4 – Aux sources de l’identité québécoise

La Grande Alliance

L’historien américain David Hackett Fischer dans son ouvrage Le rêve de Champlain aborde un projet unique dans l’histoire coloniale : la Grande Alliance conduisant à la fondation de Québec par Champlain en accord avec le chef Montagnais Anadabijou dans le but de fonder un nouveau peuple.  Par cette alliance, où les fils de France marieront des filles d’Amérique, l’espoir est d’arriver à la création d’un monde nouveau dans le Nouveau Monde. Il faut comprendre que seuls les hommes étaient des explorateurs à l’époque.

L’accord de la Grande Alliance de 1603 reconnaît le droit de propriété des autochtones, car dans cet accord le gouvernement français demande l’établissement d’un poste de traite sur le territoire montagnais [1]. Toutefois, dans le cadre de cette Grande Alliance les Amérindiens concèdent aux Français l’usage de terres pour l’établissement de postes de traite et d’infrastructures de soutien. Cette alliance sert les intérêts des autochtones en leur donnant accès aux technologies européennes.  Par ailleurs, elle sert également les intérêts français en développant une relation solide avec des partenaires du milieu pour le commerce sur le nouveau continent.  Cela implique une adaptation mutuelle aux mœurs de chacun des partenaires. Les colons engagés français se prêteront au jeu facilement en adoptant des mœurs et des coutumes autochtones beaucoup plus libertines que ceux du Royaume de France.

En 1608, l’identité québécoise commence à se forger avec la fondation de Québec grâce au rêve de Champlain et à la sagesse d’Anadabijou.  Ce rêve d’une plus grande liberté poursuivi par les premiers colons du Royaume de France arrivés en Amérique se transforme par le contact avec les nations autochtones locales.  Ils apprennent d’elles de nouvelles connaissances pour survivre dans des contrées au climat plus rude qu’en Europe, en même temps qu’une vision moins hiérarchisée, plus égalitaire de la vie en communauté.  Par ces premiers contacts, la culture des colons français venus pour le travail en quête d’une vie meilleure s’enrichit d’une autre vision du monde. Contrairement aux colons pèlerins anglais, les Français arrivent sans idée préconçue de la vie à bâtir dans ce Nouveau Monde.  Les conditions fixées par la Grande Alliance permettent aux colons français de s’imbiber plus naturellement de la culture amérindienne.

Les quelques téméraires se retrouvant en Nouvelle-France pour le travail ne sont pas accompagnés de femmes.  Ils ne résisteront pas longtemps à l’invitation des Amérindiennes. Tout comme la noblesse européenne et ailleurs dans le monde, « les indigènes croyaient qu’il n’y avait pas de véritable alliance sans le mélange de sang. Il est donc indispensable que les truchements épousent « à l’indienne » des femmes de la tribu.»[2] Entre 1610 et 1629, des dizaines de Français hivernent dans les communautés indiennes. Les Français s’intègrent dans les réseaux familiaux de leurs alliés.  Ils portent des noms de famille qui résonnent encore dans nos contrées pour avoir fait souche; Nicollet, Richer, Godefroy, Letardif, Hertel, Brûlé, Vignau, Marsolet.  C’est ainsi que Joliett ramena sa fille de ses explorations; les coureurs des bois et les explorateurs après un séjour plus ou moins long avec les Amérindiens, ramenaient parfois leurs progénitures dans les villes coloniales.

Les débuts de la colonie sont marqués par des mariages interethniques, ainsi « 16 familles souches métisses ont donné naissance à une centaine de personnes métissées à la fin du XVIIe siècle. »[3] Comme Martin Prévost qui épouse Marie Manitouabe8ich, en 1644, une Algonquine.  Ils auront huit enfants, les quatre s’étant rendus à l’âge adulte auront des descendances « qui se sont unis aux Billot, Binet, Blondeau, Carreau dit La fraîcheur, David dit Pontife, Dupras, Gagnon, Gallien, Garnier, Guillot, Marier, Morin, Petitclerc, Salois, Sédillot, Tardif, Vachon et autres. »[4]  Nous reconnaissons ici des noms de famille encore très courants au Québec.  « En réalité, tous les Québécois de vieille souche trouveront probablement un jour au moins un Amérindien dans leur arbre généalogique, mais l’importance réelle du phénomène sera toujours négligeable. »[5] D’un point de vue génétique, le phénomène est peut-être négligeable, mais culturellement, l’impact de ces relations intimes et festives entre ces deux mondes aura un effet non négligeable sur la société en Nouvelle-France.

Peu de personnes au Québec sont conscients de ce métissage culturel originel des premiers colons touchant plusieurs familles de souche. Cette culture métissée s’intègrera au cours des générations suivantes dans la francophonie d’Amérique. Les colons français vivaient parmi les autochtones à l’intérieur du continent, contrairement aux autres colons européens. En 1615, les Récollets dénoncent la Compagnie des Marchands de ne pas faire venir assez de colons pour donner l’exemple aux autochtones.[6]  Dans la genèse de la Nouvelle-France, contrairement aux souhaits de l’élite française, le métissage a bel et bien existé en raison du peu de colons qui viennent s’y établir. Quelques années plus tard, les Récollets rapportent aux sujets des colons : « Les Français les mieux instruits, élevés dans les écoles de la foi, deviennent Sauvages pour si peu qu’ils vivent avec les Sauvages et perdent presque la forme de chrétien »[7] Le soutien déficient des compagnies de traite à la colonisation rend les colons plus enclins à adopter le mode de vie des autochtones pour soutenir leur famille.  Louis Hébert, le premier colon recruté par Champlain, se plaignait d’avoir de la difficulté à obtenir une charrue pour cultiver son champ tant la compagnie de commerce était réfractaire à l’établissement de colons.  Il apprend des Hurons de passage à Québec à cultiver le maïs, la courge et les haricots, en plus d’apprendre à entailler les érables pour récolter la sève.[8] L’intégration des trois sœurs en agriculture et l’usage de l’eau d’érable marquent cette ouverture envers les connaissances autochtones des colons français, ces derniers étant peu soutenus par la mère patrie. La colonisation de la Nouvelle-France demeure aux mains des marchands de fourrure jusqu’en 1664 lorsque Louis XIV décide de prendre en main l’avenir de la colonie.  Cette période favorise une grande promiscuité d’un nombre réduit de colons avec des autochtones accueillants et bienveillants.

Les compagnies françaises de traite de fourrure, comme les Hollandaises, ne sont pas intéressées par la colonisation du territoire.  Les Européens admissibles dans un poste de traite se limitent à ceux qui sont nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise. « Au-delà d’une population réduite d’agriculteurs assurant la subsistance des commis d’un comptoir de traite, tout accroissement de la population européenne risque de multiplier les intermédiaires et de modifier, au détriment de la compagnie monopoliste, les termes de l’échange et, par conséquent, les profits. »[9] Le problème est que la traite des fourrures suscite une attirance irrésistible pour les nouveaux habitants.  Elle représente un gain en capital rapide pouvant les aider dans leur établissement sur cette nouvelle terre.  En 1628, les habitants de Nouvelle-France sont autorisés à faire la traite avec les Amérindiens, mais doivent revendre les peaux au commis de la compagnie détenant le monopole de ce commerce avec l’Europe.[10]  Bien que le pays soit rude, les premiers colons s’adaptent à ce mode de vie difficile, en appréciant ce monde plus libre et plein de possibilités pour leur épanouissement personnel.

