6 – Conquête continentale anglaise

La Conquête, Guerre de Sept ans et French and Indian War

Tout commence par une escarmouche en Ohio lors d’un rendez-vous dans le cadre de pourparlers.  Les Anglais toujours plus nombreux veulent agrandir leur territoire et s’emparer par la même occasion du commerce de fourrures de la région.  Le gouverneur de la Virginie envoie un jeune commandant du nom de Georges Washington avec 120 miliciens prendre possession du fort Leboeuf en Ohio.  Les hommes de Washington tuent le messager français venu à leur rencontre pour des pourparlers.   Par la suite, Washington et ses soldats anglais combattant à l’européenne subiront une raclée de la part des Canadiens d’origine et de leurs alliés autochtones.  Cette étincelle à une frontière lointaine des Empires britanniques et français enclenche ce qui est nommé la Guerre de Sept Ans en Europe, la French and Indian War aux États-Unis et la Conquête pour les Canadiens d’origine. De là, par un engrenage de circonstances, cet incident nous conduira à la Révolution américaine, puis à la Révolution française.

Les grands enjeux de l’Amérique du Nord de l’époque ont façonné notre monde d’aujourd’hui, tant au niveau socioéconomique que du point de vue idéologique.  Les colonies anglaises de la Côte-Est en forte croissance exigent plus de terres à coloniser pour soutenir leur expansion. Favorisé par l’accès à un territoire vierge facilitant l’installation d’infrastructures modernes et par conséquent à des ressources naturelles très abondantes, le développement économique des colonies anglaises sur la côte Atlantique est très florissant. De leur côté, les Amérindiens tentent de retenir cette marée humaine envahissant leurs territoires ancestraux.  À cette fin, ils collaborent avec les Français, qui grâce aux postes de traite de fourrures leur donnent accès à la modernité européenne à l’intérieur du continent.  Une mise à niveau technologique était nécessaire afin de repousser les colonisateurs anglais.  « En réalité, l’Amérique du Nord offrait un spectacle invraisemblable: les populeuses colonies britanniques se voyaient réduites à une pénible défensive, alors que les Canadiens et leurs bandes indiennes pratiquaient une guerre offensive en les harcelant sans répit. »[1]

La France n’a d’intérêt que pour le lucratif commerce de la fourrure qu’elle opère en collaboration avec les nations amérindiennes.  Toutefois, le maintien de sa présence en Amérique du Nord dépend de la rentabilité du commerce.  Les pressions inéluctables des colonies anglaises sur le continent et le contrôle par la marine anglaise de la navigation vers l’Europe entravent la rentabilité de la traite de la fourrure en Nouvelle-France.  Cette situation en Amérique du Nord conduit au désintérêt de la France envers sa colonie, qui pourtant couvre la plus vaste partie de ce continent aux richesses abondantes. Pour les Canadiens d’origine et leurs alliés amérindiens, la Nouvelle-France s’avère un territoire propice pour créer un monde nouveau dans le Nouveau Monde parce qu’il donne libre cours aux initiatives de toutes sortes conduisant aux métissages des cultures. Les premiers métis apparaissent à partir de la Grande Alliance. «Par comparaison, les Britanniques menaient «une existence de prisonniers». On ne soupçonne pas assez jusqu’à quel point les «maudits Anglais», à force d’être constamment harcelés, ont décidé de prendre les grands moyens pour mettre fin à la présence française en Amérique. »[2]  Pour les Canadiens d’origine et leurs alliés autochtones du continent, commence un combat pour la liberté humaine contre la colonisation de l’esprit par la liberté religieuse protestante. La philosophie autochtone pleine de sagesse se heurte à l’idéologie européenne pleine de croyance.

Les coureurs des bois, les métis et les alliés autochtones des Français participent au conflit de la Conquête anglaise au côté de milices composées de Canadiens d’origine, d’Acadiens et des troupes régulières françaises.  L’alliance autour des troupes françaises remporte une série de victoires entre 1753 et 1758 grâce à l’usage de la technique amérindienne de l’embuscade.  L’intendant Duchesneau dit : « Un coureur des bois vaut dans cette sorte de guerre plus de quatre Français. »[3] Même Washington semble avoir retenu la leçon suite à sa défaite au fort Leboeuf, car il reprendra cette technique amérindienne lors de la Révolution américaine pour battre l’armée britannique.   La France tout aussi inféodée que l’Angleterre ne saura jamais reconnaître la valeur de techniques militaires n’émergeant pas de sa noblesse et ne reflétant pas les standards de sa civilisation rayonnante : « On arguera d’ailleurs que, dès le XVIIIe siècle, la France ne s’enthousiasma guère pour les prouesses des milices coloniales ni pour les mérites des officiers canadiens durant la Guerre de Sept Ans. » [4]  Le gouverneur Vaudreuil, né en Nouvelle-France et le chef de l’armée française, le lieutenant-général Montcalm, né en France, ont des approches différentes face à la guerre avec les Anglais en Amérique du Nord : ceci a conduit à la perte d’une autre colonie française, 50 ans après l’Acadie. Le même sentiment de supériorité des élites européennes face aux élites locales conduira Washington à prendre la tête de la révolte des colonies anglaises.

Pendant le conflit, les Canadiens d’origine n’épousent pas la discipline propre à la marine marchande française. Chez les autochtones, l’atteinte d’un objectif commun repose sur des balises plus flexibles et mieux adaptées à la réalité du moment. Les relations entre les officiers français et les Canadiens ne furent jamais harmonieuses ; d’ailleurs le père Silvie, un aumônier de troupe français, souligne dans son journal que « le caractère des Canadiens, dont le naturel ne s’accorde guère avec la subordination. »[5] Les Canadiens d’origine ne se considèrent aucunement Français, depuis l’arrivée des premiers colons : 150 ans de fréquentation amérindienne les séparent. Dans la défense de la Nouvelle-France, la milice coloniale qu’ils composent illustre bien cette distanciation sociale par une approche guerrière à l’amérindienne.  Tous les hommes valides de 16 à 60 ans font partie de la milice; ils doivent apporter leur arme et aucun uniforme n’est fourni,[6] ce qui permet de les distinguer des habits bleus de l’armée française : « Les Canadiens, eux, témoignaient déjà d’un fort sentiment identitaire et même d’une animosité́ à l’égard des officiers et administrateurs français de la colonie. »[7]

Par la situation géopolitique, les colons de l’époque ne peuvent se passer du soutien de la mère patrie, bien qu’ils démontrent un fort sentiment d’indépendance.  Le témoignage de l’aide de camp de Montcalm, Louis-Antoine de Bougainville, atteste de cette réalité en 1756 : « Les Canadiens et les Français, quoiqu’ayant la même origine, les mêmes intérêts, les mêmes principes de religion et de gouvernement, un danger pressant devant les yeux, ne peuvent s’accorder; il semble que ce soit deux corps qui ne peuvent s’amalgamer ensemble. Je crois même que quelques Canadiens formaient des vœux pour que nous ne réussissions pas, espérant que toute la faute retomberait sur les Français. »[8]

Voltaire illustra très bien le sentiment de la France envers la colonie d’Amérique, en la qualifiant de quelques arpents de neige.  La France ne prendra connaissance de la valeur de sa perte en Amérique du Nord qu’après la Conquête de la Nouvelle-France par l’Angleterre.  L’aristocratie française trop imbue d’elle-même était aveugle face aux découvertes des Canadiens d’origine en Amérique du Nord : les notes d’exploration de La Vérendrye des années 1730 dans l’Ouest de l’Amérique du Nord demeurent enfouies dans les Archives de France pendant plus d’un siècle avant que des historiens ne décident de les consulter.[9] En appuyant la Révolution américaine, la France se battra plus pour la dépossession de la colonie anglaise au profit de ses colons, qu’elle ne l’avait fait pour la possession de sa colonie de la Nouvelle-France. Plusieurs historiens avancent que déjà le traité d’Utrecht en 1713, en cédant l’Acadie et la Baie d’Hudson, sonne le début de la fin pour la Nouvelle-France en la plaçant entre les mâchoires de l’étau des possessions anglaises. De plus, la démographie galopante des colonies anglaises par une immigration constante condamne l’Amérique à un modèle expansionniste de développement économique.

Place-Royale à Québec après la Conquête

Source : Dessiné par Richard Short (dates de naissance et de mort inconnues, ses oeuvres sont de 1754-1766), gravé par A. Bennoist (Antoine Benoist) (1721-1770). —Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=10066626

La Guerre de Conquête conduit à l’effondrement de plusieurs mondes : celui des aristocrates européens au profit des colons américains, mais également celui du rêve de Champlain et d’Anadabijou de former un nouveau peuple dans le Nouveau Monde.  Les Canadiens d’origine et leurs alliés autochtones deviendront les témoins impuissants de l’émergence d’un monde anglo-américain s’appuyant sur la conquête de territoires pour acquérir de nouvelles ressources afin de développer son marché en expansion.

