés. »[2] Les loyaux sujets de la Couronne auront droit à plus d’égard que tous les autres habitants du territoire.

Cette contestation des nouveaux sujets anglais conduit à la ratification de l’Acte constitutionnel de 1791 divisant la Province de Québec en deux entités, le Haut-Canada (Ontario) et le Bas-Canada (Québec). Pour prouver l’équité du droit anglais, les deux entités auront les mêmes privilèges parlementaires où des élus voteront les lois. Un Conseil législatif, dirigé par le gouverneur nommé par Londres, ratifie les lois et assure l’application de celles-ci. Le gouverneur général demeure l’autorité dirigeant la colonie, appliquant les lois avec une rigueur variable en fonction des intérêts de l’élite. La grande différence entre les deux entités réside dans le fait que le droit civil au Bas-Canada est maintenu pour ne pas contrevenir à l’Acte de Québec : « Dans le Haut-Canada, des tribunaux jugeant au civil en common law et en equity sont mis en place. Dans le Bas-Canada, les tribunaux continuent à appliquer les vieilles règles de la Coutume de Paris et d’Orléans. »[3] Les Francophones d’Amérique expérimentent pour la première fois la démocratie parlementaire britannique.  Au Bas-Canada, ils représentent la majorité de la population d’électeurs.  « La nouvelle Constitution est calquée sur celle de Grande-Bretagne, où les propriétaires terriens, tous nobles (la Gentry), sont les principaux acteurs du système parlementaire, qu’ils manipulent en fonction de leurs intérêts de classe. »[4]  À l’époque, seuls les propriétaires ont la qualité d’électeurs. Le système parlementaire britannique repose sur la mainmise du pouvoir par les Lords qui étaient les grands propriétaires terriens en Angleterre. En restreignant la qualité d’électeur aux propriétaires, ils s’assurent le contrôle du pouvoir.  « Au Québec la propriété foncière est beaucoup plus démocratique qu’en Angleterre, où les électeurs constituent une infime minorité. »[5]  En Nouvelle-France, l’arrivée des Filles du Roy et la dynamique de colonisation du système seigneurial favorisent l’accès des colons à la propriété foncière. Cet héritage surprenant du système seigneurial permit aux Canadiens d’origine de créer pour sa population une démocratie plus représentative !

Source : http://www.paricilademocratie.com/approfondir/territoire-et-constitutions/361-1791-acte-constitutionnel

Le parti Canadien est fondé pour représenter les volontés des francophones du Bas-Canada.  La connaissance fine de la Constitution britannique par l’avocat Pierre Bédard permit au parti Canadien d’utiliser habilement les mécanismes de l’Assemblée législative.  Contrairement à l’élite anglaise du Haut-Canada, l’élite anglaise de Montréal est insatisfaite du pouvoir octroyé aux francophones.  Adam Lymburner, un marchand anglais de Montréal, va plaider à Londres que la division de la Province of Quebec en Bas-Canada et Haut-Canada ne va pas dans les intérêts de la Couronne.  « À la richesse terrienne des seigneurs canadiens, il oppose la richesse en capital des marchands anglais. »[6]  À ses yeux, le potentiel de croissance de la richesse créée par le commerce et les échanges est beaucoup plus grand que le potentiel de richesse des propriétaires terriens des seigneuries.  Pour cette raison les marchands devraient exercer beaucoup plus d’influence dans le système parlementaire. Dans cette demande des marchands anglais, nous voyons poindre un modèle de gestion basé sur le capital financier surexploitant l’environnement plutôt que sur un capital naturel que représente une ferme exploitée de manière pérenne ; la ferme fournit une gamme de produits afin de subvenir aux besoins de la population locale. L’érablière à l’arrière de la ferme représente bien ce mode de relation pérenne avec l’environnement.

Dans un contexte d’opposition entre marchands anglais et propriétaires terriens francophones, la construction d’une nouvelle prison à Montréal exacerbe les tensions.  Pour en financer la construction, la majorité francophone propose une taxe sur les produits importés.  Les marchands anglophones s’opposent, proposant plutôt un impôt foncier sur les terrains.  Au parlement, le vote de la majorité canadienne d’origine l’emporte sur les marchands anglais.  Le Conseil législatif adopte la loi le 16 mars 1805, bien que les représentants des marchands aient tenté d’en dissuader les membres.   Les Anglais « trouvent absurde que, eux, les conquérants, ceux par qui sont arrivés les libertés britanniques, soient privés du pouvoir de gérer l’État en fonction de leurs intérêts de classe. »[7] L’élite anglaise va même devant les tribunaux en Angleterre pour contester la taxe, mais rien n’y fait.  Les journaux anglais redoublent la virulence de leurs propos antifrançais, comme la toujours bien connue Montreal Gazette. « Pour les Anglais, la langue, la religion et les coutumes des Canadiens sont des tares que seule l’adoption de la langue et des coutumes anglaises peut guérir. »[8]  Certains journaux, comme le The Quebec Mercury, vont jusqu’à faire campagne pour que seuls les Anglais puissent participer au pouvoir politique.  Des journaux francophones sont fondés pour offrir un autre point vu à la population; ainsi, apparaît Le Courrier à Québec et Le Canadien à Montréal.  Les deux journaux portent la voix du parti Canadien.

L’Église catholique par tradition se range du côté des Anglais, son intérêt est le maintien de la population dans la soumission par l’ignorance : « Comme les Anglais, elle considère avec méfiance la nouvelle élite d’avocats et de notaires entichés d’idées libérales laïques et démocratiques. »[9] La nouvelle élite francophone soutient avec force les idées de liberté, de fraternité et d’égalité auxquelles les Canadiens d’origine aspirent depuis toujours. Et l’Église catholique n’a pas encore l’emprise sur les francophones qu’elle détiendra bientôt jusqu’à la Révolution Tranquille dans les années 1960.  Le gouverneur Craig suspend trois fois l’Assemblée entre 1808 et 1810 dans l’espoir que de nouvelles élections éliminent de la législature les élus francophones indésirables.  Rien n’y fait, à chaque fois le parti Canadien reprend le pouvoir pour poursuivre son combat pour un monde reflétant ses espoirs de liberté.  En 1810, exaspéré, le gouverneur Craig fait emprisonner sans procès Bédard et d’autres membres du parti Canadien en plus de saisir les presses du journal Le Canadien.  Pour plusieurs Anglais, les vaincus ne méritent pas la liberté démocratique britannique.

En 1806, les journaux anglais ont hurlé au scandale accusant les francophones d’avoir une aversion pour la liberté de presse : le parti Canadien avait voulu convoquer devant l’Assemblée l’éditeur du journal Gazette pour lui demander des explications sur un article. Mais après la saisie illégale des presses du journal Le Canadien et l’emprisonnement arbitraire des représentants du parti Canadien, il est étonnant que les mêmes journaux anglais ne s’insurgent pas au nom de la liberté de presse.

Devant cette situation, le gouvernement Craig transmet un rapport au gouvernement britannique sur « la situation au Bas-Canada dans laquelle il propose une série de mesures pour en finir avec le pouvoir démocratique de la majorité francophone. »[10]  Il mentionne « la nécessité d’angliciser la province si on veut qu’elle reste anglaise; un recours à l’immigration américaine massive pour submerger les Canadiens français; l’obligation d’avoir des propriétés foncières importantes pour être éligibles; l’union du Haut et du Bas-Canada pour une anglicisation certaine et plus prompte. »[11] Ce rapport démontre la volonté claire des Anglais de ne pas accorder la démocratie aux francophones du pays. La pleine démocratie doit attendre l’arrivée d’une majorité de colons anglophones dans ce qui deviendra le Dominion du Canada.  Cette situation illustre bien que la démocratie britannique est une merveilleuse institution faite sur mesure pour servir une élite anglaise. La guerre de 1812 interrompt les hostilités qui reprendront de plus belle par la suite.

Cette période entre de l’Acte constitutionnel de 1791 et la Révolte des Patriotes conduisant à l’Acte d’Union de 1840, représente la seule période où la majorité francophone contrôle l’Assemblée législative, composée d’élus du peuple. Toutefois, un Conseil législatif s’ajoute à cette instance législative : une sorte de Sénat dont les membres sont nommés à vie par le gouverneur : « Rapidement, l’institution devient le repaire de la grande bourgeoisie anglophone, qui utilise ses pouvoirs pour contrecarrer certains projets de la majorité canadienne ou pour imposer son propre programme. »[12] Ultimement les lois doivent être approuvées par le gouverneur nommé par Londres et leur application relève du Conseil exécutif dont les membres sont choisis par le gouverneur. Contrairement au Conseil des ministres d’aujourd’hui, les membres du Conseil exécutif ne sont pas choisis parmi la majorité des élus.

Pourtant, les prises de position du parti Canadien, et plus tard du parti Patriote mettent en lumière la vision avant-gardiste des politiciens francophones du Bas-Canada.  Cette période de grande démocratisation du Bas-Canada représente une fenêtre d’autonomie où les francophones détenaient la majorité démocratique à l’Assemblée sans être subordonnés à un autre gouvernement du continent. Les francophones d’un naturel plus consensuel fondent le parti Canadien, le premier parti politique de l’histoire du Canada.[13]  Leur bienveillance naturelle orchestrée par un parti politique permit de mettre en place des lois les plus avant-gardistes de l’Empire britannique. En reconnaissant des droits égaux aux juifs, Louis-Joseph Papineau fait preuve d’une vision d’ouverture à l’humanité caractéristique de l’époque des Lumières, vision que porte le chef du parti patriote. L’Acte de déclaration de droits et privilèges égaux pour les Juifs au Bas-Canada en 1832 est une première dans l’Empire britannique. Les autres sujets juifs de l’Empire devront attendre 25 ans avant d’obtenir leur émancipation. [14] Selon l’historien Irving Abella, spécialiste de l’histoire juive au Canada, « C’était une loi capitale, écrit-il, presque révolutionnaire dans ses conséquences, un évènement marquant dans la bataille pour l’obtention des droits civils. »[15] L’esprit de la Grande Alliance inspire toujours la conscience des Canadiens d’origine. La proclamation de la république par les Patriotes illustre cet esprit. Dans la déclaration d’indépendance du Bas-Canada en 1838, Robert Nelson accorde des droits égaux aux Blancs et aux autochtones, affirme la séparation de l’Église et de l’État, l’éducation publique pour tous, l’indépendance de la presse et l’abolition du régime seigneurial et de la peine de mort.[16] Les francophones d’Amérique ont toujours mis de l’avant des politiques démocratiques avant-gardistes conduisant à une plus grande justice sociale. Pas étonnant que les élites anglophones d’Amérique continuent de craindre la souveraineté du Québec.