Parmi les aventuriers du Nouveau Monde à la recherche d’une vie meilleure, Pierre Boucher représente bien ce rêve américain d’améliorer son sort.  Arrivé à l’âge de 13 ans, il part deux ans plus tard en Huronie, en 1637, au service des Jésuites pour 4 ans.  À son retour, il devient interprète et soldat. Il épouse une Huronne en 1649, mais celle-ci décède l’année suivante.  Bien intégré dans la Nouvelle-France et portant le rêve de Champlain, Pierre Boucher est reconnu par ses pairs. Remarié à une Française, il devient gouverneur de Trois-Rivières où « de nouveaux couples franco-indiens se sont installés dans la région de Trois-Rivières sous la protection de Boucher. »[11] Il est anobli en 1661 et fonde la ville de Boucherville sur la rive sud de Montréal en 1667.

En 1743, dans son ouvrage Voyage en Nouvelle-France, Pehr Kalm, un scientifique suédois, souligne sa surprise de voir les Français adopter les coutumes autochtones tandis que les nations d’Europe imitent les coutumes françaises.[12] L’influence de ces contacts culturels a défini une identité spécifique aux colons français d’Amérique.  Rapidement, les recensements de l’administration nomment Canadiens les habitants pour les distinguer des Français venus le temps d’un contrat. En Nouvelle-France, les Canadiens sont ceux nés sur place.[13]De cette proximité culturelle avec les autochtones, une société distincte émerge en Nouvelle-France, différente de la mère patrie, mais également des autres colonies européennes en Amérique.

Les premiers Français devenus les Canadiens d’origine s’accoutument au continent nord-américain par des voyages de commerce en intégrant les coutumes des lieux visités.  « Les associations amoureuses et les liens de parenté entre voyageurs et les femmes autochtones, ainsi que leurs familles, constituaient d’importantes dimensions de la vie des voyageurs. »[14] La proximité des Canadiens d’origine avec les cultures présentes sur le territoire permit la découverte de l’usage de l’eau d’érable, mais également l’usage des chemins qui marchent. Le canot est le véhicule tout terrain de l’époque et les chemins qui marchent sont les cours d’eau utilisés par les Amérindiens pour se déplacer sur le continent.  Comme le fleuve Saint-Laurent donne sur l’ensemble des Grands Lacs situés au cœur de l’Amérique du Nord, les explorateurs francophones, avec la complicité des indigènes, eurent un accès privilégié à l’ensemble du continent.

La Nouvelle-France fut un vaste territoire servant de laboratoire à l’émergence d’un monde nouveau dans le Nouveau Monde : « Ils ont créé ensemble, Blancs et Sauvages, ici et là, des sociétés nouvelles, dont les mœurs n’étaient pas celles des colonies du pays bas, ni tout à fait celles des tribus indiennes, mais autre chose qui allait bientôt donner naissance à une civilisation neuve. »[15] En fonction de l’éloignement de l’épicentre de la colonisation française dans la vallée du Saint-Laurent, de nouvelles sociétés distinctes apparaissent dans ce monde en mouvance que devient l’Amérique du Nord après l’arrivée des Européens. Au début de la colonisation en Amérique, les francophones représentaient un pont entre deux mondes auxquels les Amérindiens s’ouvrirent pour créer un monde nouveau. Aujourd’hui, seule la province de Québec subsiste encore pour porter ce rêve francophone d’Amérique d’un monde nouveau dans le Nouveau Monde. À l’image de la récolte de l’eau d’érable, les Québécois portent en eux ce monde coopératif essentiel au bien commun. Et comme à la cabane à sucre, ils gardent le sens des festivités après la tâche accomplie à l’érablière.

 

Carte représentant Tadoussac et l’embouchure de la rivière Saguenay 

Source : Champlain, Samuel de, 1574-1635. — http://data2.archives.ca/e/e431/e010764751-v8.jpg, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=37592483


Québec Pur Sirop a besoin de votre soutien.
Vos contributions volontaires seront très appréciées.


[1] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
[2] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p98
[3] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p183
[4] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p102
[5] Leroux, D. R. J. (2019). Le révisionnisme historique et la création des métis de l’est : la mythologie du métissage au Québec et en Nouvelle-Écosse. Politique et Sociétés, 38 (3),3…25. https://doi.org/10.7202/1064728ar
[6] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p128
[7] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p97
[8] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p47
[9] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p247
[10] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.52
[11] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p100
[12] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
[13] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
[14] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, p. 239
[15] Germain, Georges-Hébert,Les coureurs des bois, saga des indiens blancs, Edition Libre Expression, 2003  p59


© Bastien Guérard, 2020

L’Ordre de Bon Temps

Les hivers sont rudes dans le Nord-Est de l’Amérique.  Pendant l’hiver 1606-1607, à Port-Royal, Samuel de Champlain crée un club social, qu’il nomme l’Ordre de Bon Temps. Les Micmacs sont aussi invités à participer aux festivités et fournissent la plupart des aliments frais.[1] « L’hiver de 1606–1607 fut des plus joyeux : température agréable, nourriture et vin en abondance. Champlain contribua à la bonne humeur en fondant l’Ordre de Bon Temps, sorte de chevalerie de la gaieté dont les membres devaient tout à tour assurer du gibier pour la table et entretenir la joie. »[2] Ces fêtes sont l’occasion de présenter des spectacles ou des performances artistiques. L’organisation de ces fêtes sur une base hebdomadaire fait suite à un évènement survenu à l’automne 1606.

Cet évènement a lieu à l’occasion du retour de Champlain et de Poutrincourt d’un voyage d’exploration dans la région de Cape Cod en novembre 1606. La première performance artistique s’intitula « Le théâtre de Neptune » en référence au Dieu grec de la mer que les hommes affrontaient lors de la grande traversée de l’océan Atlantique.  Les Micmacs avec leurs canots participent au spectacle qui a lieu en partie sur l’eau. L’idée fait son chemin et par la suite chaque semaine une nouvelle personne fut désignée pour organiser les festivités de la semaine suivante. Cette activité, en plus de remonter le moral des habitants pendant les longues nuits hivernales, permet d’éprouver une alimentation variée favorisant la bonne santé des personnes.  L’alimentation variée et les produits frais réduisent l’incidence du scorbut chez les gens pendant l’hiver. Ces soirées festives réunissant Français et Amérindiens renforcent l’amitié et l’idée de la création d’un nouveau peuple réunissant des gens de mondes différents.  Nous pouvons imaginer Champlain à table accompagné du chef micmac, Membertou, « ce vieillard savant, shaman, herboriste, homme du monde, esprit ouvert, scella pour un siècle et demi les amitiés franco-micmaques. »[3]