Dans une conception plus démocratique du pouvoir, celui-ci ne repose plus sur un roi de droit divin, mais sur la personne démontrant une meilleure capacité à cumuler de la richesse. Aujourd’hui, le pouvoir financier prend une large place dans les décisions politiques.  Par cette idéalisation de la richesse monétaire, le pouvoir repose maintenant sur une sorte de capital de droit divin. Dans ce monde nouveau, les Canadiens d’origine imprégnés de culture autochtone se distinguent encore ici par leur recherche du bonheur plutôt que l’accumulation de la richesse.[10]


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[1] https://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HISTfrQC_s1_Nlle-France.htm#3.3_Des_alliés_incontournables_
[2] https://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HISTfrQC_s1_Nlle-France.htm#3.3_Des_alliés_incontournables_
[3] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p113
[4] « Pierre Le Moyne d’Iberville (1706-2006) : trois siècles à hue et à dia », Cahiers des Dix, Québec, no 60, 2006, p. 79-101.
[5] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p135
[6] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p54
[7] « Pierre Le Moyne d’Iberville (1706-2006) : trois siècles à hue et à dia », Cahiers des Dix, Québec, no 60, 2006, p. 79-101.
[8] « Pierre Le Moyne d’Iberville (1706-2006) : trois siècles à hue et à dia », Cahiers des Dix, Québec, no 60, 2006, p. 79-101.
[9] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p187
[10] Jean-Marc Léger, Jacques Nantel et Pierre Duhamel, Le Code Québec, Les éditions de l’Homme, 2016 p68


© Bastien Guérard, 2021

Le Grand Dérangement d’un nettoyage ethnique

Pierre Dugua de Mons est le fondateur de l’Acadie.  Champlain l’accompagne en tant qu’explorateur, géographe et cartographe. Toutefois, suite à l’assassinant du roi Henri IV en 1610 en raison des guerres de religion, Pierre Dugua de Mons, un protestant calviniste, perd le monopole de la traite en 1612.[1] Bien que l’Acadie fût fondée 1604, 4 ans avant Québec, elle ne recevra ses neufs premiers couples français qu’en 1636. Rappelons que c’est à Port-Royal, ce premier poste de traite de fourrures faisant office de colonies, que Champlain initie les premières prestations de l’Ordre de Bon Temps.  Conformément à l’esprit de cet Ordre, lors de la colonisation française en Amérique du Nord, des relations fraternelles se sont développées entre les Micmacs et les colons français : « Micmacs et Acadiens furent de grands amis. Dans l’adversité́, devant les brutalités britanniques, ils se sont entraidés. »[2]

Dès les débuts de son existence, l’Acadie fera l’objet de la convoitise anglaise. Les Anglais conquirent l’Acadie plusieurs fois, avant de pouvoir s’installer sur le territoire. En 1613, ils prirent Port-Royal, qui a été repris dès 1615 par les Français.  Perdu encore une autre fois en 1628-29, en même temps que Champlain cédait Québec aux frères Kirk : « Toutefois, les prises anglaises ayant eu lieu après la signature d’un traité de paix entre la France et l’Angleterre, Québec et l’Acadie sont rétrocédées à la France (et non aux Amérindiens) en 1632. »[3] Située au nord des colonies anglaises de la côte Atlantique, l’Acadie sera toujours sous le feu des Anglais, changeant sept fois de propriétaire au cours du siècle avant sa session définitive à l’Angleterre lors du Traité d’Utrecht en 1713.[4]

La possession de l’Acadie protège la porte d’entrée de la Nouvelle-France que représente le golfe du Saint-Laurent.  La perte de l’Acadie signifie à terme l’étouffement commercial de la Nouvelle-France par les Anglais. Bien que la France ait construit la forteresse de Louisbourg à la pointe de l’île du Cap-Breton, seule partie de l’Acadie conservée après le traité d’Utrecht, son isolement et la puissance maritime de l’Angleterre auront raison d’elle en 1758.

Lors de la colonisation de l’Amérique, le peuple acadien illustre bien la richesse des relations fraternelles avec les indigènes de ce coin de territoire. Dans cette région, les contacts avec les pêcheurs européens remontent à cette époque mystérieuse précédant le passage de Christophe Colomb en Amérique. Une relation discrète démontrant que les indigènes ne sont pas des Sauvages, mais plutôt des êtres humains ouverts, intégrant pacifiquement les nouveautés par leur pratique commerciale. Dans ce modèle démocratique, sans autorité coercitive, ils vivent dans une pleine liberté sans crainte de l’étranger.  Ici, le Rêve de Champlain semble avoir des origines antérieures à l’histoire écrite des premiers contacts. « D’après l’historien Jeanen, il y avait tant de descendants de pêcheurs malouins et d’Indiennes chez les Penobscots, ou les MicsMacs, au XVIe siècle qu’ils ont été surnommés les Malécites. »[5] La Première Nation Malécites serait en fait la première nation métisse d’Amérique. L’histoire du monde demeure riche de mystères, surtout lorsqu’elle doit tenir compte d’éléments divergents, à savoir ici le peu de traces laissées par les peuples autochtones, les secrets des pêcheurs européens et le désir d’un conquérant de mettre en valeur sa civilisation.

Dans le terreau d’une colonisation fraternelle, l’Acadie catholique, fondée par des commerçants protestants français, représente un foyer de société hybride en Amérique du Nord.  « L’Acadie française est au sommet de la légende américaine, toute faite de pirateries, de découvertes, de tragédies et de relèvements. »[6] La légende d’une colonisation fraternisant avec les autochtones contrevient à la colonisation anglaise basée sur la pureté religieuse chrétienne reflétant pleinement la devise de l’Angleterre : « Dieu et mon droit ».

La destruction de la forteresse de Louisbourg par les ingénieurs militaires en 1760 démontre la volonté britannique d’effacer toute trace de cet encombrant compétiteur français dans la constitution d’une société anglaise idéale dans le Nouveau Monde. La société acadienne en devenir représente de la mauvaise herbe sur le gazon anglais, qu’il faut déraciner rapidement : « au lendemain d’une très longue guerre de religion en Europe, les Britanniques ont voulu vider le territoire des colons français pour ensuite créer une colonie anglo‐protestante. De toute évidence, les Acadiens ont en quelque sorte connu une purge ethnique agressive, en partie parce qu’ils ne parlaient pas la bonne langue ni ne pratiquaient la bonne religion. »[7] La vision alternative de la colonisation de l’Amérique que représente l’Acadie est une menace pour l’hégémonie de l’idéologie insulaire anglaise. La civilisation britannique doit être l’unique socle de l’identité culturelle dans ce Nouveau Monde pour devenir incomparable : ce qui n’existe plus ne se compare pas.

L’effacement de l’existence des Acadiens a commencé en juin 1755 par la déportation de sa population de l’actuelle Nouvelle-Écosse. Depuis le traité d’Ultrech en 1713, les Acadiens vivaient dans un esprit de neutralité sur leur terre sous contrôle de la couronne britannique.  Une neutralité démontrée lors de la troisième guerre coloniale entre la France et l’Angleterre de 1744 à 1748.  Toutefois, les Anglais demeurent méfiants envers ces catholiques vivant en territoire britannique.  Même si la guerre de Sept Ans commence officiellement en 1756, Washington a déjà initié ce conflit en 1754 dans la vallée l’Ohio en attaquant le fort Duquesne. La déportation des Acadiens planifier secrètement par Monckton à partir de Boston pendant l’hiver 1755, semble faire partie d’un plan plus vaste. Cette déportation de la population, s’inscrivant entre le nettoyage ethnique et le génocide, s’imbrique dans une logique de guerre mise en place en Amérique pour agrandir les territoires des colonies anglaises.

En temps de paix, sans provocation antérieure, Monkton se présente au fort Beauséjour avec trois navires de guerre et 2 270 soldats. Regroupés au printemps 1755 sous de fausses prétentions, les Acadiens se voient confisquer leurs terres. Les colons anglais y remplacent les Acadiens. Avec sa morale bien anglaise, le lieutenant-gouverneur Charles Lawrence évoque la possibilité du retour des habitants français pour justifier la déportation de ceux-ci, car ils pourraient molester les colons anglais établis sur leurs terres confisquées.[8] La déportation est brutale : « Pour forcer les hommes réfugiés dans les bois à se constituer prisonniers, les Anglais exécutent en représailles, à la manière nazie, les parents des insoumis. »[9] Les déportés sont entassés « dans des rafiots insalubres à destination de colonies américaines inhospitalières, les vouant ainsi à la misère, à l’errance et à la mort. »[10]  Trois grandes phases de déportation eurent lieu. La première en 1755 où environ 6 000 des 15 000 Acadiens furent déportés. Une seconde, entre 1758 et 1759, entraîne la déportation de 3 000 Acadiens réfugiés sur l’île Saint-Jean, renommée depuis l’Île-du-Prince-Édouard. Enfin, une troisième phase touche 1 600 autres Acadiens en 1762.    La seule représentation contemporaine connue de la Déportation des Acadiens, par l’officier et aquarelliste Thomas Davies qui accompagnait Monckton en 1758, est révélatrice de la destruction britannique massive des maisons des colons français.

Vue du pillage et de l'incendie de la cité de Grimrose - Thomas Davies 1758

Source : Thomas Davies — National Gallery of Canada #6270, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=10098702

Plusieurs navires de déportés refusés dans la colonie de Virginie traversent l’Atlantique. « En Angleterre, on les rassembla dans des camps d’internement à Bristol, Liverpool, Falmouth, Penryn, Southampton et Portsmouth et on les embarqua en décembre 1758 dans des vaisseaux en piètres conditions dans la pire période des ouragans où, pour la plupart, ils ont perdu la vie en mer (Duke William, Violet, etc.). »[11]  Environ 3100 des 10 000 Acadiens déportés entre 1755 et 1763 ont perdu la vie.[12] Récemment des documents trouvés en France nous éclairent mieux sur cette période sombre de l’histoire en nous informant « sur les camps de réfugiés de Bélair à Cocagne, d'Espérance à Miramichi, de la Petite Rochelle à Restigouche. »[13]  Les rescapés du Grand Dérangement survivent dans des conditions misérables : « On apprend que des familles ont survécu en mâchant des peaux de castor.»[14] Aujourd’hui l’histoire nous indique que dès la Proclamation royale ordonnant la déportation des Acadiens, « les autorités britanniques avaient un plan bien arrêté de confisquer les biens et les récoltes des Acadiens et, suite à la destruction de leurs titres de propriété, leurs biens meubles et fonciers.»[15]  Même l’autofinancement est planifié : les autorités britanniques saisissent les céréales et plus de 120 000 têtes de bétail aux Acadiens pour couvrir les frais de l’opération.[16]  L’opération est bien organisée pour s’assurer de l’élimination de la population française de l’Acadie, car les canots, chaloupes, bateaux sont confisqués pour prévenir les fuites. Pour s’assurer de pousser à la famine ceux ayant fui dans les bois, la destruction des villages de la côte nord et nord-ouest de l’isthme est ordonnée.[17]

Certains déportés trouvent le moyen de revenir en Nouvelle-France, d’autres rejoignent la Louisiane pour devenir Cajuns. Aujourd’hui la majorité des Acadiens habitent le Nouveau-Brunswick.  Ils descendent des habitants ayant échappé à la déportation en prenant les bois.  La relation particulière avec les Micmacs fut d’un grand secours pour de nombreux Acadiens voulant éviter la déportation.  Il y a eu de l’aide venant de Québec, la Nouvelle-France et l’Acadie seront toujours en étroite relation.  Plusieurs Acadiens viendront prêter main forte dans la défense de la Nouvelle-France durant la guerre de Sept Ans qui se termine par la Conquête.  « En 1760, Québec est tombé, on ne peut compter sur personne pour s'approvisionner. C'est une période troublante de notre histoire. »[18]  Après la chute de Québec, les Acadiens doivent organiser eux-mêmes leur survivance.