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[1] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p54

[2] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p140

[3] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p141

[4] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p54

[5] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p58

[6] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p59

[7] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p66

[8] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p67

[9] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p68

[10] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p67

[11] M. Wade, Les Canadiens français de 1790 à nos jours, tome I, Montréal, Le Cercle du livre de France, 1963, p.217

[12] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p105

[13] https://thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/parti-canadien

[14] http://education.historicacanada.ca/fr-ca/tools/279

[15] https://cija.ca/fr/reconnaissance-des-juifs-le-quebec-a-lavant-garde/

[16] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p131


© Bastien Guérard, 2021

La Guerre de 1812, la victoire des Anglophones

En Europe, les guerres napoléoniennes font rage. La France républicaine affronte les monarchies européennes dont les élites veulent empêcher l’expansion des idéaux des Lumières en Europe. Ces idéaux de liberté démocratique, qui ont conduit à la Révolution française, sonnent la fin de la royauté et le début de la laïcité de l’État. Napoléon a perdu la guerre, mais l’Europe se tourne inexorablement vers de nouvelles structures politiques : les royaumes font place à l’État-nation. Bien que le Congrès de Vienne de 1815 reconnaisse le Royaume des Pays-Bas incluant la Belgique et le Luxembourg, les provinces belges déclareront leur indépendance en 1830.  La bourgeoisie de ces provinces très catholiques épousant les idéaux de la Révolution française s’oppose à un souverain néerlandais protestant, despote et autoritaire.[1] Toutefois, la Belgique ne devient pas une république comme la France, mais une monarchie constitutionnelle comme l’Angleterre. Tout comme aux États-Unis, le concept de laïcité de l’État est absent des idéaux de liberté des élites bourgeoises victorieuses des guerres napoléoniennes.

Pendant que l’Angleterre est aux prises avec les guerres napoléoniennes, les États-Unis affichent une neutralité commerciale à l’endroit de l’Europe. Cela conduit à l’interception par la marine anglaise de frégates commerciales américaines sous prétexte de rechercher des déserteurs, et ceci pour tenter de dissuader les États-Unis de commercer avec la France.[2]  La crise devient prétexte, dans l’esprit de la Destinée manifeste du peuple des États-Unis, pour conquérir le reste de l’Amérique du Nord.  Toutefois, Londres refuse l’envoi de troupes dans sa colonie d’Amérique, déjà très occupé par la guerre en Europe.  La colonie britannique du Canada peuplée de 500 000 habitants doit se défendre seule contre les 7,5 millions d’habitants de son voisin du sud.

Au Bas-Canada, le chef du Parti Canadien, Pierre Bédard, a une vision négative de la nouvelle République américaine : « De 1806 à 1810, Le Canadien dénonce la cupidité des « Yankees », leur manque d’intérêt pour les choses de l’esprit. »[3]  Dans ce contexte, et avec une solde intéressante, les Canadiens d’origine s’engagent dans l’armée britannique.  Les volontaires canadiens forment une unité d’infanterie, Les Voltigeurs, sous le commandant de Charles-Michel de Salaberry. Il est un des rares officiers britanniques d’origine canadienne.  Les Voltigeurs s’illustrent à la bataille de Châteauguay où cette unité de quelque 500 hommes repousse les 3000 soldats de l’armée américaine en route pour Montréal.  Comme à l’époque de la Nouvelle-France, la colonie britannique d’Amérique sera défendue par les Canadiens d’origine et les nations autochtones.

Les autochtones trouvent intérêt à la défense de la colonie britannique. En effet, Tecumseh, chef de la tribu des Chaouanons, envisage la création d’un État amérindien au nord-ouest de la rivière Ohio avec l’appui des Britanniques.  Depuis la Conquête et la Révolution américaine, les territoires du centre du continent sont toujours source de convoitise par les colons des États-Unis. En 1804, le gouvernement américain demande une rencontre avec les Amérindiens Sauk et Meskwaki suite à la passation de la gouvernance du territoire entre la Couronne britannique et les États-Unis.  Le général Harrison, futur président du pays, convoque à Saint-Louis une rencontre avec les nations de la région du Mississippi.  Les chefs amérindiens envoient des délégués pour assister à la rencontre pour connaître les propositions du gouvernement.  Bien que les représentants des chefs amérindiens n’aient aucune légitimité, le général Harrison leur fait signer, après les avoir fortement intoxiqués à l’alcool, un traité cédant une partie de l’Ohio, l’Indiana, l’Illinois, la moitié du Missouri et un bout du Wisconsin.  Toute cette machination sera légalisée avec l’appui du Congrès des États-Unis.  Par la suite, le gouvernement se retrouve avec des Amérindiens sur le pied de guerre. Pourtant, cela prendra huit ans avant que la guerre n’éclate.  Lors de la guerre de 1812, les Britanniques promettent aux autochtones un pays en échange de leur appui contre les Américains.

Tecumseh, chef Chaouanons

Source : Toronto Public Library, Public domain, via Wikimedia Commons

Les espoirs de Pontiac se réaniment chez les autres nations amérindiennes à travers le continent. Selon Pierre Montour, les Métis habitant l’Est du pays se mobilisent : « Contre toute attente, une armée métisse se lève dans l’Est pour affronter son ennemi séculaire qui lui a pris Détroit, Saint-Louis et l’Ohio. »[4]  Ainsi, Tecumseh se retrouve à la tête d’une coalition de Métis et d’Autochtones voulant protéger de la colonisation américaine leur mode de vie. La prise de Fort Détroit par Tecumseh révèle sa finesse stratégique : il fait défiler à plusieurs reprises le même groupe de guerriers dans une petite clairière visible du fort.  Les croyants en fort surnombre, les Américains capitulent.[5]  Ce soulèvement des autochtones contre les États-Unis risque de s’étendre à l’ensemble de l’Amérique du Nord en réanimant l’espoir chez les autres nations amérindiennes.  L’armée, dirigée par Tecumseh, menace le pouvoir et l’ordre établi par les Anglophones sur le continent.  Devant ce danger, selon Pierre Montour, le 5 octobre 1813, à la bataille de la Thames à Moraviantown les Britanniques abandonnent leurs alliés à leur sort face à une armée américaine supérieure en nombre. « Lorsque les Américains donnent le signal d’assaut, le général britannique ordonne le retrait de ses troupes, laissant l’ennemi en surnombre encercler et exterminer les guerriers métis jusqu’au dernier. »[6]Tecumseh comme plusieurs autres autochtones défendra vaillamment son territoire jusqu’à la mort, contrairement aux Britanniques pour qui ce n’était qu’un enjeu commercial. Cette bataille marque la vie des survivants autochtones, comme l’illustre Black Hawk  : « Black Hawk est désespéré par le nombre de vies perdues, occasionnées par les méthodes d'attaques européennes. »[7]

L’histoire de Black Hawk est révélatrice du sort subit par les Amérindiens.  Les colons prennent possession du village de Black Hawk pendant que les habitants étaient partis en expédition de chasse.  Apprenant cela, les Sauks reviennent réclamer leur village.  Dans un esprit de compromis, pour préserver la paix, ils acceptent d’aller s’installer de l’autre côté de la rivière Wisconsin à condition que les colons leur remettent une partie de la récolte de maïs qu’ils avaient semé avant de partir à la chasse. Mais au temps de la récolte, les colons ne respectent pas leur promesse.  Les Sauks viennent réclamer leur dû.  Les milices coloniales et l’armée américaine refusant de négocier avec eux les attaquent même s’ils arborent un drapeau blanc.

L’esprit chrétien guidant les colons n’est pas catholique. Les missionnaires protestants n’ont aucune sympathie pour les autochtones, envers lesquels ils sont intolérants.  Leur comportement religieux s’avère plus intégriste que celui des catholiques. « Les Indiens doivent devenir des Blancs du jour au lendemain, c’est-à-dire de bons cultivateurs obéissant aux lois de la morale chrétienne. »[8]  Les missionnaires catholiques privilégiant la conversion des autochtones étaient plus conciliants avec eux. « Autant les Indiens détestent les ministres protestants, qu’ils trouvent ternes et gris, racistes et intolérants, autant ils apprécient les prêtres catholiques pour leur sens du spectacle et de la dramaturgie : ceux-ci savent en mettre plein la vue avec leurs soutanes pourpres, leurs ostensoirs plaqués or et leurs représentations terrifiantes des flammes de l’enfer. »[9]

Contrairement aux colons, les Amérindiens qui étaient arrachés de leur terre, n’avaient aucune place pour se réfugier.  Les colons, s’ils subissaient l’échec, pouvaient retourner sur la Côte-Est et refaire des provisions pour repartir vers les terres autochtones.  À l’arrivée De La Vérendrye 100 ans plus tôt, celui-ci dénombrait plusieurs tribus comprenant de nombreux villages constitués de milliers de personnes.  Lorsque Black Hawk défend ses terres, en 1830, ils ne sont plus que quelques centaines dans sa tribu.  Au printemps 1833, Black Hawk et une dizaine d'autres chefs captifs seront conduits à Washington, devant le président Andrew Jackon, instigateur du Indian Removal Act.
Comme à l’époque romaine, les chefs captifs défileront à « Norfolk, Baltimore, Philadelphie, New York, entre autres, où les foules se pressent pour assister au spectacle. »[10]

En fin de compte les Amérindiens, les Métis et les Canadiens d’origine auront sauvé la colonie britannique de la domination américaine, sans aucun gain pour eux-mêmes.[11] Le cœur du continent américain est conquis par les Anglophones, les Anglo-américains.  « Lorsque la paix sera enfin revenue en 1815, les Amérindiens seront extrêmement déçus par l’oubli des Britanniques; un sort qui ressemblera étrangement à celui réservé́ aux Canadiens français. » [12]  En plus d’anéantir les espoirs des nations autochtones, la guerre de 1812 sème la division entre anciens alliés canadiens d’origine et autochtones. « Comment penser une collaboration sans heurts entre les Canadiens et les Autochtones lorsque les autorités militaires se servent des uns contre les autres pour rattraper les déserteurs ? Ainsi, on se sert des Amérindiens pour mettre le grappin sur les déserteurs canadiens et la milice canadienne en fait tout autant. »[13]  L’avenir des Francophones, des Métis et des Autochtones aspirant à la création d’un monde meilleur sera soumis au pouvoir anglo-américain et à sa culture dominante. L’esprit de liberté autochtone propre à l’Amérique du Nord sera mis en réserve.