L’Ordre de Bon Temps - 1606

Source : Charles William Jefferys — http://www.cwjefferys.ca/uploads/thumbnails/orderofgoodcheer_1.jpg.d55ca27e.jpg Crédit: Bibliothèque et Archives Canada, numéro d’acquisition 1996-282-3., Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=51483697

Dans cette scène de la création d’un monde nouveau dans le Nouveau Monde, nous oublions souvent un personnage renforçant l’esprit des acteurs dans cet imaginaire : l’interprète africain de Champlain, Mathieu da Costa présent à cette table : « La première personne noire recensée à mettre pied au Canada fut Mathieu da Costa, un homme libre, embauché en tant qu’interprète pour Samuel de Champlain lors de son voyage de 1605. »[4]  Peu d’information subsiste sur da Costa. D’après les archives hollandaises, da Costa a signé un lucratif contrat à Amsterdam pour trois ans en 1607 : « Selon toute vraisemblance, les Hollandais l’ont enlevé aux Français. Le secrétaire de Pierre Dugua de Mons, Jean Ralluau se rend à Amsterdam afin de contester la saisie par les Hollandais à Tadoussac du contenu (canons, ancres et marchandises) de deux des navires de l’explorateur. »[5]  L’histoire de da Costa est peu connue, mais cette mésaventure confirme qu’il accompagne Champlain dans plusieurs voyages en Acadie et en Nouvelle-France. Surtout qu’il est un membre assez important de l’expédition pour qu’on l’envoie chercher à Amsterdam suite à son enlèvement à Tadoussac. Il était à bord de l’un des deux navires capturés par les Hollandais. La présence d’un Africain dans les expéditions de Champlain renforce cette dimension du grand rêve de la fraternité humaine sans frontière. Par sa présence, la tablée de l’Ordre de Bon Temps réunissait des gens de trois continents.

Cette tablée réunissant Samuel de Champlain, Membertou et Mathieu da Costa fraternisant en imaginant un monde nouveau dans Nouveau Monde reflète bien l’idée fondatrice de cette colonie allant au-delà des souhaits de l’élite européenne. Trois personnages représentent trois continents, trois mondes différents se fusionnant sur des terres aux richesses variées et abondantes.  La présence de ces gens de divers horizons à cette tablée hebdomadaire a contribué à implanter ce rêve de liberté fraternelle entre les gens de la planète dans cette colonie française d’Amérique. Cette tablée s’est également reproduite en Nouvelle-France où Anadabijou remplace Membertou.  L’esprit fraternel conduisant à la Grande Alliance est sans doute renforcé par l’effet de da Costa, car sa présence à la table de l’Ordre de Bon Temps indique l’unification commerciale planétaire qui conduira irrémédiablement à l’établissement d’un monde nouveau. À l’instar de Membertou, Anadabijou semble avoir perçu cette perspective de l’avenir en concluant la Grande Alliance.

L’Ordre du Bon Temps inspire l’idée de la création d’un monde nouveau dans ce Nouveau Monde où tous apportent un peu de soi et de son savoir-faire dans un esprit de partage fraternel. Une idée à l’image de cette toute première pièce de théâtre en Amérique, réalisée par des Français portant sur la mythologie grecque et utilisant des canots amérindiens et des acteurs de tous les horizons. Le rêve américain de liberté s’applique à tous dans le théâtre francophone du Nouveau Monde ! Cet esprit fraternel se perpétue dans les réseaux commerciaux francophones d’Amérique du Nord, non seulement avec les Amérindiens, mais également avec les personnes d’origine africaine, comme le démontre le fondateur de Chicago, Jean Baptiste Pointe du Sable, né à Saint-Domingue, ancien nom d’Haïti. En 1779, lorsqu’il ouvre son comptoir commercial pour les trappeurs et les Amérindiens, à l’embouchure de la rivière Chicago, « on raconte qu’il était très étroitement lié avec des Canadiens français. »[6] Dans le même esprit de la création d’un monde nouveau, il se marie avec Kitihawa, la fille d’un chef Potawatomi.

Cette tradition festive hebdomadaire se poursuit dans la colonie tant en Acadie qu’en Nouvelle-France. Les colons intègrent à leur mode de vie ces soirées de fête, pour meubler les longs hivers de musiques, de chants, de danses et de contes. De cette façon, ils développent une tradition orale.  Peu alphabétisés, les paysans français du XVIIe siècle transmettent déjà leurs connaissances par l’intermédiaire de contes ou de chansons. Cette tradition d’oralité du savoir apportée en Amérique facilite la mise en commun de valeurs partagées, car « au cours de leurs périples, les voyageurs rencontraient des Amérindiens, qui eux aussi avaient l’oralité́ pour forme d’expression première.»[7]  En nouant des amitiés lors de ses activités, cette tradition festive avec les peuples autochtones ouvre également la porte à l’exploration de leur culture et de leur continent. Les explorateurs français s’intègrent aux communautés amérindiennes qui les accueillent à travers leurs fêtes traditionnelles. Cette dynamique avec les peuples autochtones favorise la traite de la fourrure à travers l’ensemble du continent. Elle contribue à l’émergence des coureurs des bois voyageant en canot sur les rivières pour les compagnies de traite.

Pour les coureurs des bois, bien chanter est fort utile. En ramant en canot, les chants permettent de garder la cadence et de motiver les hommes. « Le rythme des chansons aidait les voyageurs à tenir le rythme de nage tandis que les paroles leur procuraient un moyen de se rappeler de leur foyer et de commémorer ceux qui avaient perdu la vie en service. »[8] Le rythme est rapide ou lent, selon les conditions de navigation d’un canot chargé ou léger. Les chansons à répondre et les chansons à rimes sont les plus appréciées. Certaines chansons sont françaises, d’autres typiquement canadiennes. De plus, à l’occasion de la traite, ils sont mieux appréciés lors des fêtes avec les Amérindiens ; le coureur des bois à tout avantage à être bon chanteur, surtout auprès des Amérindiennes dans cette société matricentriste.  Les bons chanteurs seront avantagés financièrement au début de la colonisation : « Un bon chanteur, capable de stimuler un équipage, recevait un supplément à son salaire. »[9]Comme toujours, une plus grande variété de savoir-faire permet de négocier un meilleur salaire.

Les coureurs des bois, imprégnés de la liberté culturelle autochtone, terminent leur vie libertine vers l’âge de 30 ou 35 ans. Certains apprécient tellement la vie de liberté parmi les peuples autochtones qu’ils demeurent parmi eux.    Pour les autres l’argent amassé leur permet d’avoir une bonne vie dans la colonie, pour eux et leur famille. Ils représentent ces Canadiens d’origine, rapidement nommés ainsi, car ils ne se conformaient plus à l’autorité française aussi docilement que les autres travailleurs engagés de France.  Ainsi parmi les gens qui firent souche, les meilleurs chanteurs étaient favorisés, ce qui démographiquement favorise le succès de leur descendance. Ces Canadiens d’origine seront les principaux acteurs de la traite de la fourrure qui se poursuivit jusqu’à l’arrivée du chemin de fer dans l’ouest du continent au milieu du XIXe siècle. Pendant près de 200 ans, les bons chanteurs seront favorisés socialement par la traite de la fourrure. Par la transmission d’un aspect social sur un grand nombre de générations, certains traits caractéristiques s’amplifient, expliquant sans doute que les descendants des Canadiens d’origine ont développé des voix magnifiques.  Tout comme les Afro-Américains font de meilleurs athlètes en raison de la sélection des plus vigoureux par les pénibles conditions de l’esclavage.