La déportation des Acadiens marque la mise en œuvre de l’effacement de l’histoire francophone en Amérique et la fin d’un rêve de liberté assumée. Paradoxalement, l’établissement du siège des Nations Unies à New York, capitale financière des États-Unis, confirme la reconnaissance internationale du rêve anglo-américain de liberté, de démocratie et de justice. L’institution a établi une Convention sur les crimes de génocide. Voici la définition adoptée par les Nations Unies sur ce que « constitue un génocide : l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile, avant, pendant la guerre ou les persécutions, pour des motifs politiques, raciaux ou religieux. »[19] Au regard de cette définition, la déportation des Acadiens représente le premier nettoyage ethnique de l’histoire moderne, relevant de la catégorie des crimes de génocide. La non-reconnaissance de ce crime contre l’humanité perpétue subtilement le Grand Dérangement aux yeux de tous.

La Convention des Nations Unies sur les crimes de génocide statue que ce type de crime est imprescriptible, donc que le temps ne peut libérer de leur responsabilité ceux qui les ont commis. De plus, la non-rétroactivité pénale est irrecevable dans le cas de génocide. Ainsi, même si un crime fut commis avant la définition juridique d’un génocide par l’ONU, il serait inacceptable de refuser le jugement d’un tel crime pour que les auteurs s’en tirent en toute impunité.  Ce fut le cas pour l’Holocauste des Juifs sous le régime nazi avant 1945. Le régime nazi ne s’en est pas tiré en toute impunité bien que les crimes furent commis avant la Convention.[20] Le juriste hollandais, Bernard Rölling, rappelle que ce principe nouveau « n’est pas fondé sur le droit romain, mais sur le droit démocratique qui vise à protéger les gouvernés des gouvernants en assurant leur liberté politique. »[21]

La démocratie canadienne semble peu préoccupée par ces détails historiques touchant le droit des gens n’adhérant pas à la culture anglo-américaine.  Comme en témoigne la nouvelle télésérie de la télévision nationale (CBC) sur l’histoire du pays, Canada : The Story of Us (« Canada : Notre histoire ») produit en 2017.  Cette nouvelle mouture de l’histoire canadienne oblitère complètement l’histoire des Acadiens en commençant l’histoire de la colonisation par la fondation de Québec :  « Le feuilleton déclare que Québec constitue la première colonie permanente européenne au pays, et non Port-Royal.» [22] Une manière de faire prescription pour les crimes commis lors du Grand Dérangement. L’oubli est le meilleur moyen d’éviter toute rétroactivité de l’application de la Convention des Nations Unies sur les crimes de génocide. Ce n’est que par l’oubli que l’on peut se défaire de ce type de crime imprescriptible ! Malgré toutes les contraintes subies au cours de son existence, l’Acadie demeure une autre grande communauté francophone d’Amérique du Nord issue de la France monarchique et de la fraternité autochtone. Le Grand Dérangement demeure la formule diplomatique employée par les Acadiens pour nommer cet atroce événement marquant leur culture afin de ne pas agresser l’oreille sensible du cynique conquérant anglais.


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[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Dugua_de_Mons en ligne 4 novembre
[2] Bouchard, Serge, Les francophones d’Amérique : une communauté de destins, Conférence, 28 mai 2012
[3] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p110
[4]Bossé, Paul, Les sceaux d’Utrecht, documentaire, productions Mozus, 2014, 104 min
[5] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p96
[6] Bouchard, Serge, Les francophones d’Amérique : une communauté de destins, Conférence, 28 mai 2012
[7] Leroux, D. R. J. (2019). Le révisionnisme historique et la création des métis de l’est : la mythologie du métissage au Québec et en Nouvelle-Écosse. Politique et Sociétés, 38 (3), 3–25. https://doi.org/10.7202/1064728ar en ligne 2 novembre 2020
[8] Baby, François, Fallait-il sauver le soldat Monckton de l’oubli? L’Action nationale, août 1999, https://www.action-nationale.qc.ca/images/revue/2005marsavril/sommetAcadie.pdf en ligne 2 novembre 2020
[9] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p34
[10] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p35
[11] https://ssjb.com/une-officine-de-banalisation-de-la-deportation-acadienne-a-luniversite-de-moncton/ en ligne 2 novembre 2020
[12] Baby, François, Fallait-il sauver le soldat Monckton de l’oubli? L’Action nationale, août 1999, https://www.action-nationale.qc.ca/images/revue/2005marsavril/sommetAcadie.pdf en ligne 2 novembre 2020
[13] https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/Le-reveil-Nouveau-Brunswick/segments/entrevue/44544/ronnie-gilles-leblanc-documents-deportation en ligne 2 novembre 2020
[14] https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/Le-reveil-Nouveau-Brunswick/segments/entrevue/44544/ronnie-gilles-leblanc-documents-deportation en ligne 2 novembre 2020
[15] https://ssjb.com/une-officine-de-banalisation-de-la-deportation-acadienne-a-luniversite-de-moncton/ en ligne 2 novembre 2020
[16] Baby, François, Fallait-il sauver le soldat Monckton de l’oubli? L’Action nationale, août 1999, https://www.action-nationale.qc.ca/images/revue/2005marsavril/sommetAcadie.pdf en ligne 2 novembre 2020
[17] Baby, François, Fallait-il sauver le soldat Monckton de l’oubli? L’Action nationale, août 1999, https://www.action-nationale.qc.ca/images/revue/2005marsavril/sommetAcadie.pdf en ligne 2 novembre 2020
[18] https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/Le-reveil-Nouveau-Brunswick/segments/entrevue/44544/ronnie-gilles-leblanc-documents-deportation en ligne 2 novembre 2020
[19] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p35
[20] Baby, François, Fallait-il sauver le soldat Monckton de l’oubli? L’Action nationale, août 1999, https://www.action-nationale.qc.ca/images/revue/2005marsavril/sommetAcadie.pdf en ligne 2 novembre 2020
[21] Baby, François, Fallait-il sauver le soldat Monckton de l’oubli? L’Action nationale, août 1999, https://www.action-nationale.qc.ca/images/revue/2005marsavril/sommetAcadie.pdf en ligne 2 novembre 2020
[22] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1025216/serie-cbc-histoire-canada-story-acadie-port-royal en ligne 2 novembre 2020


© Bastien Guérard, 2021

Le côté sucré de la Conquête

Comme en témoigne l’incursion de Washington dans la vallée de l’Ohio en 1754, les colons anglais requièrent plus d’espaces sur le continent. Et ce besoin d’expansion des colons anglais tend à démoniser la Nouvelle-France et ses Alliés amérindiens entravant la marche de leur progrès. En mer, l’Angleterre, dont la puissance maritime est en pleine expansion grâce aux ressources de ses 13 colonies d’Amérique, contrôle la porte du Saint-Laurent, suite à la chute de Louisbourg en 1758.

La prise de Québec représente la clé d’accès des nouveaux territoires de la vallée de l’Ohio, la ville étant le port d’entrée des produits européens soutenant les Amérindiens dans la défense de leur territoire. Les Anglais décident de prendre Québec en constituant la plus grande flotte de guerre de l’époque. En 1759, la flotte se présentant devant la ville comprend 20 vaisseaux de ligne, 12 frégates et corvettes, 80 transports et 50 bateaux transportant 39 000 hommes de troupe.[1]  Pour donner un ordre grandeur de l’armée anglaise en rapport à la colonie française, entre Montréal et Québec, la Nouvelle-France compte environ 55 000 habitants. La flotte est tellement gigantesque qu’elle s’étend sur le fleuve de la pointe Est de l’île d’Orléans jusqu’à Lotbinière, soit plus de 100 km.

Dans la vallée du Saint-Laurent, dans tous les villages des citoyens volontaires forment des milices pour appuyer l’armée française, ainsi 15 000 miliciens canadiens défendront leur patrie.[2] Des déportés acadiens forment également des détachements de volontaires, sans compter les alliées autochtones qui toutes ensemble se retrouvent à défendre leur mode de vie et leur terre contre l’envahisseur anglais.

Le général Wolfe aux commandes de la flotte anglaise est très explicite sur ses intentions dans une lettre envoyée à Amherst :
« Si nous nous apercevons que Québec ne semble pas devoir tomber entre nos mains (tout en persévérant jusqu’au dernier moment), je propose de mettre la ville à feu avec nos obus, de détruire les moissons, les maisons et le bétail tant en haut qu’en bas (de Québec) et d’expédier le plus de Canadiens possible en Europe et de ne laisser derrière moi que famine et désolation ; belle résolution et très chrétienne ; mais nous devons montrer à ces scélérats à faire la guerre comme des gentilshommes. »[3]

À l’époque en Europe, les armées se confrontent en rang ordonné sous la supervision de nobles dans des espaces ouverts. Toutefois, les Canadiens d’origine, combattant à la manière des autochtones, refusent de se mettre sous les feux de l’ennemi comme des épouvantails dans un champ. Les techniques d’embuscade à l’amérindienne ont permis de tenir tête aux Anglais depuis le début du conflit en 1756. Aussi, les Anglais sont ulcérés par cette farouche résistance par des techniques de combat ne respectant pas les manières européennes de la guerre.  Pour les lords britanniques, la guerre doit se faire de façon civilisée.  Mais pour imposer les bonnes manières de leur grande civilisation, ils perdront toute civilité.

Après la déportation des Acadiens, le bombardement de population civile le long du fleuve Saint-Laurent par la flotte britannique sera une autre première anglaise dans l’imposition de leur norme de civilité sur la planète. L’attaque de la population civile pour détruire les capacités de l’ennemi ne deviendra plus courante qu’au XXe siècle lors des deux conflits mondiaux. Imaginez la terreur de ses habitants du XVIIIe siècle dans leur ferme sur les rives du Saint-Laurent. La Côte-du-Sud du fleuve est saccagée et brulée sur près de 200 km de Kamouraska à Québec[4].   Le témoignage d’un soldat anglais, manifestant sa satisfaction dans son journal, est éloquent : « Nous avons brulé et détruit jusqu’à quatorze cents belles fermes, car, pendant le siège, nous étions les maîtres de leur pays, le long de la rive, et nous envoyions presque continuellement des groupes pour ravages la campagne, si bien que cela leur prendra un demi-siècle pour réparer les dégâts. »[5]  Il s’agit bien d’une guerre totale contre la présence française en Amérique.