Pour l’ancien premier ministre du Canada, Stephen Harper, la guerre de 1812 représente la véritable naissance du Canada.[14]  Cette tranche d’histoire est récupérée autrement par les États-Unis. Le Black Hawk de Chicago, une prestigieuse équipe de la ligne nationale de hockey, est un bel exemple de cannibalisation culturelle anglaise des nations autochtones.  Nous oublions qu’en plus d’être le nom d’une équipe de hockey qui honore la combattivité d’un chef autochtone, ce nom représente, derrière celle d’un homme, l’histoire d’un peuple dépossédé de ses terres.  Un peuple de pêcheurs et de fermiers vivant dans l’abondance sur le bord du Mississippi.

Sur notre planète à l’avenir, l’esprit de liberté insufflé à l’époque des Lumières par la Révolution américaine et la Révolution française ne sera qu’un rêve de liberté américain très christianisée. À l’instar de l’Europe victorieuse des guerres napoléoniennes, les nouvelles nations conçoivent une organisation sociale d’inspiration religieuse.  Ainsi, la liberté de pensée et la justice sociale seront toujours entravées par les dogmes religieux. Éblouie par la réussite économique des États-Unis, la France, en offrant la Statue de la Liberté pour la célébration du 100e anniversaire de la Révolution américaine, passa la flamme de la liberté à un pays rejetant la laïcité de l’État. Le modèle américain de liberté devient le phare du monde moderne issu de l’époque des Lumières.


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[1] http://www.dg.be/fr/desktopdefault.aspx/tabid-2846/5400_read-35027/ en ligne 7 décembre 2020
[2] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p114
[3] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p115
[4] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p144
[5] 500 nations : L’histoire vue par les indiens d’Amérique, documentaire En ligne 30 juin 2020 : http://openyoureyes.over-blog.ch/-500-nations-l-histoire-vue-par-les-indiens-d-amérique-docs-vf
[6] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p144
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Black_Hawk_(chef_am%C3%A9rindien) en ligne 7 décembre 2020
[8] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p294
[9] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p299
[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Black_Hawk_(chef_am%C3%A9rindien) en ligne 7 décembre 2020
[11] Chefs amérindiens – partie 4 – Black Haw En ligne 30 juin 2020 https://www.youtube.com/watch?v=W3ORKzzDiLs

[12] https://www.erudit.org/fr/revues/haf/, une2017-v70-n3-haf03029/1039532ar.pdf

[13] https://www.erudit.org/fr/revues/haf/2017-v70-n3-haf03029/1039532ar.pdf
[14] https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/352786/guerre-de-1812-refaire-l-histoire en ligne 7 décembre 2020


© Bastien Guérard, 2021

La Clique du Château et les Patriotes

Après l’époque des Lumières, de la Révolution française et des guerres napoléoniennes, le monde fourmille de nouvelles idées pour la mise en place de libertés démocratiques. Même si Napoléon a perdu la guerre contre les monarchies européennes, les idées républicaines ont gagné le monde. Partout, les gens veulent que le pouvoir représente la volonté du peuple. Au début du XIXe siècle, suite à la révolution donnant naissance aux États-Unis, un souffle libérateur balaie les colonies d’Amérique latine et des Antilles. En 1804, Haïti ouvre le bal, en devenant la première république noire au monde et jusqu’à ce jour, le seul territoire francophone indépendant dans les Caraïbes.[1] L’Argentine déclare son indépendance en 1816, suivie de ses voisins chiliens deux ans plus tard. Plus au nord, le légendaire Simon Bolivar libère de la colonisation espagnole la Colombie, l’Équateur, le Panama, le Venezuela, le Pérou et la Bolivie qui prend son nom.  En 1824, le Brésil gagne son indépendance du Portugal, en proclamant l’Empire du Brésil avec à sa tête l’empereur Pierre 1er.  L’idéologie des Lumières prônant la libération des peuples et l’application de la démocratie est sujette à plusieurs interprétations. La volonté du peuple est souvent substituée à celle des bourgeois tirant les ficelles.

Le Bas-Canada est le théâtre d’interprétation divergente des idéaux démocratiques des Lumières. L’idéologie des Lumières, issue de France, suppose la laïcité, la fin de la monarchie de droit divin, l’égalité entre tous les citoyens dans une société de droit abolissant les privilèges de castes. Dans le contexte de l’après-Conquête, les manœuvres de la minorité anglophone de Montréal s’emploient à étouffer les aspirations naturellement démocratiques des Francophones au Bas-Canada.  L’avocat Pierre Bédard est membre du parti Patriote, l’ancien parti Canadien renommé en raison des manœuvres antidémocratiques du gouverneur Craig en 1810. Cet avocat qui connait bien les procédures parlementaires britanniques exacerbe les tensions entre les Francophones et les loyalistes anglais en mettant de l’avant des idées contraires à la volonté des conquérants. « Pour l’élite francophone libérale naissante qui inspire le Parti patriote, il s’agit de prendre le contrôle de l’Assemblée et d’en faire véritablement la voix du peuple, au grand dam de la minorité anglophone, des seigneurs et du haut clergé. »[2]

Cet affrontement démontre la grande puissance financière au pouvoir, capable de mobiliser des ressources contre la volonté démocratique du peuple. Une pétition est envoyée à Londres avec plus de mille signatures pour dénoncer cette situation inadmissible où de loyaux sujets britanniques sont soumis à une majorité francophone et catholique.  À l‘Assemblée législative, les Anglophones n’ont que 10 députés sur 50.  La minorité anglophone ne tient pas en haute estime un peuple conquis qui fait valoir ses droits politiques, comme le démontrent ces extraits de la pétition :
« On peut dire que cette branche du gouvernement est exclusivement entre les mains de paysans illettrés sous la direction de quelques-uns de leurs compatriotes, dont l’importance personnelle, en opposition aux intérêts du pays en général, dépend de la continuation du présent système vicieux…
Les pétitionnaires de Votre Majesté ne peuvent omettre de noter l’étendue excessive des droits politiques qui ont été conférés à cette population, au détriment de ses co-sujets d’origine britanniques : et ces droits politiques, en même temps que le sentiment de sa croissance en force, ont déjà eu pour effet de faire naître dans l’imagination de plusieurs le rêve de l’existence d’une nation distincte, sous le nom de « nation canadienne. »…
Les habitants français du Bas-Canada aujourd’hui divisés de leurs co-sujets par leurs particularités et leurs préjugés nationaux, et évidemment animés de l’intention de devenir, grâce au présent état de choses, un peuple distinct, seraient graduellement assimilés à la population britannique et avec elle fondus en un peuple de caractère et de sentiment britanniques. »[3]

Parmi les inspirateurs du texte, des personnages comme John Molson, de la célèbre brasserie, et Peter McGill, le futur président de la Banque de Montréal, font toujours figure de grands Montréalais. Cet extrait reflète bien la dynamique du préjugé raciste qui anime la communauté anglophone de Montréal envers les Francophones. Dans cette dynamique, la communauté anglophone se permet de retourner son jugement raciste contre les Francophones :  elle leur prête des « préjugés nationaux » les empêchant de se fondre « en un peuple de caractère et de sentiment britanniques. »  Dans la logique de la supériorité britannique, les Anglais considèrent la résistance des francophones du Canada à l’assimilation britannique comme foncièrement raciste envers la grandeur de la plus noble des civilisations. Cette idéologie de supériorité raciale a imprégné la communauté anglophone de Montréal jusqu’à nos jours, toutes origines confondues. À leurs propres yeux, les Anglais ne sont pas racistes, car ils sont ouverts à tous ceux qui épousent le caractère et le sentiment britanniques.  Au Canada, les racistes sont tous ceux qui refusent de se soumettre à la noblesse de la civilisation anglaise.  Ceux qui refusent de s’intégrer au peuple des seigneurs anglais ne peuvent être que des racistes ou des ignares dégénérés qui ne méritent pas de vivre dans ce pays privilégié grâce à la présence de la civilisation britannique.  Les Anglais sont très prompts à accuser les autres de leurs propres travers comme le démontre un autre passage de la pétition ci-dessus mentionnée : « sous la direction de quelques-uns deleurs compatriotes, dont l’importance personnelle, en opposition aux intérêts du pays en général ». Et pourtant, les Anglais sont une minorité défendant son intérêt personnel au détriment des intérêts du pays en général tels qu’exprimés par le vote démocratique.

La Rébellion des Patriotes est la conséquence de l’échec de la politique de Londres face aux revendications démocratiques de la population tant anglaise que française au Canada.  Les deux communautés du Haut et du Bas-Canada observent les progrès du droit des citoyens ailleurs dans le monde; ils trouvent injuste la dominance des castes de Lords dans les politiques économiques.  Les deux colonies cherchent à obtenir la responsabilité ministérielle rendant les membres de l’exécutif responsables devant les élus au lieu de l’être devant le représentant de la monarchie nommé par Londres. Dans le Haut-Canada, le leader des revendications est le maire de Toronto, William Lyon Mackenzie, un Écossais d’origine qui lutte contre le Family Compact qui regroupe une élite de familles riches contrôlant les postes importants grâce au patronage politique.  Au Bas-Canada, un regroupement comparable joue ce rôle et porte le nom informel de la Clique du Château.  Il rassemble des marchands anglais comme John Molson ou James McGill, fondateur de l’université du même nom : « Les Anglais et leurs amis, qui occupent la plupart des postes nominatifs de la colonie, s’opposent à la majorité francophone, dont les représentants sont élus. »[4] Le système parlementaire britannique s’est constitué à force de compromis entre la monarchie et une caste de Lords qui ont su jouer, à l’image du gouverneur Murray après la Conquête, les classes les unes contre les autres pour préserver leurs privilèges.