En plus de développer le sens du spectacle lors des fêtes en famille, l’Ordre de Bon Temps a donné naissance à un peuple s’ouvrant à l’autre à travers les festivités. Dans gens bienveillants, travaillants et voulant profiter du Bon Temps !  Ces Canadiens d’origine, devenus les Québécois d’aujourd’hui, dominent le milieu du spectacle partout dans le monde. Dans cette ville de fêtes qu’est Las Vegas, les grandes têtes d’affiche sont Céline Dion, les spectacles du Cirque du Soleil, ou d’autres québécois de passage comme André-Philippe Gagnon ou Véronic DiCaire. Du côté de la mère patrie, la France a l’impression d’être envahie par les chanteurs québécois depuis l’arrivée, en 1952, de Félix Leclerc avec sa guitare, qui entame l’époque des chansonniers. Les Jacques Brel et Georges Brassens suivront son style.

L’émergence du Jazz est intimement liée aux festivités du Mardi Gras en Louisiane. La première trace de célébration du Mardi Gras aux États-Unis remonte aux fêtes organisées à Mobile par Pierre Le Moyne d’Iberville lors de la fondation de la Louisiane. Le jazz, né en Nouvelle-Orléans, émerge d’un métissage culturel à l’image des Canadiens d’origine qui ont fondé cette colonie au nom de la France. Ainsi faisant écho à La Nouvelle-Orléans, Montréal est également le berceau de grands jazzmen comme Oliver Jones ou Oscar Peterson. L’immense succès du Festival international de Jazz à Montréal, l’un des plus importants au monde repose sans doute sur une influence mutuelle remontant à l’Ordre de Bon Temps.

On peut conclure en disant que l’esprit d’ouverture festif actuel de l’Amérique émane de l’Ordre de Bon Temps mis en place par Champlain. L’impact de l’Ordre de Bon Temps est indiscutable : son esprit de fêtes joyeuses et fraternelles habite encore la descendance des colons français et de ses coureurs des bois. Eva Tanguay, à l’origine du star-system américain au début du XXe siècle,[10] ou Rudy Vallée, le premier crooner américain dans les années 1920,[11] font écho à l’esprit de l’Ordre de Bon Temps qui ponctue profondément l’Amérique du Nord. Maintenant leur descendance parcourt les continents dans le monde du spectacle à travers les Madonna[12], Justin Bieber[13] ou Céline Dion.


Québec Pur Sirop a besoin de votre soutien.
Vos contributions volontaires seront très appréciées.


[1] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.40
[2] http://www.biographi.ca/fr/bio/champlain_samuel_de_1E.html en ligne 18 août 2020
[3] http://ici.radio-canada.ca/emissions/de_remarquables_oublies/serie/document.asp?idDoc=147026 en ligne 18 août 2020
[4] http://www.histoiredesnoirsaucanada.com/timeline.php?id=1600 en ligne 18 août 2020

[5] https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/mathieu-da-costa en ligne 18 août 2020
[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Baptiste_Pointe_du_Sable en ligne 18 août 2020
[7] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, p. 294
[8] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, p. 295
[9] Germain, Georges-Hébert, Les coureurs des bois – La saga des indiens blancs, Éditions Libre Expression, 2003, p71
[10] https://www.ledevoir.com/societe/493181/eva-tanguay-lady-gaga-de-l-avant-guerre en ligne 18 août 2020
[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Crooner en ligne 18 août 2020
[12] http://www.perche-quebec.com/files/madonna/individus/madonna.htm en ligne 18 août 2020
[13] https://www.vrak.tv/nouvelles/celebrites/decouvre-stars-meme-famille-1.1685106 en ligne 18 août 2020


© Bastien Guérard, 2020

Enracinement du français en Amérique

La fixation du français comme langue d’usage dans le commerce en Amérique du Nord doit beaucoup à la relation particulière que les premiers colons nouèrent avec les peuples autochtones. Contrairement aux Anglais arrivant comme une marée humaine, les Français sont arrivés avec plus de parcimonie en fonction des besoins du commerce de la fourrure.  Dans leur relation avec les autochtones, ils font l’usage de truchements, des jeunes hommes envoyés pour vivre avec les Amérindiens et pour apprendre leurs langues et leurs coutumes.  Lors de la fondation de Québec, Champlain envoie Étienne Brûlé et Nicolas Marsolet passer l’hiver avec les Montagnais pour qu’ils deviennent des truchements.  Ces derniers reviendront au printemps en bien meilleure forme que les Français demeurés dans l’habitation construite à Québec où 16 des 24 hommes de Champlain ne survécurent pas à ce premier hiver.[1] Les truchements deviendront bien plus que des interprètes, ils apprennent la géographie du pays, les techniques de chasse, les sources d’alimentation, les moyens de déplacement pour s’adapter à ce nouvel environnement et aux coutumes autochtones de transaction.  En remplaçant les Hurons dans le commerce de la fourrure, le français s’impose comme langue commune des affaires en Amérique du Nord.

 

Le premier coureur des bois est Étienne Brulé. Embarqué à 16 ans, il passe plusieurs années avec les Amérindiens. Il fut le premier Européen à explorer quatre des cinq grands lacs se déversant dans le fleuve Saint-Laurent.  Il guide les explorations de Champlain couvrant 6 provinces canadiennes et 5 États américains. Il organise la traite de la fourrure avec les Amérindiens.  À l’instar de nombreux coureurs des bois, étant illettré il laisse peu de traces de ses explorations et de ses aventures.  La plupart de ses découvertes seront attribuées à d’autres. Toutefois, il est considéré comme le premier franco-ontarien par les francophones de l’Ontario.

 

Plaque commémorant le passage d'Étienne Brûlé au lac Ontario

Source : PFHLai — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3329467

 

Après la décision de Richelieu de réserver la Nouvelle-France aux catholiques de langue française et avec l’arrivée des Jésuites en Nouvelle-France en 1625, le pouvoir religieux sur la colonie se trouve renforcé. « Ils sont investis du pouvoir de retourner en France les interprètes dont ils jugent la vie immorale. » [2] La Compagnie de Caën, qui détient le monopole de la traite à l’époque, se voit ainsi obligée de se défaire de ses deux meilleurs interprètes : Brûlé et Marsolet.  De retour en France, Étienne Brûlé se marie, et se fait recruter par la Compagnie des Cent Associés fondée par le cardinal Richelieu pour prendre le contrôle de la traite de la fourrure.  Démontrant une fois encore que l’argent semble bien plus le moteur de la foi catholique.  Dans ce contexte en 1628, lorsque Brûlé se fait capturer par les frères Kirk dans le Saint-Laurent en route vers Québec, il aurait accepté de guider les navires anglais pour se rendre à Québec, selon certaines rumeurs, mais d’autres rumeurs pointent du côté de Montagnais.  