En prétendant apprendre les bonnes manières aux autres par la force, Wolfe illustre bien la pensée insulaire anglaise et démontre toute l’arrogance prétentieuse de sa civilisation. Wolfe révèle clairement le caractère hautain des Anglais en rapport à tout ce qui n’est pas issu de leur île. Cette attitude poussera Washington à la tête d’une rébellion qui reproduira le modèle anglais au niveau continental. Ce contexte sociopolitique explique tout le mépris anglais envers la culture des Canadiens d’origines; des catholiques imprégnées d’une culture aux valeurs amérindiennes, considérer tout aussi non civilisé en raison de leur manière de faire la guerre et d’embrasser la liberté.

Les Canadiens d’origine, ainsi déshumanisés, justifient leur anéantissement par les troupes anglaises.  Des témoignages sont révélateurs du mépris anglais. Malcolm Fraser, un écossais du 78e régiment des Fraser Highlanders « chargé par le général Wolfe de détruire et d’incendier maisons, récoltes et bétail tout le long de la côte de Beaupré, il s’est offusqué à maintes reprises de la façon cruelle dont les soldats anglais massacraient les prisonniers, pratiques qu’il a qualifiées dans son journal de ‘barbarie sans précédent’. »[6]  En déshumanisant les autres, l’arrogance britannique pousse ses soldats vers la barbarie pour anéantir une société pouvant faire ombrage aux lumières de sa grande civilisation.

Durant le siège de Québec, 13 000 boulets de fer ont été tirés sur la ville, détruisant et brulant sa cathédrale ainsi que 530 maisons.[7] Depuis la Conquête, les anglophones du Canada, étant les seuls à posséder la vraie culture des gentilshommes, veulent reconditionner le Québec à la civilisation britannique. Toutefois, le refus persévérant de cette grande gentillesse par les Québécois leur vaut d’être considérés par l’élite anglaise du continent comme le peuple le plus ingrat et le plus replier sur soi en Amérique du Nord.  Pour les Anglais, les Québécois demeurent un peuple vraiment incompréhensible !

À l’époque, un autre choc des civilisations se passe également, mais entre les défenseurs de la Nouvelle-France. La technique guerrière divergente des milices canadiennes et des soldats français sera la brèche par laquelle l’armée anglaise triomphera de la ville forteresse de Québec. Lors de la bataille des plaines d’Abraham, Montcalm en se précipite sur les plaines pour placer ses troupes en rangées à l’européenne sans attendre de renfort de Bougainville et de Lévis. En imposant cette technique de combats aux défenseurs locaux, il provoque la défaite sur les plaines d’Abraham.

Les milices canadiennes, acadiennes et métisses participant à la bataille n’étaient pas aguerries à ce type de combat à leurs yeux suicidaire. Au premier coup de feu anglais, ceux-ci se couchent ou s’éparpillent pour trouver refuge derrière un arbre comme le veut leur conception de la guerre.  Les troupes françaises voyant les milices se disperser ou disparaître rompent les rangs dans le désordre, croyant les milices canadiennes décimées.[8] Québec tombe ainsi aux mains des Anglais en quelques minutes. Cette bataille, gagnée à cause des perceptions culturelles différentes de la guerre des défendeurs, scelle le sort des multiples civilisations de l’Amérique à la faveur d’un modèle unique d’origine britannique.

Les Canadiens d’origine avaient développé un modèle de combat avec leurs alliées autochtones pour résister à l’invasion anglaise qui avait fait ses preuves depuis le début de cette guerre. Toujours confiant, au printemps 1760, Lévis revient de Montréal pour prendre Québec où il défait les troupes anglaises sur les plaines d’Abraham et assiège la ville. Toutefois, les renforts promis de France n’arriveront jamais.  À la place une flotte anglaise avec 18 000 soldats se présente devant Québec.  Les Anglais maîtrisent les mers, la Nouvelle-France est hors d’atteinte pour la métropole. Lévis se replie sur Montréal avec ses troupes. « Les Anglais les poursuivent, incendient tout sur leur passage, tuant femmes et enfants. Les Canadiens abandonnent la défense de Montréal pour protéger leur famille. »[9] Les 3600 habitants de Montréal capitulent devant les 20 000 soldats britanniques.

La Conquête anglaise confirme la fissure culturelle entre la France et la Nouvelle-France non seulement dans l’art de mener la guerre, mais également dans la conception de la vie en société. Il ne faut pas négliger la corruption plus grande du régime monarchique français en comparaison à la monarchie de droit britannique en évolution vers un système économique capitaliste. Suite à la perte de sa colonie en Amérique, la France se contente de faire un procès pour corruption au gouverneur Bigot de Nouvelle-France.  Bien que mérité, il sert de bouc émissaire pour un régime n’admettant pas la décadence de la France. Le régime lave ainsi sa réputation, tout comme Bigot tentera de le faire jusqu’à sa mort.

La monarchie française de l’époque n’a pas saisi l’avertissement ; la France impériale poursuivra l’imposition de sa vision de la marche du monde par des jeux de coulisse. Suite à la perte de la Nouvelle-France, la France soutiendra la Révolution des 13 colonies anglaises, qui paradoxalement suite à la conquête des territoires français en Amérique du Nord, peuvent se passer de l’Angleterre. La France consacre plus de ressource à la perte des colonies anglaises en soutenant la Révolution américaine que pour défendre la Nouvelle-France.  Et tout comme les taxes anglaises imposées, pour couvrir les coûts des opérations militaires pour la conquête de la Nouvelle-France, furent un détonateur de la Révolution américaine de 1774, les taxes françaises pour soutenir cette révolution ont conduit à la Révolution française de 1789.

Le sucre d’érable joua un rôle important dans la survie de la Nouvelle-France, contrairement au sucre blanc qui eut un rôle important dans la prise de possession de l’Amérique du Nord par l’Angleterre. À l’époque, l’industrie du sucre blanc produit par des esclaves dans les Antilles génère de grands profits en Europe. Aussi, son influence dans la stratégie de colonisation impérialiste des Amériques fut d’une grande importance.

Suite à la Guerre de Sept ans entre la France et l’Angleterre (1756-1763), l’Angleterre ayant conquis les colonies de la Nouvelle-France, de la Martinique et de la Guadeloupe devait faire des concessions à la France pour arriver à un accord de paix.  Le Parlement anglais devait voter pour savoir si l’Angleterre conservait la Nouvelle-France ou la Martine et la Guadeloupe.

À l’époque, les plantations de canne à sucre des deux petites îles des Antilles génèrent un revenu 42 fois supérieur à celui de l’industrie de la fourrure en Nouvelle-France. Voilà pour les intérêts de la France. De l’autre côté, les marchands du sucre anglais voient d’un mauvais œil l’arrivée de ses nouveaux grands producteurs sur le marché de l’Empire britannique, contrairement à la couronne qui y voit de nouvelles sources de taxes.  Une trop grande offre de sucre fera chuter les prix, donc les profits.

Le poids du sucre blanc dans le Traité de Paris de 1763

Source : Bastien Guérard

Lord Bedford, baron du sucre anglais établi en Jamaïque, un des hommes les plus riches au monde à l’époque, sera à la tête du lobby des planteurs britanniques voulant que les négociations de paix tournent à leur avantage. Par une campagne d’influence et de corruption auprès des députés anglais, il modifie les intentions de l’Angleterre.  Le vote du Parlement britannique permet à la France de conserver ses précieuses possessions des Antilles.  La Grande-Bretagne n’obtient que les quelques arpents de neige au nord des Amériques : le Canada et la vallée de l’Ohio !  [10]

Cette histoire de sucre apporte une amère déception aux colons français du nord de l’Amérique établir principalement dans la vallée du fleuve Saint-Laurent depuis plus de 150 ans.  La déception est peut-être encore plus grande chez les Amérindiens qui, comme Pontiac, attendent le retour des Français pour combattre l’expansion anglaise sur les territoires de la vallée de l’Ohio.

À la Conquête nous retrouvons environ 175 seigneuries entre Québec et Montréal qui avec les villes de Nouvelle-France (Québec, Trois-Rivières et Montréal) représentent les territoires que les Amérindiens ont concédés à leur allié français au cours de l’épopée de la Nouvelle-France.  Cette partie du territoire demeure propriété des colons francophones établie, le reste du territoire devient terre de la Couronne britannique. Par le concept d’établissement de colons français à travers la Grande Alliance, ses territoires cédés sont sans traités.

Les nations amérindiennes vivant en Nouvelle-France parmi les colons verront leurs territoires se transformer en réserve sous le régime britannique.  En effets, des villages de réfugiés hurons de l’Ontario et Abénakis de Nouvelle-Angleterre sont présents en Nouvelle-France, principalement des autochtones convertis à la religion catholique : « Au temps de la Nouvelle-France, des «néophytes sauvages chrétiens» se sont vu octroyer des terres à l’intérieur d’un petit nombre de seigneuries : le village de Sault–Saint-Louis (aujourd’hui Kahnawake) et le village d’Oka (Kanesatake) pour les Agniers, le village de Lorette (Wendake) pour les Hurons, le village de Saint-François-de-Sales (Odanak) et à la rivière Puante près de Bécancourt (Wôlinak) pour les Abénakis. »[11]

Lors de la guerre pour la conquête de la Nouvelle-France, la Couronne britannique avait promis aux autochtones de protéger leur terre des colons anglais à travers une proclamation royale afin de s’assurer de leur soutien.
« Aux termes de cette proclamation, la Couronne revendique être propriétaire et souveraine sur les territoires autochtones et être la seule entité à pouvoir établir des traités avec les peuples autochtones. Par conséquent, même si la proclamation semble protéger les territoires autochtones contre des intrusions venues de l’extérieur, elle laisse la possibilité à la Couronne de perpétrer elle-même de telles intrusions. Le roi décrète qu’aucun individu ni aucune colonie ne peut acheter de terres aux Autochtones, la Couronne britannique devant être l’acteur indispensable à toute négociation de traité. »[12]
Par la prise de la Nouvelle-France, les Britanniques s’emparent officiellement des territoires autochtones dont la France n’avait pas le contrôle : « Les nations indigènes ont joui de l’autonomie politique et territoriale jusqu’à la Conquête anglaise. »[13]

Rappelons que parmi les 70 000 habitants de la Nouvelle-France à la Conquête, environ 10 % étaient d’origine amérindienne dans le corridor Québec-Montréal en dehors de ce corridor le pourcentage était plutôt inverse. Dans l’Acte de capitulation de Montréal, le gouverneur Vaudreuil obtient une clause visant la protection des autochtones.[14]Un grand nombre d’Amérindiens ont fui les envahisseurs anglais, toutefois plusieurs se sont fondu dans la population : « Les Métis demeurés au Québec à l’arrivée des Anglais ont pu se fondre dans la population pour ne pas être victimes d’exclusion et de la vengeance iroquoise. »[15]  Si nous rapportons ce pourcentage à la population actuelle de 8 millions de personnes, 800 000 aurait des origines autochtones.[16]

La politique du régime britannique envers les autochtones diverge radicalement de la bienveillance expérimentée sous le régime français.  La politique britannique de création de réserve est justifiée par la protection de la culture autochtone lors de l’établissement de colons anglais sur leur territoire :  « La proclamation définit une procédure permettant l’ouverture future de certaines parties des territoires autochtones à la colonisation et à l’installation de sujets de la Couronne non autochtones.»[17] Par cette procédure, la Couronne vend les territoires autochtones aux colons anglais, tout en excluant les autochtones du développement économique par la création de réserve. En soustrayant les réserves aux lois du marché, par la garantie d’une rente aux autochtones, la politique anglo-américaine conduit à la stagnation du développement des Premières Nations. La seule voie offerte au développement économique des personnes d’origine autochtones hors des réserves où l’assimilation les guette.