L’Église catholique demeure complice du pouvoir monarchique en favorisant une élite affairiste exploitant le peuple. Elle maintient un peuple à genoux en lui apprenant à chanter sa délivrance.  Pour les Patriotes, la séparation de l’Église et de l’État est essentielle à une société plus juste. L’historien Allan Greer les décrit comme farouchement laïcistes adoptant des positions anticléricales, considérant que la religion n’a pas sa place dans les suffrages électoraux. À l’époque l’idée d’un gouvernement monarchique n’est plus facilement acceptée ; c’est pourquoi « ils proposent de protéger les citoyens contre l’autorité administrative de l’État et autres détenteurs d’une autorité ‘irresponsable’.  L’un des moyens de garantir les libertés individuelles consiste à soumettre les autorités publiques à la sanction du peuple, directement ou par la voix de ses représentants élus.»[5]  À l’exception d’une partie de l’élite, le peuple appuie les revendications des Patriotes : « À défaut d’exercer un pouvoir véritable, les notables canadiens-français s’allient à l’Église catholique. »[6]  Pour les Canadiens d’origine en affaires, comme l’Église a ses entrées auprès de l’élite anglaise maître de l’économie, la Providence divine peut devenir bonne conseillère. Ainsi, une partie de l’élite francophone du Québec s’associe à une église pour assurer son succès en affaires. Bien que la liberté de pensée soit source de créativité pour les affaires, l’ignorance est également source d’enrichissement. L’ignorance des masses convient toujours au monde des affaires, tout comme elle convient au pouvoir de l’Église. Depuis toujours, une communauté d’intérêts rattachée au pouvoir financier règne au-dessus du pouvoir de Dieu.

Dans ce contexte, les 92 Résolutions adoptées par les députés du parti Patriote demandent la création d’un gouvernement responsable pour le Bas-Canada.  Les Résolutions demandent, entre autres, le contrôle des revenus et l’élection du Conseil législatif dont les postes étaient jusqu’alors attribués aux fonctionnaires britanniques.  Les Résolutions se terminent en mentionnant que la loyauté des Canadiens envers la Couronne britannique avait été démontrée depuis la Conquête.  On rappelle que lors de la Révolution américaine et la Guerre de 1812, c’est grâce à la résistance du Québec que les États-Unis n’ont pas pris le contrôle du Dominion du Canada britannique.

Dès les Résolutions connues, un appel aux armes est lancé par les Anglais de Montréal.  Le British Rifle Corps est créé, puis un parti politique, nommé Constitutionnels.  Un nom très contradictoire, car il conteste l’application d’une constitution démocratique britannique au Bas-Canada.  Le fondateur du parti est Adam Thom, « un suprématiste ultra convaincu de la supériorité de la race anglo-saxonne, qui dans son journal, le Montreal Herald, incite les Anglais à prendre les armes pour écraser les aspirations démocratiques de l’audacieuse majorité canadienne. »[7] Les revendications du parti Patriote consistent essentiellement dans une plus grande démocratisation de la société à l’intérieur du cadre de la constitutionnel britannique.  Les Anglais du Haut-Canada, majoritaires dans cette colonie, partagent également les aspirations du parti Patriote, tandis qu’au Bas-Canada, « les Anglais de Montréal vomissent les Canadiens à un point tel qu’ils préfèreraient être soumis aux Yankees. »[8]   Le problème pour les Anglais de Montréal est le triomphe constant de la majorité francophone aux élections désignant les représentants du peuple à l’Assemblée. En 1834, les élections octroient 77 sièges sur 88 au parti Patriote, soit 483 739 voix contre 28 278 pour le parti Constitutionnels.

En 1837, trois ans après le dépôt des 92 Résolutions, les tensions sont à leur comble.  À Montréal, la maison de Papineau est attaquée devant une police impassible ayant été épurée des sympathisants aux idées démocratiques du parti Patriote. « Une assemblée des Fils de la liberté, un groupe de jeunes patriotes, est interrompue par des fiers-à-bras du Doric Club, la milice des Anglo-Montréalais. »[9] Le blocage politique entre l’Assemblée élue et le Conseil législatif désigné par la Couronne britannique rend l’administration de la colonie impossible.  Le gouverneur Gosford démissionne remettant ainsi ses pouvoirs au général Colborne.  Prétextant une insurrection appréhendée, il lance une série de mandats d’arrêt contre 26 personnalités politiques du parti Patriote dont Papineau et Nelson.  Selon l’historien Gérard Filion, l’échauffourée entre le Doric Club et les Fils de la liberté aurait été un complot pour permettre à Colborne de justifier les mandats d’arrêt contre les Patriotes.[10] « Les Anglais de Montréal ont obtenu ce qu’ils voulaient depuis des années : le combat politique se transforme enfin en confrontation armée! »[11]  En situation de force, les Anglais provoquent les hostilités contre les Francophones du pays, certain de s’en sortir victorieux.

Une résistance improvisée s’organise du côté des Patriotes qui, s’étant toujours appuyés sur la démocratie et le droit constitutionnel anglais, n’envisageaient pas le combat armé. « Les seuls qui se préparaient à la guerre au Québec, en 1837, c’étaient les Anglais, qui considéraient la violence comme la seule façon d’étouffer les revendications démocratiques de la majorité francophone. »[12] La résistance d’un groupe de paysans armés sera matée férocement par l’armée anglaise dont certains soldats ont fait les guerres napoléoniennes. L’armée britannique bénéficie de l’appui des milices volontaires anglaises composées d’Orangistes fanatiques prêts à faire le sale travail.  Plusieurs villages autour de Montréal seront incendiés, pillés, les femmes violées, les paysans volés ou assassinés et leur bétail volé.  À Saint-Eustache, les Anglais mettent le feu à l’église où quelque deux cents patriotes se sont réfugiés. Ils abattent ceux tentant de s’enfuir par les fenêtres. Le village subira le pillage et la destruction perpétrés par les fanatiques anglais. « Un officier du 83e Régiment qui a fait la guerre d’Espagne dira qu’il « égalait, s’il ne surpassait pas, ce dont il avait été témoin lors du sac de Badajos. »[13]Cela illustre bien le niveau horrible des exactions commises par les Anglais envers les francophones habitant le pays. « Le sac de Badajoz, acte de sauvagerie gratuite, a été retenu par de nombreux historiens comme un exemple de conduite particulièrement atroce de la part de l'armée britannique. »[14] Entre le prestigieux Royaume d’Espagne et la petite province de Québec, l’histoire du monde ne se souvient pas du sac de Saint-Eustache, mais bien de celui de Badajoz.

La bataille de Saint-Eustache

Source : Lithographie de Nathaniel Hartnell d’après un dessin de Lord Charles Beauclerk. — banq.qc.ca, Domaine public

Le Montreal Herald appelle au génocide des Canadiens d’origine. Son édition du 14 novembre 1838, rapporte la destruction de la ville de Laprairie où aucune maison rebelle n’est debout encore, tout en versant une grosse larme de crocodile sur les familles dont les habitations et les réserves de nourriture ont été détruites à l’approche de l’hiver. L’éditeur Adam Thom écrit : « Néanmoins, il faut que la suprématie des lois soit maintenue inviolable, que l’intégrité de l’Empire soit respectée, et que la paix et la prospérité soient assurées aux Anglais, même aux dépens de la nation canadienne entière. […]  Pour avoir la tranquillité, il faut que nous fassions la solitude : balayons les Canadiens de la face de la terre. »[15]

Lord Durham, dépêché par la Couronne britannique pour rendre compte de la situation, prend comme l’un de ses conseillers nul autre que Adam Thom, l’éditeur raciste du Montreal Herald. Lord Durham, dans son rapport sur les origines des troubles de 1837-38 dans le Bas et le Haut-Canada, « identifia correctement le problème à la source des soulèvements et écrivit un compte-rendu très sévère à Londres où il blâmait et condamnait les abus des autorités coloniales britanniques à Québec dans les années précédant la Rébellion des patriotes. »[16] Un jugement sévère envers l’autorité coloniale anglaise, mais pas contre les Anglais de Montréal.  Durant son séjour en 1838, Lord Durham n’a rencontré que les réformistes du Haut-Canada et les représentants des minorités anglaises du Bas-Canada.[17] Avec un tel agenda de rencontres, sans grande surprise, son rapport considère les Canadiens d’origine comme un peuple sans culture et sans histoire.

La rébellion des Patriotes est le Waterloo des francophones d’Amérique. La monarchie parlementaire britannique au service d’une caste de privilégiés l’emporte sur la république représentative des aspirations du peuple. « Les revendications des patriotes de 1837 participent déjà des grands mouvements libéraux qui vont agiter l’Europe en 1848 et en 1849. »[18]  Le printemps des peuples de 1848 est la conséquence du Congrès de Vienne de 1815.  À la suite de la défaite de Napoléon, les monarchies furent restaurées dans les États conquis par la France républicaine.  À l’occasion du redécoupage de l’Europe à Vienne, les monarchies impérialistes étendirent leur empire au détriment de la volonté des peuples, ce qui entraîna le printemps des peuples de 1848. Les revendications des Patriotes du Bas-Canada reflètent bien l’idéologie des Lumières et présagent l’organisation démocratique des peuples en nations souveraines.


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[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Haïti en ligne 2 novembre 2020
[2] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p75
[3] Lacoursière, Jacques, Histoire populaire du Québec, vol.2, Québec, Septentrion, 1997, p.208-209.
[4] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p75
[5] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p78
[6] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p141
[7] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p80
[8] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p85
[9] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p90
[10] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p91
[11] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p90
[12] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p96
[13] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p95
[14] https://fr.wikipedia.org/wiki/Siège_de_Badajoz_(1812)
[15] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p95
[16] Bouchard, Serge, Les francophones d’Amérique : une communauté de destins, Conférence, 28 mai 2012, Forum de la Francophonie canadienne, En ligne 2 novembre 2020 : https://sqrc.gouv.qc.ca/francophonie-canadienne/mecanismes-concertation/forum-francophonie/forum-2012/documents/conference-serge-bouchard.pdf
[17] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p132
[18] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p74


© Bastien Guérard, 2021

L’incendie du Parlement : l’autodafé de la culture francophone d’Amérique

En réponse au rapport Durham, l’Acte d’Union de 1840 donne satisfaction aux Anglais de Montréal : regroupés, les anglophones du Haut-Canada et du Bas-Canada forment maintenant démocratiquement une majorité pouvant imposer son bon vouloir à la minorité francophone. « Il suffit d’un seul candidat anglophone élu dans le Bas-Canada pour que les francophones soient minoritaires, car tous ceux du Haut-Canada sont anglophones. »[1] Les Anglais sont majoritaires au Canada, la démocratie britannique est donc réalisable à l’échelle le pays. Les francophones n’ont qu’à se soumettre devant la grandeur de la civilisation britannique.  Toutefois, les Anglais croient encore fermement que les francophones doivent les remercier pour avoir implanté la démocratie au pays.