 

Au printemps 1629, à cours de vivres, Champlain rend Québec aux frères Kirk lorsque trois autres navires anglais arrivent en face de Québec. Mais la prise de Québec eut lieu après le règlement du conflit entre la France et l’Angleterre en Europe.[3]  Québec sera restitué en 1632 par le traité de Saint-Germain-en-Laye. Pendant l’occupation certains colons demeurent à Québec, comme Marie Rollet, veuve de Louis Hébert. D’autres iront vivre parmi les Amérindiens comme Jolliet, enfin d’autres suivent Champlain en France.[4] Cet épisode retarde le développement de la Nouvelle-France. Les 400 colons français accompagnant Étienne Brûlé en 1628 furent retournés en France par les frères Kirk et lorsque Champlain rendit Québec, seuls quelques Français restèrent à Québec. 

 

La fin de l’histoire d’Étienne Brûlé n’est pas claire.  Il retourne vivre parmi les Hurons. En 1632, il y sera torturé, tué, puis mangé selon la coutume pour honorer les grands guerriers. Est-ce pour sa traîtrise envers la Grande Alliance ? Il existe 7 versions de l’histoire d’Étienne Brûlé.[5]  Sujet de controverse pour l’élite religieusement monarchiste, il demeure le symbole d’un esprit libre ayant vécu pleinement la culture autochtone. 

 

L’expérience des autochtones avec les frères Kirk à Québec est fort différente de celle qu’ils connaissent avec les Français.  « Les Anglais se montrent incompétents, pingres et arrogants ; ils ne comprennent rien au protocole amérindien des transactions. »[6] Cet épisode montre bien aux autochtones que l’approche française d’établissement en Amérique du Nord est différente de celle des autres principaux colonisateurs européens espagnol et anglais.  L’historien américain du XIXe siècle, Francis Parkman, illustre cette réalité : « La civilisation hispanique a écrasé l’Indien, la civilisation britannique l’a méprisé et négligé, la civilisation française l’a adopté et a veillé sur lui. »[7]L’aventure des frères Kirk à Québec, qui se termine en 1632, semble avoir renforcé cette relation fraternelle avec les autochtones. 

 

L’établissement d’un poste de traite français sur leur territoire apparaît respectueux des cultures pour les Amérindiens.  De plus, ils n’ont pas besoin de se déplacer pour obtenir des chaudrons ou autres produits provenant d’Europe.  Dès 1633, le chef Algonquins Capitanal vient à Québec rencontrer Champlain pour « lui demander la construction d’un fort français et d’un poste de traite aux Trois-Rivières. »[8] Au chef algonquin, avec sa « rhétorique aussi fine et dédiée qu’il saurait sortir de l’École d’Aristote ou de Ciréron »[9], Champlain répond : « Quand cette grande maison sera faite, alors nos garçons se marieront avec vos filles et nous ne ferons plus qu’un peuple. »[10]  Cette réponse démontre à nouveau le souhait de Champlain de vivre en harmonie avec les autochtones.  L’idée d’une colonie pour Champlain n’est pas une colonie de remplacement, mais une colonie pour un monde nouveau.

 

Il demeure difficile de dire à quel point la position de Champlain sur la question d’un monde nouveau est profonde ou si sa position est simplement pragmatique. Dans le rêve de Champlain, l’idée de fonder un peuple métis de langue française avec les autochtones repose sur un autre constat bien simple : son groupe d’aventuriers était tous de sexe masculin.  Pour fonder une colonie, les femmes sont nécessaires.  L’idée noble de vouloir créer un peuple métis permettant de partager les connaissances de l’un et l’autre repose également sur cette réalité socioéconomique.  Tout de même convaincus de la supériorité de leur civilisation, les Français pensent que le métissage constitue une période d’intégration : « Le métissage n’est pas conçu comme un mélange équilibré puisque, grâce à l’éducation, l’élément autochtone de ce mélange est appelé à disparaître au profit de l’élément européen. »[11]  Le but fondamental est l’intégration des autochtones au marché du Royaume de France sous l’autorité d’un roi de droit divin de connivence avec l’Église catholique.  Mais comme il est plus facile d’ensauvager un Français que d’européaniser un Amérindien, les résultats tardèrent à venir. 

 

L’Église catholique, garant de l’idéologie de soumission justifiant les inégalités sociales, défend vigoureusement son dogme de toute contamination pouvant le remettre en question. Au début de la colonie, « les Jésuites ont, en désespoir de cause, demandé au Saint-Siège de permettre les mariages entre des hommes français et des femmes autochtones non converties au catholicisme, faisant valoir que « cela obligerait les Autochtones à aimer les Français comme leurs frères. » »[12]  Certainement conscient de l’influence autochtone, le Saint-Siège de Rome refuse cette demande, jalouse de son omnipotence sur la pensée de ses fidèles. Il demeure que pour la France, « la fusion ethnique doit servir à l’unification religieuse et culturelle de la colonie franco-autochtone. »[13]  L’acceptation du dogme est essentielle pour soumettre les nouveaux sujets aux règles inégales du marché sous le contrôle du Royaume de France.  Toutefois, le pragmatisme semble avoir dominé une relation basée sur le commerce de la fourrure.

 

En 1663, lorsque le roi de France, Louis XIV, décide de prendre le contrôle du commerce dans la colonie, elle compte 2 500 habitants dont le tiers est né dans la colonie.[14]  L’idée de peupler les lieux est écartée, le territoire de la Nouvelle-France étant trop vaste et la colonisation trop coûteuse.  Comme l’intendant Colbert le fait entendre au roi : « Les colonies doivent rapporter à l’État et non lui coûter. » Il est décidé de se concentrer sur le commerce de la fourrure pour rendre cette colonie profitable.

 

En premier lieu, ce commerce demande la sécurisation des voies de transport toujours sous la menace des Cinq Nations iroquoises.  Le Régiment de Carignan est envoyé pour repousser les Iroquois dans leur territoire au sud du lac Champlain.  Le second problème est le manque de colons pour protéger le commerce de la fourrure menacé par l’expansion des colonies anglaises de la Côte Est.  Les soldats du Régiment de Carignan se voient donc confier une seconde mission : « Après la victoire, il économise les frais de retour et leur offre des terres à cultiver et des filles à marier. »[15]  Toutefois, le problème de colonisation par l’établissement de familles sur des fermes demeure, car les soldats ne sont pas des agriculteurs. Ils s’intègrent plus facilement au réseau de traite des fourrures pour remplacer les autochtones décimés par les guerres et les épidémies.[16]  

 

À l’époque, le commerce de la fourrure en Nouvelle-France fait face à une double menace en raison de l’explosion de la colonisation anglaise sur la Côte-Est Atlantique. D’abord, la réduction des territoires de trappage d’animaux, dont l’expansion vers l’Ouest du commerce de la fourrure sera la seule réponse valable. Ensuite, le risque d’invasion de la vallée du Saint-Laurent par les Anglais, porte d’entrée française pour le commerce de la fourrure, dont la solution sera l’accroissement de la population par l’envoi des Filles du Roy pour marier les hommes de la colonie. Ce contexte contribue à l’enracinement du français de Paris comme langue d’usage dans la colonie et à travers l’Amérique du Nord.