À la suite de la Conquête en 1763, les Canadiens d’origine s’accommodent à la plus grande justice commerciale qu’offre le droit du régime monarchique britannique en rapport à la monarchie française.  L’élite française, environ 4 000 personnes,[18] étant retournée en France après la Conquête, seule l’élite native de Nouvelle-France demeure sur la place. L’enchainement d’événements conduisant à la perte de la Nouvelle-France est sans doute l’une des origines de l’expression très québécoise : maudit français !

Enfin, toute cette histoire de commerce du sucre blanc des Antilles démontre que la mondialisation du commerce commence à influencer des choix politiques affectant des territoires n’ayant aucun lien avec les impératifs commerciaux les impactant. Les colons de Nouvelle-France se procurent du sucre dans les érablières du pays depuis plus de 100 ans, et la consommation de sucre blanc entrera dans leur mode de vie qu’au début du XXe siècle.  Le commerce de sucre blanc des Antilles scelle le destin des consommateurs d’un sucre à l’éthique exemplaire, le sucre d’érable. Les Canadiens d’origine, les purs sirops imprégnés de culture autochtone, demeurent sur leur terre, en se sucrant le bec à l’érablière, pour poursuivre une quête de liberté toujours d’actualité.


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[1] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p114
[2] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p81
[3] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 2001 p40
[4] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p82
[5] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 2001 p39
[6] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p274
[7] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p82
[8] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p83
[9] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p115
[10] McKenna, Brian, L’empire du sucre, documentaire, 2005, 90min
[11] https://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HISTfrQC_s1_Nlle-France.htm#3.3_Des_alliés_incontournables_ en ligne 21 septembre 2020
[12] https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/traites-autochtones en ligne 16 octobre 2020
[13] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p34
[14] http://www.paricilademocratie.com/approfondir/pouvoirs-et-democratie/1527-pouvoir-et-democratie-lors-du-regime-britannique
[15] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p107
[16] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p182
[17] https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/traites-autochtones en ligne 16 octobre 2020
[18]Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p86


© Bastien Guérard, 2021

Les espoirs de Pontiac et The Province of Quebec

Suite à la Conquête, la Couronne britannique nomme sa nouvelle colonie The Province of Quebec, regroupant l’ensemble du territoire de la Nouvelle-France. Le droit de propriété est reconduit pour les Canadiens d’origine habitant principalement la vallée du Saint-Laurent entre Montréal et Québec. Les autres régions de Nouvelle-France tombent sous tutelle de la Couronne britannique, comme promise aux autochtones suite à la Proclamation royale.

Contrairement, aux autres établissements anglais de la côte Atlantique, le mot province est utilisé au lieu de colonie. Le mot province vient du latin où il désigne les territoires vaincus. La géopolitique des siècles suivants affectera le territoire de la Province of Quebec pour lui donner sa configuration actuelle. À la signature de la paix de 1763, le général Amherst est remplacé par le gouverneur Murray.  Depuis la prise de Québec et la capitulation de Montréal, un régime militaire d’occupation administre la colonie.

Dans le contexte de la Conquête, une nouvelle élite anglaise va se constituer dans la nouvelle colonie pour remplacer l’élite française, ce qui entraine la ruée de quelques vautours des affaires vers ce nouvel eldorado. L’application des instructions de la Couronne britannique demeura toujours difficile : « Arrivés dans les fourgons de l’armée britannique, des profiteurs et des trafiquants exigent de pouvoir exploiter à leur guise les Canadiens et les ressources du pays en raison de leur sang anglais. »[1] Ces gens formeront la nouvelle élite du pays qui deviendra le Canada.

Même le gouverneur Murray qui a remplacé Amherst à la signature du Traité de Paix s’en plaint : « il n’a pas été facile de satisfaire une armée conquérante, un peuple conquis et une coterie de marchands qui sont accourus dans un pays où il n’y a pas d’argent, qui se croient supérieurs en rang et en fortune au soldat et au Canadien, se plaisant à considérer le premier comme un mercenaire et le second comme esclave de naissance. »[2] Toutefois, fin politicien, il compte utiliser cette situation pour réaliser les objectifs de la Couronne anglaise visant à prendre le contrôle de cette colonie francophone : « Un peu d’habilité me permettra pourtant de tirer parti d’eux car, en mettant en contradiction absolue avec leurs insultes, je ne pourrai qu’augmenter et renforcer la confiance des Canadiens envers le gouvernement. »[3]  Cette approche politique, en dénonçant les radicaux pour se montrer modérée, permet à la monarchie britannique d’imposer son pouvoir politique sur le pays.  Une technique qui fait encore école aujourd’hui.

L’Église catholique demeure l’autre siège du pouvoir dans la colonie. Dans ce monde imprégné de féodalité où le roi dirige par droit divin, l’Église est un acteur incontournable du pouvoir. Après la Conquête, l’Église catholique en conflit avec l’Angleterre depuis près de 200 ans suite à la création de l’Église anglicane par Henri VIII, craint de se faire confisquer ses domaines comme ce fut le cas en Angleterre ou en Hollande lors de réformes anticatholiques.   En laissant ses anciens privilèges à l’Église catholique, entre autres celui de percevoir la dîme, la Couronne s’assure de la fidélité de cette institution.  Un problème se pose pour la hiérarchie catholique : sa tête dirigeante Monseigneur de Pontbriand, évêque de Québec, est mort en juin 1760 sans désigner de successeur.

En tant que gouverneur, Murray s’oppose à la nomination de M. de Mongolfier, supérieur des Sulpiciens, lui préférant, Jean-Olivier Briand, grand vicaire de Québec, plus favorable aux conquérants. Selon Monseigneur Briand, la doctrine catholique de soumission au roi relève de la volonté d’un Dieu tout puissant : la Conquête anglaise ne peut qu’être la volonté de Dieu, aussi l’Église doit se plier à cette volonté.  En contournant la hiérarchie catholique, Murray crée un précédent : « Le rôle joué par Murray ne reste pas sans lendemain. Pendant 75 ans, les gouverneurs interviendront à la fois dans les nominations épiscopales et curiales. En plus de passer sous la tutelle d’un prince protestant, l’Église canadienne passe sous l’autorité directe d’un gouvernement protestant, bien déterminé à en contrôler les destinées. »[4]  Avec cette emprise sur l’Église catholique, la Conquête est totale : le conquérant contrôle l’esprit religieux qui anime les gens.  Pendant près de 200 ans, soit jusqu’à la Révolution tranquille, au Québec le pouvoir se maintiendra grâce à la complicité de l’élite catholique et de l’élite anglaise.

La question de la religion prime sur la question de la langue à cette époque où les royaumes président à l’organisation des peuples.  La formation des États-nations ne viendra qu’à la suite de grandes révolutions en Amérique et en France, révolutions que la Conquête de la Nouvelle-France a entraînées.

À l’époque, c’est autour de la langue française que s’articule le prestige et le savoir, même en Angleterre : « Pendant de nombreux siècles, le français a été la seule langue du droit en Angleterre. Dans la première partie du XVIIIe siècle, il était toujours de tradition, dans les écoles de droit, de demander aux étudiants de n’étudier le droit [anglais] qu’en français. »[5]  Toutefois, le système de droit anglais, plus favorable à un commerce récompensant le fruit du labeur des gens, encourage mieux l’expansion de son économie.

L’usage du français comme langue de commerce en Amérique disparaîtra avec sa puissance commerciale liée à la traite de la fourrure.   Les Anglais prenant de plus en plus le contrôle des sphères politiques et économiques du pays, les Canadiens d’origine se tourneront en désespoir de cause vers son élite religieuse catholique pour soutenir leur développement social. Toutefois, l’histoire de l’Église catholique en Amérique du Nord démontre que la langue française lui importe peu. À l’extérieur du Québec, lorsque la démographie linguistique penchera vers l’anglais, l’Église catholique deviendra catalyseur de cette tendance pour optimisant ainsi le nombre de ses fidèles.

Le processus d’assimilation des Canadiens d’origine à l’Empire britannique fut modéré en raison d’intérêt stratégique. La Conquête précède de dix ans la Révolution dans les 13 colonies anglaises. Déjà à l’époque les frictions avec la mère patrie sont de plus en plus perceptibles.

Les ordres du roi Georges III sont clairs concernant le traitement des habitants de Nouvelle-France : « empêcher qu’aucun soldat, matelot ou autre n’insulte les habitants français qui sont maintenant sujets du même prince ; défendant à qui que ce soit de les offenser en leur rappelant d’une façon peu généreuse cette infériorité à laquelle le sort des armes les a réduits, ou en faisant des remarques insultantes sur leur langage, leurs habillements, leurs modes, leurs coutumes et leur pays.»[6] En plus de leurs coutumes plus libertines, les Canadiens d’origine portaient plusieurs pièces vestimentaires d’inspiration amérindienne .  La précision des ordres royaux indique bien la différence culturelle, jusqu’au niveau vestimentaire, entre les colons de Nouvelle-France et ceux des colonies anglaises de la côte Atlantique.