La satisfaction anglaise est de courte durée. Lorsque le nouveau gouvernement responsable veut voter une loi indemnisant partiellement les habitants du Bas-Canada pour les exactions des soldats britanniques et des milices anglaises lors des évènements de 1837-38, les Anglais sont outrés. Pourtant, « une pareille mesure a déjà été adoptée, alors que les tories étaient au pouvoir, pour indemniser les victimes de saccages au Haut-Canada sans que cela provoque la moindre controverse. »[2]  Mais là, il s’agit de victimes francophones, donc certainement de vils rebelles à la noble cause de l’expansion de l’ordre britannique.  À la tête de cette nouvelle attaque frontale contre les francophones, on retrouve Allan McNab qui dirige le parti Tory. Pour celui-ci, de manière paradoxale, si l’on considère les souhaits britanniques depuis la Conquête, cette loi conduite par le duo Lafontaine-Baldwin représente l’échec de l’Union ; « Elle fut créée pour l’unique motif d’assujettir les Canadiens français à la domination anglaise. »[3] Toutefois, le gouverneur général Lord Elgin, a retardé autant que possible la sanction royale dans l’espoir que les Anglais se calment.  Il approuve la loi le 25 avril 1849, sur le principe du droit britannique, ne voyant aucune raison de refuser des indemnités pour les gens du Bas-Canada comme celles votées pour les gens du Haut-Canada.  Le jour même, The Montreal Gazette publie une édition spéciale en après-midi incitant au soulèvement populaire.  Un extrait a le mérite d’être clair et représente bien l’idéologie promue par ce journal :« Anglo-Saxons, vous devez vivre pour l’avenir; votre sang et votre race seront désormais votre loi suprême, si vous êtes vrais à vous-mêmes. Vous serez Anglais, dussiez-vous n’être plus Britanniques. »[4] Le texte se termine par un appel à un rassemblement sur la Place d’Armes à huit heures le soir même et par ses mots : « La foule doit s’assembler sur la place d’armes, ce soir, à huit heures. Au combat, c’est le moment ! »[5]  Avec à leur tête le chef de brigade des pompiers de Montréal, Alfred Perry, les Anglais mettront le feu au Parlement pendant que l’Assemblée siège.  Lorsque d’autres brigades de pompiers arriveront pour éteindre le feu, les émeutiers couperont les boyaux d’arrosage.  Le feu se propage à la bibliothèque du Parlement et au Conseil législatif. À l’extérieur, les Anglais célèbrent la destruction de cette institution démocratique dévaluée par une trop forte représentation étrangère, française de surcroît.  Le dernier député à sortir est ce même Allan McNab, il s’est attardé pour sauver le portrait de la reine Victoria.  Portrait aujourd’hui au Parlement à Ottawa pour souligner le respect de cet homme qui a sauvé l’essentiel de la démocratie britannique : la chimère en chef.

L’incendie de la bibliothèque du Parlement du Canada-Uni représente une catastrophe pour la colonie, que l’historien François-Xavier Garneau nomme « notre désastre d’Alexandrie. » Cette bibliothèque provient de la fusion des bibliothèques parlementaires du Bas-Canada et du Haut-Canada. « La bibliothèque législative du Bas-Canada qui datait de 1802, une des toutes premières du genre en Occident, avec celles du Congrès américain, à Washington, et la Chambre des députés, à Paris. » [6] En 1816, lorsque Papineau préside l’Assemblée du Bas-Canada, il favorise l’acquisition d’ouvrages tant en France qu’en Angleterre.  La bibliothèque parlementaire du Bas-Canada, de ce peuple illettré et sans histoire comme Lord Durham le proclama pour justifier l’Acte d’Union, fut créée 16 ans avant la bibliothèque de la Chambre des communes en Angleterre.  Elle comprenait des milliers de livres lorsqu’elle fut fusionnée à celle du Haut-Canada qui n’en comportait que quelques centaines.  Les Anglais ont détruit « la plus importante collection de livres d’histoire au pays, la collection de droit la plus complète et les meilleures éditions sur des sujets comme les sciences naturelles, les lettres et la géographie. »[7] Après la destruction de ce centre de savoir bilingue, les institutions parlementaires canadiennes ne siègeront plus au Québec. Au nom de la démocratique à l’anglaise, les francophones sont privés d’une riche bibliothèque, un élément porteur de la Révolution industrielle en marche. L’incendie de la bibliothèque du Parlement de Montréal par les colonisateurs britanniques réprime les idéaux des Patriotes porteurs des aspirations des Lumières. Elle réprime également toute la nation francophone.

L’incendie du Parlement à Montréal en 1849

Source : Collection du Musée Stewart

Les idéaux des Lumières ont conduit au libéralisme, doctrine avancée par Montesquieu et John Locke, et fondée sur la liberté de l’individu maître de son destin. Cette philosophie de la vie, libératrice des dogmes religieux monarchistes, défend la liberté d’expression et d’association.  Conscients d’eux-mêmes comme forces motrices du pays, les individus se reconnaissent entre eux comme peuple formant des nations pouvant élire leurs dirigeants : « L’une des principales demandes de Louis-Joseph Papineau et du Parti patriote, qui souhaitent que les lois de la colonie soient dorénavant votées et rédigées par des personnes élues par le peuple, et non plus nommées par le gouverneur. En d’autres termes, on demande la mise en place de la démocratie ! »[8]   Les revendications des Patriotes étaient avant-gardistes, car le Printemps des Peuples n’arrive qu’en 1848. Il symbolise le point culminant d’un ensemble de réformes en Europe où nous assistons à la création des États Nations au détriment des monarchies traditionnelles : L’Italie prend forme au détriment de l’État du Vatican, l’Allemagne se constitue, la Belgique et la Grèce accèdent à l’indépendance.  L’écroulement de l’impérialisme ambiant voit naître des pays comme la Pologne et la Roumanie. Toutefois, au Québec, un idéal de liberté démocratique fut incendié par les colons anglais. Après cet incendie, plusieurs Canadiens d’origine et des Métis de l’Est partiront vers l’Ouest sauvage,[9] un horizon de liberté à l’image de l’Amérique ancestrale.

De cette époque tumultueuse, le Québec a hérité de la Société Saint-Jean-Baptiste créée par le journaliste Ludger Duvernay, éditeur du journal patriote La Minerve. Sa création est en réaction à la mouvance anglaise antifrancophone.[10]  Depuis la Conquête, l’élite marchande anglaise, surnommée la Clique du château, organise un banquet annuel le 24 juin : banquet d’où sont exclus les Canadiens d’origine. « C’est ainsi que le 24 juin 1834, par un pied de nez magistral à toute cette oligarchie anglaise qui dominait la ville, Ludger Duvernay et ses amis convoquèrent un banquet pour fêter la nation. »[11]  En 1837, la Saint-Jean-Baptiste, suivant la proposition du parti Patriote, encourage le peuple à boycotter les produits importés en ne servant que des produits locaux à l’occasion de son banquet.[12]  Après une interruption des festivités de 5 ans suite à la Rébellion des Patriotes, des Sociétés Saint-Jean-Baptiste se forment dans toutes les paroisses pour célébrer la nation, et ainsi éviter l’assimilation.  Le pied de nez aux Anglais du 24 juin devient la fête nationale du Québec.  En 1843, Duvernay fonde l’Association Saint-Jean-Baptiste à partir des entités paroissiales indépendantes pour mieux répondre à la mission originale de l’organisme, soit la diffusion du goût de la lecture et de l’écriture au sein de la jeunesse.[13] L’accès aux savoirs et à la connaissance est fondamentalement le but original des Sociétés Saint-Jean-Baptiste. À l’occasion de la création de l’Association des Sociétés Saint-Jean-Baptiste, un premier défilé est organisé à Montréal regroupant les différentes sociétés.

En 1834, lors de la première célébration du 24 juin, Ludger Duvernay porta la première santé en l’honneur du « peuple, source de toute autorité légitime ».[14] Un souhait toujours d’actualité, car le pouvoir oligarchique de certaines castes domine toujours nos sociétés pendant que les religions distraient le peuple en remettant toujours en question l’épanouissement des personnes. On ne punira jamais les incendiaires anglais du Parlement de Montréal, pas plus que ceux qui ont tenté de mettre le feu à la maison de Lafontaine avec l’intention de le pendre dans son jardin quatre mois plus tard.  Bien au contraire, car aujourd’hui, le pavillon principal de l’hôpital Douglas de Verdun, honore le pompier incendiaire du Parlement et de sa bibliothèque: cet édifice se nomme Pavillon Perry.[15]  Chaque peuple a ses héros.