Québec Pur Sirop a besoin de votre soutien.
Vos contributions volontaires seront très appréciées.



[1] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p24

[2] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p135

[3] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p52

[4] Proulx, Gilles, Nouvelle-France – Ce qu’on aurait dû vous enseigner, Les éditions du Journal, 2015, p59

[5] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p51

[6] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p53

[7] Rioux, Christian, « L’Amérique selon hollywood », Le Devoir, 4 mars 2016, p.A3

[8] Lacoursière, Jacques, Histoire populaire du Québec, tome 1, Septentrion, 1995 p.62

[9] Lacoursière, Jacques, Histoire populaire du Québec, tome 1, Septentrion, 1995 p.62

[10] Lacoursière, Jacques, Histoire populaire du Québec, tome 1, Septentrion, 1995 p.62

[11] Leroux, D. R. J. (2019). Le révisionnisme historique et la création des métis de l’est : la mythologie du métissage au Québec et en Nouvelle-Écosse. 

Politique et Sociétés, 38 (3),3…25. https://doi.org/10.7202/1064728ar

[12] Leroux, D. R. J. (2019). Le révisionnisme historique et la création des métis de l’est : la mythologie du métissage au Québec et en Nouvelle-Écosse. 

Politique et Sociétés, 38 (3),3…25. https://doi.org/10.7202/1064728ar

[13] Leroux, D. R. J. (2019). Le révisionnisme historique et la création des métis de l’est : la mythologie du métissage au Québec et en Nouvelle-Écosse. 

Politique et Sociétés, 38 (3),3…25. https://doi.org/10.7202/1064728ar

[14] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p54

[15] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p54

[16] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p54


© Bastien Guérard, 2020

Les Filles du Roy

Marguerite Vienne fut la première femme à venir en Nouvelle-France. Elle accompagnait son mari en 1612, mais décéda peu après son arrivée. Les pionnières furent Marie Rollet et ses deux filles, Guillemette et Anne, arrivées en 1613.  Elles composent la famille de Louis Hébert, la première véritable famille de colons.  Parmi les 10 000 colons français à l’origine du Canada, nous ne retrouvons que 2000 femmes.[1]  Parmi ces deux mille femmes, nous comptons environ 800 courageuses Filles du Roy.  Ce contingent de femmes intrépides venues d’elles-mêmes simplement à la recherche d’un monde meilleur représente 40 % des femmes arrivées dans la colonie. Ces femmes intrépides illustrent un autre apport à l’esprit de liberté qui anime déjà la Nouvelle-France.  Elles s’embarquent sous la protection du Roy qui garantit une dote à leur mariage en Nouvelle-France.

Les Filles du Roy commencent à arriver en 1663, deux ans avant que la Nouvelle-Hollande tombe aux mains des Anglais.  Après des années de pression et de tension, l’augmentation de la population anglaise autour de cette colonie avait fini par avoir raison d’elle. L’arrivée des Filles du Roy coïncide avec cette montée en puissance des colonies anglaises sur le continent en raison de leur poids démographique. Une telle montée entraîne une réponse similaire de la part de la France : il faut avoir plus de gens s’installant de manière permanente sur le territoire pour assurer la survie de la colonie. L’envoi de femmes pour augmenter la population de la Nouvelle-France afin de contrecarrer le déferlement de la population anglaise de la Côte-Est est une stratégie pour préserver le commerce de la fourrure.

Les compétiteurs hollandais du commerce de la fourrure avaient également tenté de renforcer leur population coloniale, mais à l’époque la Hollande était le cœur économique de l’Europe ; personne n’avait envie de la quitter pour aller s’installer à Manhattan, la future New York, cœur de l’économie mondiale actuelle !  L’intendant Jean Talon, un homme visionnaire, est connu comme un des grands bâtisseurs de la Nouvelle-France; il croit à l’immense potentiel du pays. C’est l’instigateur de l’envoi de ces Filles du Roy. L’intégration de quelque 800 jeunes braves femmes ayant traversé l’Atlantique entre 1663 à 1673 permit à la colonie de tripler sa population qui n’était de 3000 habitants avant leur arrivée.  Elles enfantent une masse critique de Canadiens d’origine permettant le maintien de la colonie française 100 ans de plus que la Nouvelle-Hollande.

L’arrivée des Filles du Roy

Source : Charles William Jefferys — classomption.qc.ca et/and BNF, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=18787426

L’arrivée des Filles du Roy favorise l’usage du français de Paris comme langue commune dans la colonie, car une majorité d’entre elles parlaient le français du Roy. À l’époque, en France, beaucoup de patois étaient parlés dans les diverses régions du pays, comme la Bretagne ou la Normandie d’où proviennent plusieurs colons. Les premiers colons de France provenant de diverses régions n’ayant pas le français de Paris comme langue d’usage se le firent imposer par les Filles du Roy.  Le français de Paris sera imposé en France par un Corse suite à la Révolution française : Napoléon voulait mieux intégrer les gens du Royaume de France pour défendre la nouvelle république guidée par l’esprit des Lumières.  La Nouvelle-France sera d’avant-garde selon plusieurs aspects sociaux de la société actuelle.

Cette question de langue démontre qu’un certain mélange de peuples compose l’ascendance des premiers colons qui sont bretons, normands, basques ou français : des souches qui remontent aux Celtes pour les Bretons, aux envahisseurs vikings pour la Normandie, aux conquérants francs suite à la chute de l’Empire romain en Gaule et pour les Basques, une souche qui se perd dans la nuit des temps.  En Nouvelle-France, bien avant la Révolution française, le français deviendra la langue unificatrice de gens provenant de divers horizons dans un esprit de liberté, d’égalité et de fraternité.

Les Filles du Roy ne sont pas toutes parisiennes, elles proviennent de divers horizons en France et en Europe.  À l’image de la composition des 5000 colons arrivés de France, elles reflètent la variété des populations composant le Royaume de France à l’époque. Par l’unification linguistique de la colonie autour de la langue française, les Filles du Roy favorisent l’intégration des communautés des diverses régions de France composant la Nouvelle-France forgeant ainsi son caractère unique. Cette mixité du peuplement d’origine française, fréquentant des peuples autochtones ouverts et libres, conduit à la formation de cette culture canadienne d’origine éprise de liberté, vivant alors sous un dictat catholique. Cette particularité de la société francophone d’Amérique à la source de l’identité québécoise, la conduira à se libérer de la religion catholique au XXe siècle pour devenir une société foncièrement laïque.