Pontiac, chef Outaouais

Source : Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1623271

Pour ce qui est des relations avec les autochtones, elles changent radicalement sous le régime anglais.  Bien qu’il lui ait été proposé de maintenir les relations commerciales avec les autochtones suite à la Conquête, « Amherst, qui leur voue une haine maladive, refuse absolument.  Il force les Indiens à payer leurs poudres et autres biens et services de première nécessité, qu’ils recevaient gratuitement des Français. »[7]  Dans ce contexte, Pontiac espère le retour des Français pour la reprise du combat contre l’envahisseur anglais. La vallée de l’Ohio, où la guerre avait commencé en 1754, demeure un territoire convoité par les colonies anglaises. Le sud des Grands Lacs devient un enjeu stratégique pour les nations autochtones et les autres personnes habitant cet espace de liberté à la marge des empires coloniaux.

À la tête des Algonkins, Pontiac assiège le fort Détroit à l’été et à l’automne 1763. « L’historien Léon Lemonnier affirme que des Métis et des coureurs des bois participent à la révolte de Pontiac, tel le dénommé Saint-Vincent, marié à deux femmes indiennes panies. »[8]   Sous les ordres de Zachary Chicot environ 300 Canadiens d’origine s’aligneront au côté de Pontiac pour combattre l’envahisseur anglais.[9]  Le conflit dure trois ans, une douzaine de postes de traite tombent aux mains des troupes de Pontiac entravant le commerce de fourrures dans le centre du continent.  L’entrave au commerce et à la colonisation exige des mesures draconiennes aux yeux des Anglais dans la poursuite de leur Destinée manifeste où Dieu leur a ouvert le continent par la grâce des épidémies. Confiant de la justesse de la cause, Amherst décide d’aider Dieu dans sa tâche.

Selon le spécialiste Robert O’Connell, la guerre contre Pontiac est l’occasion d’une autre grande première dans l’histoire moderne : « L’usage par les Anglais de couvertures infectées par le virus de la variole pour combattre les Indiens en Amérique du Nord constitue une première dans les annales de la guerre biologique. »[10] La guerre biologique contre les Amérindiens fait partie des fléaux des épidémies dans une guerre des plus sournoise et indigne de l’art de la guerre de la part de cette prétendue noblesse européenne.  « Les preuves indéniables qu’Amherst a autorisé l’opération de guerre biologique contre les Indiens ont été découvertes récemment, par Peter d’Errico, dans son importante correspondance, dont les microfilms sont conservés à la bibliothèque du Congrès, à Washington. »[11]  Les forces vives des nations autochtones anéanties par le virus, elles sont contraintes à l’abandonner les combats.

En 1766, le traité de paix signé à Oswego par Pontiac implique quatre nations de la confédération illinoise, ainsi que les Miamis, les Sénécas, les Delawares et les Shawnees. Dans la négociation du traité de paix avec les Anglais, les autochtones reconnaissent avoir cédé des territoires aux Français pour la construction de postes de traite et que ces derniers peuvent les céder à l’Angleterre, mais que le reste du territoire leur appartient.[12]

Par cette entente, Pontiac croit s’assurer que l’on devra négocier l’achat des territoires autochtones en faisant reconnaître les droits de propriété autochtone.  Toutefois, il tombe dans le piège du vertueux droit britannique avec cette Proclamation royale par laquelle « Georges III et le Parlement adoptent une politique nationale de défense des droits indigènes. »[13]  Cette Proclamation royale stipule que les terres indigènes sont réservées à leur usage exclusif et elle s’engage à les acheter avant de les octroyer aux colons anglais.

L’histoire nous raconte l’achat des terres autochtones selon les normes législatives britanniques, et la réalité d’aujourd’hui illustre la dépossession des territoires autochtones suite à cette vente sous pression à la faveur de la colonisation anglaise. Drapés dans cette vertueuse bonne volonté, les Anglais s’imposent en Amérique du Nord par le nettoyage ethnique, le bombardement de populations civiles et la guerre biologique. Au XXe siècle, les États-Unis s’imposeront comme le phare planétaire de ce Nouveau Monde par la dénonciation de ces mêmes trois crimes.


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[1] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p47
[2] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p47
[3] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p48
[4] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p49
[5] http://lautjournal.info/20120405/les-trois-époques-de-la-langue-française%C2%A01663-1774-1977 en ligne 5 septembre 2020
[6] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p86
[7] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p42
[8] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p123
[9] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p43
[10] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p46
[11] Lester, Norman, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2001 p45
[12] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p126
[13] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p23


© Bastien Guérard, 2021

Un monde métissé en Nouvelle-France

Dans les bouleversements produits par l’arrivée des Européens en Amérique, un monde nouveau émerge à la marge des empires coloniaux. Dans tous les recoins de l’Amérique, à travers les routes de commerce, les autochtones intègrent les technologies européennes à leur mode de vie. Les coureurs des bois francophones par leur singularité s’intègrent dans les réseaux autochtones, parfois en s’alliant par le mariage. Ainsi, ils engendrent la nation Métis. [1]  La nation Métis représente la pointe de l’iceberg d’un monde en émergence dans les territoires reculés de l’Amérique où toutes les nations indigènes transforment leur mode de vie suite aux nouvelles relations établies avec les vieux continents. L’ampleur des impacts demeure insaisissable; par exemple, l’arrivée des chevaux facilite les déplacements, ce qui modifie la relation des Amérindiens aux territoires de chasse. Aujourd’hui, les films d’Hollywood nous présentent des Sioux à cheval chassant le bison, mais cette culture de la chasse à cheval est la conséquence de l’arrivée de La Vérendrye avec des chevaux vers 1730.

En pénétrant profondément dans le pays pour installer des comptoirs de commerce, les Français donnent du temps aux cultures indigènes d’intégrer le savoir-faire européen à leur culture en fonction de leur agenda.  Ce laps de temps avant l’arrivée du rouleau compresseur anglais leur permet d’interpréter l’usage de la nouvelle technologie en fonction de leur culture au lieu de se faire imposer l’usage d’une nouvelle technologie au détriment de sa culture.  Dans les vastes espaces de Nouvelle-France, dépeuplés de colons, mais pourvus de commodités européennes par le réseau des postes de traite français, une culture hybride émerge.   Tout comme les coureurs des bois faisaient l’aller-retour entre le monde autochtone et la colonie française, des autochtones faisaient pareil, conduisant les deux cultures à s’imprégner mutuellement.

Les autochtones, conscients de la supériorité technologique des Européens, souhaitaient intégrer les nouvelles technologies à leur mode de vie.  La colonisation française par son entreprise missionnaire et commerciale pénétrait au cœur du continent pour échanger marchandise et propager la foi catholique. Les Amérindiens les invitent à installer des postes de traite sur leur territoire pour avoir un accès privilégié aux nouvelles technologies. Au cœur du continent, autour des grandes voies navigables des Grands Lacs et du Mississippi s’est développé un métissage entre les colons français et des Amérindiens : « Les voyageurs portaient avec eux les coutumes et les manières d’être des habitants de la vallée du Saint-Laurent lorsqu’ils voyageaient à travers le continent, et nous pouvons constater la pérennité́ de leur influence dans une multitude de lieux.»[2]  Les Français obtiennent la reconnaissance des autochtones par la construction de forts protégeant les postes de traite pour assurer l’approvisionnement en produits manufacturés européens aux habitants d’une région.

Langue du commerce de la fourrure, le français devient la langue de la complicité avec le savoir-faire européen. Le français devient la langue de confiance des autochtones pour transiger avec les Européens : « Les Osages du Missouri ont longtemps exigé de négocier en français canadien avec le gouvernement de Washington, beaucoup de leurs chefs étaient des métis francophones. Dès lors, que dire des Algonquiens, des Sauteux- Ojibways, des Cris de l’Ouest, des Illinois, des Pawnees, des Shawnees, des Potaouatomis, des Menominis ? S’il est une grande tradition métisse en Amérique du Nord, souvenons-nous, elle fut franco-amérindienne. »[3]  Au Canada, les Métis anglophones sont généralement issus du monde de la traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson qui prend possession du territoire à l’intérieur du continent qu’après la Conquête anglaise. Pendant plus de 200 ans, au cœur du continent les peuples métis étaient francophones.   « Ce caractère distinctif découlerait du fait que les unions entre hommes d’origine européenne et femmes autochtones dans l’Ouest du Canada au XVIIIe siècle ont formé un groupe en grande partie endogame qui aurait rapidement acquis une identité collective propre. »[4]  Entre les cultures autochtones et Canadiens d’origine, plusieurs groupes métissés à divers degrés émergent sur l’ensemble du continent.

Les Amérindiens n’étaient pas des sauvages fermés sur leur culture, mais des peuples curieux, ouvert à l’intégration de nouveaux savoir-faire. Vers 1808, Sékoya, un orfèvre cherokee, développe un système d’écriture et de lecture en Cherokee composer de 86 syllabes adaptées pour sa langue.[5] Bien qu’à l’origine il ne sache ni lire et ni écrire, il démontre cette volonté d’intégration du savoir-faire européen.  En 1828, le journal Cherokee Phoenix est publié tant l’usage de cette écriture s’est répandu parmi les Cherokees.[6] Même qu’en 1827, les Cherokees créés un État reposant sur une constitution.  Toutefois, l’État de Géorgie ripostera vigoureusement à cette alternative civilisationnelle autochtone, spécialement suite à la découverte d’or sur leur territoire : « Les Cherokees ont été déplacés de force de leurs terres ancestrales vers le Territoire indien en Oklahoma, principalement à cause de la ruée vers l'or aux environs de Dahlonega dans les années 1830. »[7] Cet épisode démontre bien la volonté amérindienne de s’adapter à la nouvelle réalité, ainsi que l’aveuglement volontaire des colons anglais. Pour justifier l’aspect civilisationnel de la colonisation, les Anglais ont coutume de nous présenter les Amérindiens comme des peuples repliés sur leurs traditions, vivant anarchiquement dans la grande sauvagerie.  L’histoire du système d’écriture Cherokee nous démontre le contraire.