En 1849, lors de l’incendie du parlement à Montréal par les anglophones, « la bibliothèque, en particulier, constitue une cible de choix. Il se trouve là plus de 25 000 livres, de même que des documents d’archives qui datent des origines de l’Amérique coloniale. »[16]  Après la destruction par le feu des codex mayas en 1561, l’incendie de la bibliothèque du Parlement représente l’un des plus grands autodafés de l’histoire d’Amérique.[17] En regard au lien étroit des francophones d’Amérique avec les cultures autochtones, cet incendie représente l’anéantissement de rares traces écrites de la culture autochtone. Toutefois, l’objectif est de priver cette francophonie d’Amérique de l’accès aux savoirs à la base de l’avancement social, tout en effaçant les traces écrites de la culture francophone d’Amérique.  Un incendie dans l’esprit du rapport Durham qui avançait déjà dix ans auparavant que le peuple francophone d’Amérique « c’est un peuple sans histoire et sans littérature. »[18]


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[1] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p142
[2] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p115
[3] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p113
[4] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p117
[5] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p117
[6] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p120
[7] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p120
[8] http://www.mndp.qc.ca/education-et-action-culturelle/jeu-en-ligne/connais-tu-ton-histoire-des-patriotes/ en ligne 2 novembre 2020
[9] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p143
[10] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p81
[11] https://ssjb.com/ssjb/historique-de-la-fondation-de-la-societe-saint-jean-baptiste-de-montreal/ en ligne 16 décembre 2020
[12] https://www.fetenationale.quebec/fr/a-propos/histoire en ligne 16 décembre 2020
[13] https://ssjb.com/ssjb/historique-de-la-fondation-de-la-societe-saint-jean-baptiste-de-montreal/ en ligne 16 décembre 2020
[14] https://ssjb.com/ssjb/historique-de-la-fondation-de-la-societe-saint-jean-baptiste-de-montreal/ en ligne 16 décembre 2020
[15] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p124
[16] https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/593091/l-attaque en ligne 11 janvier 2021
[17] https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/593091/l-attaque en ligne 11 janvier 2021
[18] https://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/Rbritannique_Durham.htm en ligne 12 avril 2021


© Bastien Guérard, 2021

L’évolutionnisme de Darwin et la nouvelle dynamique mondiale

La théorie de l’évolution attaque les fondements de l’Église.  L’Église catholique reste créationniste jusqu’en 1961. À la veille de Vatican II, elle rompt avec un vieux serment de 1910 qui interdisait de parler de concept moderne remettant en cause les dogmes de l’Église. Le pape, Jean-Paul II, ne reconnaît la théorie de Darwin qu’en 1996.  Plus un dogme est ancré profondément dans le ciment social, plus il est difficile d’en accepter le changement.  Ainsi, aux États-Unis parmi les nombreux courants religieux, le créationnisme demeure bien vivant. Il fait partie du programme scolaire dans plusieurs communautés du pays.

La possibilité de pouvoir s’exprimer librement sur le principe de l’évolution suivit un long processus avant son acceptation, même pour Darwin !  Darwin a terminé son voyage d’exploration de cinq ans en 1836, mais ne publia « L’origine des espèces » qu’en 1859.  Bien que l’idée eût germé en lui, il devait la démontrer scientifiquement pour pouvoir faire face à la résistance des idées établies par les dogmes religieux.  Dans les faits, Darwin publia son livre 20 ans après l’avoir écrit, lorsqu’il apprit qu’un naturaliste, Alfred Russell Wallace, souhaitait publier un ouvrage arrivant à la même conclusion que la sienne.  Il est réconfortant de se sentir appuyé pour avancer dans la société une nouvelle idée révolutionnaire.

L’idée de l’évolution n’est pas une idée exclusive à Darwin.  Il faut reconnaître en lui le catalyseur d’une pensée en émergence à l’époque. Darwin se réfère à des ouvrages antérieurs pour soutenir sa théorie : l’incontournable Aristote, l’un des grands observateurs de notre monde, et plus proche de son époque les ouvrages des naturalistes Buffon et Lamarck.  Les naturalistes, pratiquant la botanique, la minéralogie et la zoologie, avaient soulevé certaines interrogations à la suite d’une étude plus approfondie dans ces domaines.  La disparition des espèces avait été observée, mais trouvait son explication dans l’histoire biblique du Déluge.  La théorie des catastrophes développée à l’époque concordait avec cet épisode biblique.  Toutefois, Lamarck au début du XIXe siècle remarque la transmission des caractéristiques physiques à la descendance. Il suggère qu’à l’usage des caractéristiques se conservent et d’autres disparaissent entraînant l’amélioration des espèces.

À l’époque, de nombreux indices convergent vers l’évolution. Ainsi, la colonisation du monde par les pays européens et le contact avec des sociétés techniquement moins développées soulèvent la possibilité d’une évolution humaine.  De plus, le développement industriel démontrait que le monde n’était pas immuable.  En fait, le principe de l’évolution était accepté, mais pas la théorie de l’évolution par la sélection naturelle. Le tour de force de Darwin a été d’en expliquer l’essence de manière scientifique.

La sélection naturelle repose sur deux principes.  La sélection pour la survie qui permet d’arriver à l’âge de la reproduction grâce à l’adaptation au milieu et la sélection sexuelle qui permet de trouver un partenaire pour se reproduire en démontrant des qualités supérieures. Dans ces conditions, la force est l’argument ultime lorsqu’une créature ne peut démontrer ces qualités supérieures simplement par sa prestance.

Les deux volets de la théorie de l’évolution fonctionnent en équilibre, ils s’additionnent.  Les mieux adaptés à l’environnement survivent et les plus forts se reproduisent. Dans la société humaine, la méritocratie existe depuis toujours ; elle dynamise la volonté de réussite, elle sert de modèle aux nouvelles générations. Toutefois, l’élite des peuples oriente les idéaux de la société pour renforcer les croyances servant son prestige. Pour qu’une élite puisse se maintenir, la société doit promouvoir les valeurs qu’elle a adoptées, ainsi, des sociétés vont valoriser le plus fort, d’autres la bienveillance envers son environnement.

Dans les sociétés chrétiennes, musulmanes ou juives, la conception de l’univers avance que l’espèce humaine domine l’environnement que Dieu avait créé pour elle. Ainsi cette philosophie applique la loi du plus fort : l’Homme par sa puissance technologique peut forcer l’environnement à s’adapter à lui.  L’élite confortée par les dogmes d’une religion affirmant son autorité de droit divin, justifie l’exploitation à outrance de son environnement en s’appuyant sur une construction idéologique humaine. Les temples et autres églises sont des constructions permanentes démontrant la dominance humaine sur la Nature qui renforcent le prestige des croyances. Cette approche dénature les lois naturelles de l’évolution : elle simule une adaptation à l’environnement grâce à la force technologique. Cela conduit à la création d’une société élitisme où l’épanouissement de l’individu repose sur la répression de tout ce qui s’oppose à son enrichissement personnel, tant l’environnement naturel qu’humain.

Dans les sociétés autochtones, les personnes démontrant le plus de bienveillance par leurs actions dirigent la destinée du peuple : le plus habile domine.  Dans cet esprit de bienveillance, les sociétés autochtones se sont également bien adaptées à l’environnement tout en respectant l’autre principe de l’évolution : les mieux adaptés survivent. Avant l’arrivée de Christophe Colomb, la population de l’Amérique du Nord était supérieure à celle de l’Europe.[1] Ceci semble indiquer qu’une application équilibrée du principe de l’évolution favorise un meilleur épanouissement de la société.

L’Europe en dominant le commerce mondial renforce l’idée que les plus forts survivent; l’abondance des ressources extérieures oblitère la partie de la théorie stipulant que les mieux adaptés à l’environnement survivent. En pleine révolution industrielle et scientifique, les Occidentaux croient exactement le contraire : ils pensent pouvoir adapter l’environnement à leurs besoins.  Dans le contexte de la révolution industrielle, la théorie de l’évolution favorise l’émergence de l’élitisme entre les peuples comparant le niveau de développement de chacun en fonction de sa conception de la modernité. La compétition dans le développement de l’industrie, du commerce, des techniques et la colonisation entre les diverses nations, entraîne le développement de théories racistes.

La théorie de la sélection naturelle fut autant remise en question qu’exploitée à outrance. La découverte des gènes, puis de l’ADN dans les années 1950, confirme la théorie de l’évolution en démontrant la proximité génétique de certains organismes, tout en en désavouant l’existence de races chez les humains.

Le XIXe siècle est marqué par la révolution des techniques, mais également par celle des idées. Ce n’est pas sur la foi que la théorie de l’évolution a le plus grand impact, mais plutôt sur la façon dont les gens se perçoivent dans ce monde en plein essor scientifique.  La théorie de l’évolution apporte à la société européenne une nouvelle conception du monde dans laquelle elle occupe une place centrale.  La révolution industrielle, l’exploitation des matières premières venues des colonies, le développement de richesses par le capitalisme conforte l’Occident dans son idée de supériorité face aux autres peuples.  Son avance technologique permet d’imposer sa domination commerciale sur le monde en important des matières premières en Europe et en exportant des produits finis à travers des empires internationaux.

Les puissances coloniales européennes parcourent la planète d’un bout à l’autre pour étendre leur marché, jusqu’à ce que toutes les terres du globe soient découvertes. La Conférence de Berlin en 1885 représente le summum du colonialisme européen.  Elle établit les frontières des empires impérialistes européens à travers le monde pour les partages des marchés coloniaux sous leur contrôle. Cet accord tiendra jusqu’à l’éclatement de la Première Guerre mondiale, lorsque l’espace du marché colonial ne répond plus au besoin de croissance des entreprises nationales.  Le conflit commence entre les puissances européennes pour le contrôle des zones commerciales dans les Balkans se détachant d’un Empire ottoman en déclin.

En 1453, la prise de Constantinople par l’Empire ottoman modifia les routes de commerce et favorisa la découverte de l’Amérique modifiant la dynamique mondiale. Une nouvelle dynamique à la défaveur de l’Empire ottoman et des nations autochtones d’Amérique. Le déplacement du pôle de commerce mondial, jumelé à l’acceptation de la théorie de l’évolution eut un impact sur les nations en pleine révolution industrielle. Ainsi des empires en fin de cycle de vie passent pour des peuples dégénérés, tandis que les empires en émergence se considèrent comme des peuples supérieurs. À la marge des vieux centres commerciaux européens, un nouveau centre adapté au commerce mondial émerge, à savoir l’Empire britannique, alors que le plus vieil empire inadapté à la nouvelle dynamique, l’Empire ottoman, disparaît.

En marge de cette nouvelle dynamique mondiale prend forme la nation québécoise, un peuple de colons colonisés par un colonisateur plus pragmatique.  Dans ce contexte une nouvelle dynamique de colonisation s’installe pour les francophones catholiques d’Amérique. Un équilibre de la sélection naturelle se forme à travers l’exploitation du sirop d’érable qui illustre sa capacité d’adaptations à un environnement rigoureux et la puissance mondiale de la langue française comme source de connaissances.  Cette situation particulière lui permet de conserver un pouvoir d’attraction pour sa culture. Cette dynamique s’est manifestée lors de l’immigration irlandaise.