L’enracinement du français comme langue d’usage en Nouvelle-France eut de nombreuses répercussions en Amérique.  Le français devint la langue d’usage du commerce de la fourrure : le commerce de la fourrure s’étendait à l’époque de la Côte-Nord sur la rive nord du Saint-Laurent au Colorado en passant par le Manitoba et la région des Grands Lacs. Le français devient la langue d’interaction avec les autochtones d’Amérique intéressés au développement de leur culture dans le nouveau contexte mondial. Une grande portion de l’Amérique du Nord devient un vaste territoire où les Français se métissaient avec les Amérindiennes pour fonder des nations métisses ou métissées comme le peuple Canadien d’origine française.  L’un étant plus européen, l’autre plus amérindien, mais chacun ayant intégré un peu de culture de l’autre.

Il faut réaliser que ce n’est que vers 1715 que la population des femmes égale celle des hommes en Nouvelle-France, plus de cent ans après la fondation de Québec.  Cette période a été propice au métissage avec les peuples amérindiens qui habitaient le territoire.  Les nouveaux colons sont imprégnés des cultures autochtones locales. Toutefois, l’équilibre entre les sexes ne s’est pas fait par le contact avec les Amérindiennes.  La plus grande contribution à l’équilibre entre les sexes dans la colonie se trouve dans l’arrivée des Filles du Roy.  Les Filles du Roy s’intègrent à la culture existante déjà en place en Nouvelle-France pour affronter un environnement différent de celui de Paris.

Il est difficile d’évaluer le rôle des échanges matrimoniaux entre Amérindiens et Français dans la transformation des colons français en Canadiens d’origine. Parmi les Filles du Roy, « une seule épouse un Indien qui se plaint de son manque de robustesse à transporter les marchandises. Un âne lui est accordé en indemnité. »[2] Comme la moitié des Filles du Roy viennent de la région parisienne, ajoutée aux filles provenant d’autres villes de France, les deux tiers sont d’origine citadine. À l’époque cette tranche de population ne représentait que 15 % des gens du Royaume de France : un vrai retour à la terre pour des filles de la ville ! Bien que soutenues par des religieuses à leur arrivée, à l’instar de colons comme Louis Hébert et sa famille, les jeunes filles de la ville ont dû apprendre bien des choses des Amérindiennes.  En Nouvelle-France, ceux connaissant mieux le mode de vie du pays sont les autochtones vivant parmi les Français qui représenteront 10 % de la population à la Conquête.

Les trois quarts des Québécois descendant des Canadiens d’origine ont un ancêtre autochtone.[3] Cette intégration des communautés européennes et indigènes en Nouvelle-France demeure un sujet controversé tant au niveau génétique que culturel. Avant la Conquête, 44 500 mariages officiels ont été enregistrés par l’Église catholique de la colonie.  « À part les unions « à l’indienne », ou « à la mode du pays », il y a eu des mariages entre indigènes et Français au Québec entre 1603 et 1763. »[4]  Nous dénombrons 123 mariages interethniques, soit 78 unions entre un amérindien et une femme européenne et 45 entre une Amérindienne et un homme européen.  Cette statistique démontre que les femmes européennes avaient plus besoin de confirmer leur relation maritale avec un autochtone en fonction du standard européen, contrairement aux hommes avec les Amérindiennes.  Les coureurs des bois se conforment plus au standard amérindien des relations matrimoniales « à la mode du pays ». Toutefois, des exceptions furent probables selon les rumeurs; les autochtones venant magasiner en ville affichent une quasi-nudité provocante pour certaines. Les sauvages sont passés fut longtemps une expression québécoise pour annoncer la naissance d’un bébé.[5] Pour que l’expression fasse souche, elle représente une réalité courante de l’époque démontrant l’intégration de la descendance des coureurs des bois ou la naissance d’enfants illégitimes.

À la conquête en 1763, la Nouvelle-France compte environ 55 000 habitants. Cette population de souche adaptée aux conditions climatiques du pays se multiple dans une relative autarcie en rapport aux vagues d’immigration vers les Amériques, principalement en raison du climat froid de cette région propice aux belles fourrures. « Pour les 10 000 colons qui ont fait souche en Nouvelle-France, on évalue à 10 000 000 environ le nombre de leurs descendants essaimés à travers l’Amérique du Nord, soit un coefficient de 1 000. »[6]La France d’aujourd’hui compte plus de 60 millions d’habitants pour une population de 20 millions d’habitants au début de la colonisation en 1608.  Dans le même laps de temps, elle a multiplié par 3 sa population tandis que les Canadiens d’origine l’ont fait par 1 000 !  Dire que Colbert s’opposa à Jean-Talon, car il n’était pas question pour lui de dépeupler les campagnes de France au profit du Nouveau Monde.


Québec Pur Sirop a besoin de votre soutien.
Vos contributions volontaires seront très appréciées.


[1] https://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/population/immigration/
[2] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p55
[3] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
[4] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p96
[5] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
[6] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p254


© Bastien Guérard, 2020

Le rang distingue la Nouvelle-France

En plus des femmes, la fondation d’une colonie exige l’établissement de fermes sur des terres cultivables  Un système de distribution des terres est mis en place pour donner accès à la propriété aux colons afin de favoriser leur installation. La distribution de terres à bon prix poursuit un but : « en liant les colons à la terre ceux-ci doivent produire pour en garder la possession, ce qui les empêche de consacrer trop de temps à la traite. »[1] Ce système est mis en place dès le début de la colonie pour développer son autosuffisance par l’installation de colons cultivateurs, tout en les éloignant de la tentation de la traite de fourrures. La distribution des terres reproduit le système féodal français où un seigneur règne sur ses vassaux.

 

La forme des seigneuries a forgé les paysages québécois actuels.  À l’image de la seigneurie, les terres sont distribuées en lots rectangulaires, le côté étroit perpendiculaire au cours d’eau, ce qui donne accès à une rivière à tous les lots de la seigneurie.  Les cours d’eau sont les premières routes de la colonie, d’où l’importance de ce type d’organisation des terres. Ce modèle de distribution des terres donne accès aux chemins qui marchent, car les cours d’eau sont les véritables voies de communication du continent. Ils assurent le fonctionnement du réseau de distribution de la colonie avant la construction de la première route, le Chemin du Roy, reliant Montréal et Québec en 1737 : un parcours 280 km traversant 37 seigneuries. [2] Une série de corvées contribue à relier tous les chemins intérieurs des seigneuries de la rive-Nord du fleuve Saint-Laurent pour faire la première grande route en Amérique du Nord. « Les États-Unis attendront quasi un siècle pour se donner l’équivalent avec la « route nationale » de Cumberland (Maryland) à Wheeling (Ohio). »[3]

 

Comme les seigneuries, les rangs se sont étalés le long des cours d’eau. Avec la croissance démographique et l’aménagement de chemins, un 2e rang s’est développé à l’intérieur des terres appliquant le même principe pour donner aux propriétés un accès, cette fois, aux voies de circulation terrestre.  « Comme résidences et bâtiments sont sur les propriétés respectives de chacun, l’habitat est dispersé; mais il est tout à la fois plus ou moins groupé, puisque chaque exploitant, en raison de la forme même des parcelles, est à proximité de ses voisins. Tous peuvent donc aisément se prêter mutuelle assistance. »[4] Au cours des siècles, un 3e, puis un 4e rang et ainsi de suite se sont développés reproduisant ce modèle caractéristique de distributions des terres forgeant le paysage des campagnes au Québec.