Selon les historiens Jacquard et Peterson, tous les voyageurs de la fin du XVIIIe siècle remarquent les Métis ; « Ils sont étonnés par le nombre de métis, le mode de vie, les coutumes; ils découvrent une société hermaphrodite, entre le monde sauvage et la civilisation. »[8]  Un monde moderne, plein de liberté, prend forme dans la Nouvelle-France bien avant la Conquête : « Le recensement de 1752 confirme la présence aux Illinois de communautés métisses incontrôlables et irréductibles à l’ordre colonial. »[9]

Carte de la partie occidentale du Canada ou de la Nouvelle-France - 1688

Source : Vincenzo Coronelli — https://www.raremaps.com/maps/large/27927.jpg, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=56345613

Tant chez les Français que chez les Amérindiens, les mariages interethniques étaient acceptés, mais les enfants n’étaient plus considérés comme appartenant pleinement à sa culture d’origine.   « Les Métis ont graduellement formé des groupes, des communautés et un peuple distinct. »[10]  Issue de coureurs des bois francophones mariés à des Amérindiennes, cette culture métisse naviguant entre les deux mondes symbolise l’ethnogenèse d’une nouvelle culture dans l’Amérique profonde. « La chasse et la traite permettent aux Métis d’échapper à la discipline sociale imposée par les nobles et les religieux qui n’en ont que pour leurs privilèges. »[11] En Nouvelle-France, à travers des coureurs des bois devenus des hommes libres au cœur du continent, le rêve de Champlain ressemble plus à celui d’Anadabijou.

Cette nouvelle culture résiste à l’arrivée du modèle anglo-américain : « Ces hommes faisaient reposer leur mode de vie sur une grande diversité́ de ressources et résistaient aux efforts du gouvernement britannique et de la Compagnie de la Baie d’Hudson d’imposer un contrôle social et économique sur l’intérieur du continent. »[12] À l’époque, l’importance du français comme langue d’échange commercial sur la majeure partie du continent nord-américain fera de celle-ci la langue commune des porteurs d’un esprit de liberté lucide en Amérique du Nord. Cette liberté acquise dans les terres sauvages d’Amérique, cet esprit d’égalité et de bienveillance sera chèrement défendu face à la colonisation anglaise qui s’étend peu à peu sur le continent.

Les francophones d’Amérique, imprégnés de cultures autochtones, symbolisent toujours une entrave au désir d’hégémonie des Anglo-américains sur la perception du rêve américain de liberté. De cette épopée francophone en Amérique, des populations métisses émergent en plusieurs endroits où le commerce de la fourrure conduit. La vallée de la Rouge au Manitoba est encore reconnue pour sa forte population métisse, mais avant l’expansion continentale anglophone le centre du continent est peuplé de nombreuses nations en transformation.

Dans le documentaire, Le rêve américain, Philip Marchand, écrivain de Nouvelle-Angleterre s’intéressant à l’histoire de la Nouvelle-France, nous explique pourquoi les anglophones préfèrent oblitérer l’histoire des francophones aux États-Unis. Après avoir franchi les montagnes Appalaches, l’arrivée des colons anglais sur les berges du Mississippi illustre cette confrontation civilisationnelle : « Quand les Britanniques sont arrivés ici, il y avait déjà des colonies, des villes, des fermants de civilisation, c’était une civilisation très indécente parce qu’elle était métissée. Elle était basée sur la culture, la langue, la religion française et sur les pressions des traditions amérindiennes. »[13] L’histoire officielle préfère dire qu’il n’y avait que des tribus d’autochtone sauvages et que les colons anglais ont apporté la civilisation dans le l’Ouest du pays.  Dans la légende américaine, il serait incongru de parler de cet embryon de civilisation nouvelle que furent les métis et les autres nations autochtones du continent. Les États-Unis préfèrent occulter cette partie de l’histoire pour se présenter sous leur meilleur jour. Pour cette culture de la Destinée manifeste, l’effacement de l’histoire des autres modèles de développement socioéconomiques en Amérique renforce la confirmation de la divine perfection du modèle anglo-américain.


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[1] http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-32/Trappeurs_francophones_des_Plaines_et_des_Rocheuses_%C3%A9tatsuniennes.html#.U7bjoaggPbA  En ligne 30 juin 2020

[2] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, p. 298
[3] Bouchard, Serge, Les francophones d’Amérique : une communauté de destins, Conférence, 28 mai 2012, Forum de la Francophonie canadienne, En ligne 30 juin 2020 : https://sqrc.gouv.qc.ca/francophonie-canadienne/mecanismes-concertation/forum-francophonie/forum-2012/documents/conference-serge-bouchard.pdf
[4] Grammond Sébastienet al., « Aux marges de la classification officielle : les groupes autochtones sans statut devant les tribunaux canadiens »,
Droit et société, 2012/2 n° 81, p. 321-342.
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Sequoyah en ligne 30 juin 2020
[6] 500 nations : L’histoire vue par les indiens d’Amérique, documentaire En ligne 30 juin 2020 : http://openyoureyes.over-blog.ch/-500-nations-l-histoire-vue-par-les-indiens-d-amérique-docs-vf
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cherokees en ligne 30 juin 2020
[8] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p111
[9] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p111
[10] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p102
[11] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003, p.110
[12] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université́ Laval, 2009, p. 297
[13] Boulianne, Bruno, Un rêve américain, Euréka Productions, 2013, 92min


© Bastien Guérard, 2021

L’Esprit de liberté lucide des Francophones d’Amérique

En s’établissant en Amérique, les Anglais voulaient y reproduire un mode de vie davantage en accord avec leurs croyances religieuses. Dans cette optique, les échanges avec les nations autochtones ne pouvaient être que superficiels.  Au contraire, la colonisation française en Amérique du Nord était motivée par la conversion religieuse et le commerce de la fourrure.  Les colons français seront des travailleurs engagés pour la traite de la fourrure, qui décideront de demeurer au pays à la fin de leur contrat. S’ils traversent l’Atlantique, ce n’est pas nécessairement pour rechercher la liberté, contrairement aux colons anglais en quête d’un lieu où épanouir leur culte religieux jugé trop puritain en Europe.

Les colons français découvrent un nouveau concept de liberté auprès des autochtones grâce à la grande collaboration établie à l’occasion de la Grande Alliance.  Dans la poursuite d’un idéal de liberté, un esprit de complicité avec les autochtones émerge chez les coureurs des bois dont la foi catholique est peu profonde. Bien qu’ils ne soient pas Métis, les Canadiens d’origine, par ce métissage idéologique, partagent avec les autochtones un esprit de tolérance, de liberté et de bienveillance. En Nouvelle-France, le terme canadien distingue les colons ensauvagés des Français de passage. Il faut interpréter le terme sauvage comme dans la locution faire l’amour sauvagement : cela sous-entend, avec beaucoup de liberté.

Lors de la Conquête, sur les 70 000 habitants de la Nouvelle-France établis dans la vallée du Saint-Laurent, 10 % sont autochtones. Aujourd’hui, ce pourcentage ne se reflète plus dans la population du Québec : « L’écart entre les pourcentages s’expliquerait par le départ précipité des bandes indiennes et des groupes métis au lendemain de la Conquête anglaise. »[1]  Comme l’a démontré la résistance de Pontiac, le changement de régime suite à la conquête de la Nouvelle-France ne convient aucunement aux autochtones, méfiant envers les Anglais: « Les Indiens et Métis alliés aux Français comprennent qu’ils ne vivront plus jamais en paix dans la vallée du Saint-Laurent. Selon ce qu’écrira Denys Vaugeois, un important contingent métis quitte alors la province pour la vallée de l’Ohio. »[2] Dans l’ancienne Nouvelle-France, lorsque le pouvoir tombe entre les mains des Anglais, plusieurs habitants quittent la province vers l’Ouest à la poursuite d’un monde de liberté, d’autres tentent de s’accommoder de la présence anglaise.

Chacun cherche l’endroit où il trouvera une liberté à sa mesure : « Menacés par les Iroquois et par l’Église, les Métis ont le choix entre quitter la province ou se fondre dans la population. »[3] Après la Conquête, l’esprit de liberté développé avec les autochtones en Nouvelle-France part dans une fuite en avant vers l’Ouest du continent, tandis que dans la vallée du Saint-Laurent cet esprit s’enfouit dans la mémoire collective avec l’espoir de le voir resurgir un jour.

Dans la recherche d’une plus grande liberté, l’Ouest représente l’échappatoire pour la quête d’un monde meilleur. Les expéditions vers l’Ouest marquent l’histoire des Canadiens d’origine qui poursuivront la tradition des coureurs des bois jusqu’à la fin de l’épopée de la traite des fourrures vers 1850. Ils seront des milliers à quitter la vallée du Saint-Laurent à la poursuite d’un rêve de liberté à travers le continent.

Autour du monde de la traite de la fourrure dans les vastes territoires d’Amérique du Nord, des communautés intégrant diverses traditions et savoir-faire émergent ayant pour socle la langue française. Le peuple francophone métis symbolise cette civilisation naissante.  Selon l’anthropologue Serge Bouchard, les nations autochtones ont également incorporé une part de la culture des Canadiens d’origine. : « Les Lakotas, communément appelés les Sioux, ont une mémoire canadienne-française marquante. » [4]  La poursuite du rêve d’un monde nouveau dans le Nouveau Monde s’arrête sur les rives du Pacifique en Californie où le « jargon de chinook », un dialecte composé de français et de langues locales, exprime cet espoir de liberté jusqu’au début du XXe siècle.[5] Les échanges fréquents entre Canadiens d’origine, Métis et Autochtones entraînent l’interpénétration des cultures.

En Amérique, le français est la caisse de résonnance de l’esprit de liberté résonant sur les terres sauvages du continent : seuls les Canadiens d’origine ont su écouter ses habitants. L’usage du sirop d’érable est la preuve la plus incontestable de cette intégration culturelle. La langue française en Amérique témoigne d’une vie humaine plus en harmonie avec l’environnement, une alternative possible au modèle socioéconomique anglais de peuplement.

Préparation du sucre d'érable, Bas-Canada, vers 1837

Source : Bibliothèque et Archives Canada, 1988-10-3

La langue française, tout comme les nations autochtones qui l’utilisèrent, représente une menace pour le mythe de la Destinée manifeste des Étatsuniens.  Pour eux, il est donc préférable de la faire disparaître pour éliminer la conscience historique d’une liberté plus vaste. Le franco-américain Philip Marchand donne en exemple Norman Mailer qui a écrit un livre sur la convention démocrate de Chicago en 1968. Dans son livre, ce dernier nomme les différentes communautés ethniques s’étant installées à Chicago depuis sa fondation. Il prend même la peine de dire qu’il n’y a pas de Français dans cette ville, car ceux-ci ne voyagent pas.  Marchand lui aurait répliqué que ce sont des Français qui ont fondé Chicago ! Dans cette logique à la Mailer, seuls les groupes ethniques arrivés après les Anglais ont contribué à la construction du pays. Donc, les Francophones d’Amérique qui ont ouvert la route aux colons anglais passent à la poubelle de l’histoire.