Après 1840, une nouvelle vague d’immigrants irlandais s’intègre facilement à la population francophone : ils sont catholiques et partagent également l’expérience d’avoir été conquis par les Anglais : « Un des bienfaits que son annexion à la Grande-Bretagne apportera à l’Irlande, c’est la grande famine des années 1840, provoquée par la Gentry anglaise… Il faudra aux Irlandais cent vingt et un ans de lutte pour se soustraire à l’affection encombrante des Anglais et obtenir leur indépendance. »[2]  L’arrivée des Irlandais parmi les Francophones n’est pas nouvelle, car déjà dans la seigneurie de Rivière-du-Loup « aux premières années du Régime britannique, des centaines de Canadiens français et d’Irlandais s’y établissent en bon voisinage, unis par la religion catholique et par leur commune détestation des Anglais. »[3] À l’époque la langue celte était en usage en Irlande; l’anglais devient la langue du pays à la suite de sa conquête par les Anglais.

Déclin de la langue irlandaise en Irlande

Source : https://i.redd.it/h6s8snwdayq11.jpg

Cette assimilation de la langue anglaise par les Irlandais est une démonstration de la grandeur de l’Empire britannique selon le journal The Gazette, portevoix de l’impérialisme anglo-saxon : « ses fantasmes impérialistes amènent même le journal à citer en exemple aux Canadiens le cas de l’Irlande, qui participe depuis 1800 « to the glory, unity or prosperity of this great empire. »[4] (à la gloire, à l’unité ou à la prospérité de ce grand Empire.) L’arrivée des Irlandais, survivants de la famine, parmi les francophones du pays, a plutôt contribué à la méfiance ambiante envers les Anglais. Dans ces conditions, sans doute que plusieurs Irlandais, délaissant la langue celte, ont préféré s’assimiler à la langue française sur les rives du Saint-Laurent.  Au Québec, les Irlandais s’assimilent au rêve francophone de liberté plutôt qu’à la race conquérante des puissants seigneurs anglais, à l’instar de plusieurs autres habitants du Bas-Canada.

Rappelons la portée universelle du rêve de liberté des Patriotes tel qu’illustré sur leur drapeau : le vert pour l’Irlande, le blanc pour la France et le rouge pour l’Angleterre ! [5] Un rêve de liberté lucide portée par la force des idéaux de l’époque des Lumières, tout en vivant en harmonie avec son environnement à travers les érablières. La sélection naturelle a conduit le Québec au développement d’un modèle socioéconomique sucre d’érable plus respectueux de l’environnement humain et naturel que le modèle socioéconomique sucre blanc émergent de l’Occident.


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[1] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p61
[2] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p85
[3] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p274
[4] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p84
[5] http://www.mndp.qc.ca/education-et-action-culturelle/jeu-en-ligne/connais-tu-ton-histoire-des-patriotes/ en ligne 2 novembre 2020


© Bastien Guérard, 2021

La pensée Pur laine voile l’esprit Pur Sirop

Après l’échec de la Rébellion des Patriotes, les Canadiens d’origine sont tétanisés.  La création d’un Canada Uni réduit les pouvoirs politiques dont ils disposaient dans le Bas-Canada et qui leur procuraient un levier important pour leur progrès social et économique. « Les principaux hommes politiques du pays sont en exil. Le clergé occupe ce vide politique, au grand plaisir des Anglais qui voient le bon peuple retourner à des occupations plus proches de ses qualités. »[1] Seul le clergé catholique a le pouvoir de rassembler le peuple francophone d’Amérique, marginalisé tant au niveau politique qu’économique. Comme le clergé a des accointances avec les conquérants britanniques depuis la Conquête, il devient l’intermédiaire de circonstance. Dès lors, l’Église guide la destinée de ce peuple francophone en survivance dans un continent anglo-américain.

L’Église catholique, grande complice du pouvoir monarchique, s’installe au cœur de la nation des Canadiens d’origine. Elle travaille à faire de ses fidèles de bons et loyaux sujets de la Couronne britannique, en les présentant au Conquérant comme de bons catholiques descendants de colons français.  Dire que les Québécois sont exclusivement des descendants de bons catholiques français établis en Amérique est contraire à la réalité ; toutefois, cela rehausse le respect des occupants anglais envers la population francophone.

La rapide distanciation culturelle des Québécois d’avec la France métropolitaine en raison des liens privilégiés établis avec les Amérindiens, ne doit pas être connue des Anglais.  Cette manœuvre vise à cacher cette réalité aux Anglais, car déjà à l’époque de la Nouvelle-France les recensements indiquent Canadien, pour distinguer les colons ensauvagés des Français. Rappelons que, pour justifier la déportation des Acadiens, les Anglais prétextaient qu’ils s’étaient ensauvagés : en effet plusieurs Acadiens s’étaient mariés à des Micmacs et à des Abénakis. Selon l’historien Denys Delâge, il devient important pour les Canadiens d’origine de se faire reconnaître comme un peuple européen.[2]  Ils ne veulent pas subir le même sort que leurs alliés acadiens et amérindiens qui ont été dépossédés de leurs terres.

Les Anglais avaient déporté les Acadiens en 1755, puis conquis la Nouvelle-France en saccageant la vallée du Saint-Laurent et bombardant la population civile. Après l’armée britannique a utilisé la guerre bactériologique contre leurs alliés autochtones et anéanti leurs espoirs nationaux lors de la Guerre de 1812. Ensuite, le parti Patriote, entretenant également des espoirs nationaux, reçoit des Anglais, en guise de réponse, la destruction des fermes et l’incendie des villages francophones, puis en 1839 la pendaison de 12 patriotes ainsi que la déportation de 58 autres en Australie.[3] Enfin, au nom de l’établissement d’une démocratie de type anglais, la fusion du Haut-Canada avec le Bas-Canada en 1840 rend les Canadiens d’origine minoritaires à jamais dans cette démocratie alambiquée. Après tant de calvaires, le peuple était à genou et il ne lui restait plus qu’à prier pour sa délivrance.

L’Église devient le refuge des Canadiens d’origine, étant donné qu’elle bénéficie de la clémence des Anglais. En reconnaissant le pouvoir de la Couronne britannique, elle a obtenu des privilèges lui permettant de maintenir son autorité sur le peuple, à condition de bien s’acquitter de la gestion de ses sujets catholicos-britanniques.  Un arrangement qui convient aux Anglais en attendant la dissolution de ce peuple conquis dans l’Empire britannique. Ainsi, les Canadiens d’origine se présentent comme de purs descendants français d’avant la Révolution française, respectueux de la monarchie de droit divin.  De cette façon, les Francophones d’Amérique cachent leur métissage culturel avec les autochtones, métissage que les Anglais méprisent. À long terme, c’est une histoire différente de la formation du peuple francophone en Amérique qui est occultée de la mémoire collective. Tranquillement, les Canadiens d’origine diluent ainsi une partie de leur identité.

Au XIXe siècle les thèses racistes ont conduit à la distinction entre peuples avancés et peuples arriérés. Pour éviter d’être assimilés à ce dernier groupe, les Canadiens d’origine se disent dans un premier temps Canadiens Pur Français, puis Canadiens Pur Laine. Étant donné le peu de respect des Anglais envers les autochtones, et afin de se distinguer de ces derniers, les Canadiens d’origine ont tenu à se déclarer descendants de français pure laine.  Cette expression leur permet de se surclasser dans la compétition mettant en jeu la pureté des races : pour obtenir un certain respect, on se couvre d’une laine, suivant ainsi la mode anglaise. L’expression Pure Laine est une façon de se protéger du racisme anglais qui n’avait aucun respect pour les nations autochtones. Les peuples européens étaient les plus nobles dans la hiérarchie des races. À une époque où le concept de la sélection naturelle de Darwin émerge en contradiction avec les enseignements de la Bible, paradoxalement l'Église catholique utilise les thèses racistes en découlant pour préserver ses ouailles en se présentant comme protectrice de la race canadienne-française. En se qualifiant de Pures Laines et en devenant d’obéissants catholiques, les Canadiens d’origine évitent l’erreur des Acadiens qui ont été perçus par les Anglais comme étant trop proches des Autochtones.

Comme Roy Dupuis le dit dans le documentaire L’empreinte, il demeure une vague fierté d’avoir du sang amérindien.[4]  Une fierté associée à une insécurité à le dire par une crainte en rapport à nos racines. L’expression On n’est pas des sauvages dissimule un doute sur nos origines. Nous cachons une vérité.  La répétition de l’expression On n’est pas des sauvages exprime l’inconscient qui revendique au conscient que nous sommes des sauvages, comme le note la psychanalyste Jacqueline Lanouette.[5]

La cabane à sucre dans le fond du champ symbolise trop bien le caractère autochtone des Canadiens d’origine; la description faite des premières cabanes à sucre est éloquente : « sorte de tente circulaire avec ouverture centrale au toit pour laisser échapper la fumée, la cabane à sucre serait tout bonnement la réplique d’un campement nomade. »[6] Toutefois, au début du XIXe siècle, la cabane à sucre permanente, le modèle actuel, apparaît dans le paysage pour remplacer les tipis de facture trop amérindienne.  L’époque coïncide avec celle où les Canadiens d’origine, craignant de paraître trop autochtones, s’efforcent d’effacer aux yeux des Anglais leurs racines métissées. Les Canadiens d’origine sont inconsciemment encouragés vers la modernité et la création d’une identité culturelle par les Anglais.  C’est pourquoi l’expression Pur Sirop représente mieux l’identité québécoise que l’expression Pure Laine.

L’historien Denys Delage évoque ce sujet à débat : « cette peur des Canadiens français des XIXe et XXe siècles de « passer pour des Sauvages » constitue, me semble-t-il, un aspect fondamental de leur identité. »[7]  Il demeure que son identité amérindienne a été occultée au cours des années. Pour défendre sa position dogmatique, l’Église a tellement bien travaillé à détacher la culture québécoise de la culture autochtone, qu’avec le temps peu de personnes y reconnaissent leur racine.