La mémoire des États-Unis s’écrit dans cet esprit d’effacement de l’histoire du rêve francophone de liberté en Amérique. Les anciens postes de traite français de Fort Laramie (Wyoming), Fort Union (Dakota du Nord), Bent’s Old Fort (Colorado) et Fort Vancouver (Oregon) sont maintenant gérés par le National Park Service des États-Unis qui se contente de raconter leur histoire dans la seule perspective américaine.  « Le problème réside ici dans le fait que la conquête américaine de l’Ouest au XIXe a transformé un espace aux identités fluides et multiples en un espace « nationalisé », celui de l’affirmation identitaire des États-Unis. »[6] Les Étatsuniens préfèrent mettre de l’avant la doctrine de la Destinée manifeste : ils n’existeraient que par la seule volonté de Dieu pour le bien de l’humanité, une façon vertueuse de faire oublier la volonté de leur portefeuille !

Lors de cet affrontement idéologique, la nation métis du Canada a été sur la ligne de front, seule à porter l’idéal d’un monde nouveau dans l’Ouest du continent : « Cette culture tirait ses origines de la chasse au bison, du commerce de fourrures et du vaste réseau de relations diplomatiques et familiales Cris-Saulteaux-Assiniboine-Dénés-Métis des Prairies. »[7] Plusieurs nations métissées apparaissent à la grandeur du continent. Selon le niveau d’intégration des cultures française et autochtone, certaines se considèrent Métis, d’autres toujours Autochtones ou encore Francophones. « Cette identité s’est ensuite cimentée à travers les « rébellions » métisses de la fin du XIXe siècle, l’établissement d’un gouvernement provisoire et la négociation des conditions de l’adhésion au Canada. »[8]   Cet idéal de liberté des Métis, initié à la faveur de rencontres avec les Canadiens d’origine, se termine par la pendaison de Louis Riel, célébrée au Canada anglais et décriée au Québec.  « Malgré des pressions colonialistes importantes, des politiques génocidaires et un manque flagrant de reconnaissance de la part des gouvernements, la Nation métisse a persisté dans le passé et persiste encore aujourd’hui. »[9]  La nation métisse a survécu à la colonisation anglaise, toutefois celle-ci l’a privée de vivre pleinement ses aspirations et de devenir une inspiration pour un rêve américain de liberté alternatif au modèle dominant.

À la faveur de l’interpénétration culturelle et technologique entre les autochtones et les coureurs des bois francophones parcourant l’Amérique du Nord, l’esprit de liberté s’enracine dans la culture des Canadiens d’origine. Toutefois, la différence culturelle entre anglais d’Amérique et français d’Amérique n’est pas admise dans l’histoire dogmatique imposée au monde de la colonisation de l’Amérique. « Selon certains, comme le professeur de droit métis Paul Chartrand, ce processus, appelé « ethnogenèse » par les anthropologues et les sociologues, ne se serait produit que dans l’Ouest canadien, en raison des facteurs économiques spécifiques qui ont favorisé l’émergence d’un peuple métis. »[10]  Pourtant, selon ce concept d’ethnogenèse culturelle, la culture des Canadiens d’origine, tout comme celle du peuple métis, aurait également donné naissance à un nouveau peuple métissé, mais avec une saveur plus européenne. Il faut se rappeler que, dès le début de la Nouvelle-France, les Canadiens d’origine ont été identifiés comme tels dans les recensements de l’administration coloniale française.

Après la Conquête, suite au départ de l’élite française, l’isolement intensifie la singularité de l’esprit des Canadiens d’origine.  Les Métis et les Canadiens d’origine partagent socle culturel commun.  « Comme l’a montré Brenda Macdougall, l’économie de la traite des fourrures – ainsi que les valeurs familiales et l’Église catholique – fut centrale dans la constitution d’une communauté métisse dans l’Ouest. »[11] À bien des égards, cette constatation s’applique également aux Canadiens d’origine. Mais, le dogme anglo-américain de la colonisation de l’Amérique ne tolère pas l’existence de colons européens édulcorés à l’eau d’érable et imprégnés d’une autre conception socioéconomique de la liberté. Les Francophones d’Amérique portent la marque de cultures autochtones dans leur inconscient collectif. Bien que les Québécois ne soient pas métis, leur culture demeure métissée en regard à la culture dominante des anglophones d’Amérique.

La place hégémonique de la culture anglo-américaine dans le monde oblitère l’existence d’une culture francophone d’Amérique, imprégnée par la culture autochtone.  Ainsi, alors que tous les non-autochtones sont rattachés à la culture anglo-américaine, la notion du métissage francophone est évacuée : « l’historienne Olive Dickason a affirmé que le processus de colonisation dans les provinces maritimes n’a pas donné lieu à l’émergence d’un groupe métis distinct à la fois des non-autochtones et des Premières Nations. »[12]  Cette affirmation a été faite dans le contexte d’une revendication de droits métis par des francophones qui contestaient les droits autochtones. Elle démontre l’effacement de la culture francophone d’Amérique par l’hégémonie du modèle anglo-américain.

Dans la culture anglophone d’Amérique s’inspirant de la Destinée manifeste, il n’y a que deux cultures en Amérique du Nord, l’une « autochtone » et l’autre « non-autochtone ». Cette vision culturelle binaire reflète bien les racines religieuses où l’antagonisme entre le Bien et le Mal domine l’action humaine. Dans cette rhétorique, par rapport à la colonisation de l’Amérique, les francophones d’Amérique sont intégrés de force à l’histoire ignoble des anglophones du continent.

Plusieurs descendants des Canadiens d’origine peuvent facilement se trouver un ancêtre autochtone. D’une certaine façon, beaucoup de Québécois se considèrent comme des francophones métissés qui n’appartiennent pas à la catégorie « non-autochtone ».  Mais cela ne concorde pas non plus avec la notion de Métis parce que l’ancêtre autochtone vivait avant l’arrivée des Filles du Roy. Les Québécois d’aujourd’hui portent, par un lointain métissage et une longue fraternité avec les autochtones, l’Esprit de liberté lucide de l’Amérique : une liberté « libre » de préceptes religieux. Les Québécois sont les survivants de l’épopée des Canadiens d’origine qui ont exploré le continent avec un esprit purement libre : sans le savoir, leur l’histoire marque l’Amérique et le monde. Une histoire que le conquérant anglais s’applique à effacer pour ne pas ternir sa glorieuse Destinée manifeste.

Les Canadiens d’origine, à l’instar des peuples autochtones, sont un peuple ouvert, tolérant, à la recherche d’une plus grande liberté. Depuis la Nouvelle-France, ils demeurent la courroie de transmission vers la culture européenne, de l’esprit de liberté autochtone. L’influence de la culture des Canadiens d’origine dans l’histoire du monde, tout comme leur rôle dans la fondation de la Louisiane, est méconnue. Seule la France en tirera gloire et profit. Le monde ignore que l’Esprit de liberté lucide acquit par les Canadiens d’origine parcourant l’Amérique en canot, trouva un écho en Europe pour éclairer l’esprit des Lumières.  Cet idéal de liberté venant des profondeurs de l’Amérique inspire les penseurs à l’origine de la révolution dans les 13 colonies anglaises d’Amérique et de la Révolution française.

Toutefois, aux États-Unis, sous le couvert de la Destinée manifeste, une liberté manipulée en fonction de l’idéal anglo-américain de démocratie capitaliste est mise en place. Ce modèle d’exploitation très efficace taillé sur mesure pour profiter des possibilités économiques qu’offre une Amérique aux abondantes ressources permet aux États-Unis de devenir le phare d’un nouvel idéal de liberté. Dans ce contexte, une multitude d’Européens prendront le chemin de la liberté vers l’Amérique, où ils fourniront une main-d’œuvre bon marché.  Ils deviennent prisonniers de l’idéologie anglo-américaine qui favorise la liberté du droit du plus fort ou du plus rusé.

Depuis l’épopée des Lumières, les Québécois continuent de porter le rêve américain de liberté, un rêve différent de celui des Américains d’aujourd’hui. Dans le rêve américain, ils ne retrouvent pas le monde dont leurs ancêtres et leurs alliées autochtones ont rêvé : un monde plus bienveillant est possible.   Paradoxalement, cet idéal de liberté lucide de l’Amérique transmis par les Canadiens d’origine fut incarné dans les Révolutions démocratiques américaines et françaises, ainsi qu’ailleurs dans le monde. Paradoxalement, seuls les Québécois n’ont jamais eu la chance de réaliser ce rêve de liberté qu’ils ont insufflé au monde.


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[1] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p55
[2] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p116
[3] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p142
[4] Bouchard, Serge, Les francophones d’Amérique : une communauté de destins, Conférence, 28 mai 2012, Forum de la Francophonie canadienne, En ligne 30 juin 2020 : https://sqrc.gouv.qc.ca/francophonie-canadienne/mecanismes-concertation/forum-francophonie/forum-2012/documents/conference-serge-bouchard.pdf
[5] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p290
[6] http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-32/Trappeurs_francophones_des_Plaines_et_des_Rocheuses_étatsuniennes.html#.XjWVDy0lCYN  En ligne 30 juin 2020
[7] Leroux, D. R. J. (2019). Le révisionnisme historique et la création des métis de l’est : la mythologie du métissage au Québec et en Nouvelle-Écosse. Politique et Sociétés, 38 (3)
[8] Grammond Sébastienet al., « Aux marges de la classification officielle : les groupes autochtones sans statut devant les tribunaux canadiens »,
Droit et société, 2012/2 n° 81, p. 321-342.
[9] Leroux, D. R. J. (2019). Le révisionnisme historique et la création des métis de l’est : la mythologie du métissage au Québec et en Nouvelle-Écosse. Politique et Sociétés, 38 (3)
[10] Grammond Sébastienet al., « Aux marges de la classification officielle : les groupes autochtones sans statut devant les tribunaux canadiens »,
Droit et société, 2012/2 n° 81, p. 321-342.
[11] Grammond Sébastienet al., « Aux marges de la classification officielle : les groupes autochtones sans statut devant les tribunaux canadiens »,
Droit et société, 2012/2 n° 81, p. 321-342.
[12] Grammond Sébastienet al., « Aux marges de la classification officielle : les groupes autochtones sans statut devant les tribunaux canadiens »,
Droit et société, 2012/2 n° 81, p. 321-342.


© Bastien Guérard, 2021