La position de l’Église face aux racines métissées des Canadiens d’origine a contribué à l’effacement de la mémoire autochtone dans la désignation des lieux sur notre territoire : « la commission de Géographie du Québec qui à partir de 1912 a supprimé des milliers de noms amérindiens. »[8] Au début du XXe siècle, les noms autochtones sur les cartes sont omniprésents, mais ils ne conviennent pas au développement selon les gens poursuivant une Destinée manifeste dans les terres sauvages d’Amérique pour le bien de l’humanité. Le développement doit cadrer avec les concepts occidentaux. Le secrétaire de la société géographique d’alors, Eugène Rouillard, nous l’explique :
« Sait-on tout le tort que cette manie des noms sauvages nous fait à l'étranger ? Jetez, Mesdames et Messieurs, un coup d'œil sur les cartes géographiques de notre pays, et, en particulier sur certaines régions de notre province : ne croirait-on pas y voir un immense campement de Peaux-Rouges ? Feuilletez les horaires des compagnies de chemin de fer [...] et vous constaterez, avec épouvante, que la majorité des stations sont décorées de noms sauvages choisis parmi les plus repoussants et les plus rébarbatifs. »[9]

On ne peut exprimer de façon plus manifeste la volonté de se conformer à la morale occidentale pour le bien du développement en n’effrayant pas les investisseurs étrangers par la présence de noms barbares.  Il est paradoxal que le même peuple ayant contribué à la préservation des noms autochtones à travers l’Amérique souhaite les effacer de son territoire pour bien paraître aux yeux du conquérant.

 

Saint-Jean-Baptiste, Montréal, 1872

Source : William Notman, http://collections.musee-mccord.qc.ca/fr/collection/artefacts/I-75801.1

L’expression pure laine prend son origine du défilé de la Saint-Jean-Baptiste de 1855. Le tailleur, Alfred Chalifoux, en charge du défilé, décide d’habiller un garçon frisé d’un manteau de laine et de l’accompagner d’un mouton pour personnifier Saint-Jean-Baptiste :  « Le mouton, c’est le fils de Dieu, qui ôte les péchés du monde. »[10]D’après l’anthropologue Serge Bouchard, « l’image derrière le mot pure laine symbolise la volonté du clergé de l’époque de faire des Canadiens français des Français d’avant la Révolution ; plus catholiques, plus français que les Français. »[11]  Les aspirations des Canadiens d’origine se reflètent dans la Révolution française qui a rejeté l’Église catholique inféodée à la monarchie. À l’image de la défaite de Napoléon à Waterloo, la Rébellion des Patriotes fut le Waterloo des Canadiens d’origine. Pour ainsi dire, les Canadiens d’origine rendent les armes à une Église catholique au service de la Couronne britannique. Par le dictat de l’Église catholique, les Canadiens d’origine se plient au dictat des Britanniques. La laine, c’est très britannique, elle est à l’origine de la fortune de quelques Lords et de la colonisation anglaise de l’Amérique[12] : épousant l’imaginaire du conquérant, elle est idéale pour obtenir de la reconnaissance. Pour se conformer à l’idéal britannique et avec la bénédiction de l’Église, les Canadiens d’origine se font Canadiens Pures Laines.

En réaction à la position rigide des Britanniques colonisant le pays, la désignation Pure Laine des Québécois imprègne la mémoire collective de la vision anglo-américaine d’une colonisation chrétienne.  Dans le siècle suivant l’Union du Canada, un modèle d’histoire collective aux goûts du conquérant prend forme, qui est encore en vogue aujourd’hui :  dans l’imaginaire collectif, la survivance des Canadiens d’origine serait due à une vie en autarcie sur les rives du fleuve Saint-Laurent à la faveur de l’isolement religieux, linguistique et géographique des descendants des Filles du Roy et des hommes du Régiment de Carignan. Comme l’avance la définition anglaise de pure laine sur Wikipédia : « From the seventeenth century into the twentieth century, French Canadians lived in relative geographic and linguistic isolation. (Du XVIIe siècle au XXe siècle, les Canadiens français vivaient dans un isolement géographique et linguistique relatif.) »[13]  Cette affirmation est conforme à la vision communautariste anglaise où les Québécois représentent les résidus de l’échec de la colonisation française en Amérique.

La version anglaise de l’histoire de l’Amérique oublie l’aventure continentale francophone : le va-et-vient continental des coureurs des bois jusqu’à la fin de la traite des fourrures au milieu du XIXe siècle, puis les autres Canadiens d’origine qui partirent à l’aventure lors de la révolution industrielle ou pour la ruée vers l’or. Nombreux sont partis pour ne plus revenir, mais d’autres firent l’aller-retour pour revenir tout compte fait au Québec.  Dans toute cette aventure, les Canadiens d’origine ouvrirent le continent au monde, intégrèrent des mots autochtones à la langue française et marquèrent la culture de l’Amérique par les nombreuses traces de leur passage.

La puissance économique des colonies anglaises sur le continent a incité les nouvelles vagues d’immigration à adopter la langue du pouvoir et de l’argent de la majorité. La langue française s’est effacée peu à peu du continent comme langue de commerce partout où elle fut mise en minorité par les vagues d’immigration anglophone. Le Québec est le noyau d’origine des colons francophones d’Amérique survivant aux tsunamis de la colonisation anglophone. Bien que le principal noyau de la nation québécoise provienne des courageuses Filles du Roy et des téméraires hommes du Régiment de Carignan, les colons francophones n’ont pas l’exclusivité de la souche dite canadienne d’origine. Avant la Conquête, il y a eu du métissage avec les autochtones et après celle-ci avec les Irlandais catholiques fuyant la famine.

Dans cette confrontation entre l’hégémonie de la culture francophone et de la culture anglophone sur le territoire du Québec, la religion joue également un grand rôle. Ainsi, en 1845 des familles québécoises le long du Saint-Laurent accueillent avec bienveillance des Irlandais catholiques. Cet accueil démontre une ouverture aux autres en accord avec une époque baignant plus dans l’eau bénite que dans l’eau d’érable.  D’autres vagues d’immigration suivront, influençant la culture québécoise et vice-versa, car le Saint-Laurent demeure la porte d’entrée du Canada jusqu’au XXe siècle. Suite à la Conquête, les francophones d’Amérique vivent en relative autarcie culturelle partout sur le continent. L’influence culturelle s’exercera au profit de la religion catholique et au détriment des autres religions.

Plusieurs faits relatifs aux voyages des Canadien d’origine à travers le continent qui a nourri l’imaginaire du peuple québécois se sont perdus à cause des mensonges d’une histoire convenue servant de socle à la société anglo-américaine. Selon Serge Bouchard : « Nous ne savons plus les mythes, les mystères et jusqu’aux secrets de famille liés à cette saga, celle d’un peuple qui embrassa l’immensité́, qui traversa le continent et les cultures du continent, finissant par se mettre très souvent à risque pour s’être trop éparpillés. »[14] Toutefois, cette saga n’a été possible que par l’acquisition et l’intégration de connaissances venues des cultures autochtones : le sirop d’érable fait figure d’ambassadeur dans le domaine. En ce sens, le terme pur sirop demeure plus approprié que le terme pure laine pour désigner les Québécois.

De nos jours, pour plusieurs Anglais, les Québécois sont repliés sur eux-mêmes; l’appellation pure laine est une démonstration de leur raciste intrinsèque.[15] C’est oublier que les francophones ont ouvert le continent et c’est occulter le fait qu’ils l’ont habité en épousant l’esprit de bienveillance et d’humanité intrinsèque aux peuples autochtones. Les Canadiens d’origine ont poursuivi un rêve de liberté vers l’Ouest jusqu’à la côte de l’Océan Pacifique.  Dans ce dernier refuge d’un idéal de liberté que représente la côte du Pacifique, au bout de la piste ouverte par Michel Laframboise et Louis Pichette dans la vallée de Sacramento, naît le rêve californien.[16]L’esprit de bienveillance des Canadiens d’origine se reflète encore aujourd’hui sur la Côte-Ouest. En témoigne, la forte tendance démocrate de la Côte-Ouest aux élections américaines.

Dans ce nid francophone qu’est devenu le Québec, les Pures Laines sont devenus un peuple tissé serré, mais comme le dit avec humour Boucar Diouf, ils sont métissés serré.[17] Dans cet esprit, avec ce que nous savons maintenant de notre culture amérindienne et du rôle culturel dans l’exploitation actuelle des produits de l’érable, il serait plus juste pour les Québécois de se surnommer Pur Sirop pour célébrer sa richesse culturelle imprégnée de la bienveillance autochtone et de la savoureuse culture française pour donner le goût du Québec à ceux qui viennent au Nouveau Monde pour vivre dans un univers à saveur nouvelle.


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[1] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p107
[2] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_108_patriotes_bas-canadiens_traduits_en_cour_martiale
[4] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
[5] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
[6] Séguin, R.-L. (1967). Petite et grande histoire de la cabane à sucre. Vie des arts, (45), 40–45.
[7] Delâge, Denys, L'influence des Amérindiens sur les Canadiens et les Français au temps de la Nouvelle-France, Revue LEKTON, vol. 2, no 2, Automne 1992, pp. 103-191. Montréal : Département de philosophie, UQÀM. Numéro intitulé : L'acculturation
[8] Delâge, Denys, L'influence des Amérindiens sur les Canadiens et les Français au temps de la Nouvelle-France, Revue LEKTON, vol. 2, no 2, Automne 1992, pp. 103-191. Montréal : Département de philosophie, UQÀM. Numéro intitulé : L'acculturation
[9] Delâge, Denys, L'influence des Amérindiens sur les Canadiens et les Français au temps de la Nouvelle-France, Revue LEKTON, vol. 2, no 2, Automne 1992, pp. 103-191. Montréal : Département de philosophie, UQÀM. Numéro intitulé : L'acculturation
[10] https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/la-nature-selon-boucar/segments/chronique/34169/expression-pure-laine-serge-bouchard
[11] https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/la-nature-selon-boucar/segments/chronique/34169/expression-pure-laine-serge-bouchard
[12] Voir chapitre La Nouvelle-Angleterre dans section Commerce et colonisation
[13] https://en.wikipedia.org/wiki/Pure_laine#cite_note-Human_Genetics-12 en ligne 2 novembre 2020
[14] Bouchard, Serge, Les francophones d’Amérique : une communauté de destins, Conférence, 28 mai 2012, Forum de la Francophonie canadienne, En ligne : https://sqrc.gouv.qc.ca/francophonie-canadienne/mecanismes-concertation/forum-francophonie/forum-2012/documents/conference-serge-bouchard.pdf
[15] https://en.wikipedia.org/wiki/Pure_laine en ligne 22 novembre 2020
[16] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p290
[17] https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/la-nature-selon-boucar/segments/chronique/34169/expression-pure-laine-serge-bouchard en ligne 22 novembre 2020


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