 

Toutefois, il faut établir des colons sur ces terres pour les cultiver, ce qui sera toujours un défi en Nouvelle-France. Une entreprise peu populaire auprès des jeunes hommes, car les bois représentent le lieu de la richesse et de la liberté recherchée dans la colonieCe goût de l’aventure des jeunes hommes, n’aide aucunement la croissance de la colonie. Selon l’anthropologue Serge Bouchard, en 1685, 80 % des jeunes hommes partaient dans le bois et ils ne revenaient plus : « Pour un jeune homme de l’époque, devenir cultivateur n’était pas très attrayant sachant que tu as le curé sur le dos, des charges, des taxes, des obligations et pas beaucoup de respect en comparaison au monde autochtone que tu retrouves dans le bois.  Vivre de chasse, de trappe et d’amour était le rêve des jeunes hommes. » [5] L’administration coloniale doit mettre en place un système de congé de traite pour s’assurer de la présence d’un nombre minimum d’hommes dans la colonie pour assurer sa défense. En regard des mœurs de la mère patrie, le régime seigneurial qui prend forme dans la colonie doit faire plusieurs compromis pour conserver des colons cultivateurs épris de liberté.

 

Le régime seigneurial prend forme à partir de 1627 après que le cardinal Richelieu eût divisé les rives du St-Laurent en seigneuries. En 1635, après la reprise de Québec aux frères Kirk, les terres sont distribuées à l’Église catholique et à des notables de la place. Posséder une seigneurie ne signifie pas automatiquement appartenir à la noblesse, car une minorité sont attribuée à des marchands, des professionnels ou des entrepreneurs.  Les seigneuries constituent une sorte de petite communauté composée de la famille du seigneur et de ses domestiques, ainsi que de quelques familles de colons. Le seigneur qui a pour tâche de peupler sa seigneurie en facilitant l’établissement des colons doit se faire accommodant envers ses vassaux.  « Les seigneurs et les vassaux bénéficient de certains droits et devoirs les uns envers les autres. »[6] Principalement, le seigneur doit construire un moulin en plus d’habiter la seigneurie; le censitaire, en plus de se construire une habitation sur son lot, doit le défricher, le cultiver et participer à des corvées au bénéfice de la seigneurie. 

 

Le peuplement de la région de Trois-Rivières en 1709

Source : Trudel, Marcel, Atlas historique du Canada français, Les presses de l’Université Laval, 1961, p70

 

La seigneurie s’adopte au mode de vie des colons pour des raisons économiques et sociales : « Les voyageurs se faisaient employés à contrat dans la traite pour gagner un supplément d’argent pour leurs familles de paysans, et en général ils leur faisaient parvenir leurs salaires. »[7] Comme les fils de colons rêvent de prendre le bois, plusieurs d’entre eux feront des allers-retours entre les deux mondes rapprochant ces deux mondes l’un de l’autre.  « En 1700, un jeune homme né au pays sur deux avait vécu dans la grande sauvagerie, selon l’intendant DeMeule, « les petits enfants ne pensaient qu’à devenir coureur des bois ». »[8]  Des seigneuries comme celle de Pierre Boucher seront plus réceptives à ce nouveau mode de vie moins restrictif, tourné vers des valeurs sauvagement libres.

 

Contrairement au monde des affaires en Hollande, l’activité économique de la France monarchique passe incontournablement par la noblesse. En Nouvelle-France, la bourgeoisie marchande émergeant de la traite des fourrures doit s’allier à la noblesse pour sécuriser son commerce devant l’arbitraire monarchique. Ainsi, le monde des marchands fréquentant les bois pour la traite de la fourrure et les nobles ayant des connexions parmi l’élite monarchique s’allient très rapidement. Des mariages auront lieu entre les marchands et les nobles conjuguant ainsi richesses et privilèges au bénéfice des deux familles. La traite de la fourrure, additionnée des conditions de vie rude et périlleuse, jumelée à l’influence de la culture autochtone environnante forge des relations moins hiérarchiques entre les acteurs sociaux d’une seigneurie que dans la métropole en France. Le maintien de colons dans la colonie demande à l’administration de faire des compromis en acceptant un peu les mœurs de liberté autochtone, et ceci pour son bon fonctionnement. 

 

Par la création des rangs pour s’adapter aux conditions environnementales, le modèle seigneurial de distribution des terres marque la culture québécoise. Sur les images aériennes, ce modèle rectangulaire de distribution des terres le long des cours d’eau rend facilement reconnaissable le territoire agricole découlant de la colonisation de la Nouvelle-France. Le rang distingue le territoire québécois également par des toponymes reflétant l’imaginaire des habitants ; « rang du Bout-du-Monde, rang des Belles-Amours, rang de l’Embarras, rang de la Coulée. »[9] Dans un souci de présenter un visage moderne, certaines municipalités modifient le générique de rang au profit de boulevard ou avenue et par la même occasion effaçant de nos mémoires des noms savoureux reflétant notre histoire.[10] Le terme rang sonne dépassé dans ce monde tourné vers la modernité.

 

Pourtant, sur chaque rang au fond des terres agricoles s’est développé ce trait culturel unique aux colons français ; les terres octroyées aux colons sont assez grandes pour qu’ils disposent d’un espace boisé au bout de ces terres défrichées pour l’accès aux bois de chauffage ; cette zone boisée au fond du terrain deviendra la place de l’érablière.  Les colons conserveront de préférence l’érable à sucre pour constituer leur érablière.  Toutefois, nous retrouvons également des érables argentés et des érables rouges, mais ces derniers produisent moins de sucre et vivent 100 ans de moins en moyenne qu’un érable à sucre, qui lui peut vivre 250 ans.[11] Ce boisé en fond de concession fournira les produits de l’érable qui joueront un grand rôle dans la constitution de l’identité des Canadiens d’origine.


Québec Pur Sirop a besoin de votre soutien.
Vos contributions volontaires seront très appréciées.


[1] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p111

[2] https://www.lecheminduroy.com/historique en ligne 5 septembre 2020

[3] https://www.lecheminduroy.com/historique en ligne 5 septembre 2020

[5] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min

[6] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p56

[7] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, p. 293.

[8] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p103

[11] Dupont, Jean-Claude, Les temps des sucres, Les Éditions GID, 2004 p15


© Bastien Guérard, 2020

Contribution de l’érable à un mode de vie de liberté

Les Amérindiens consommaient l’eau d’érable de diverses manières, mais principalement en la réduisant par chaleur. La principale transformation de l’eau d’érable consiste à évaporer l’eau pour obtenir une plus grande consistance, mais elle peut servir directement comme eau de cuisson ou comme breuvage : « Ils se contentaient de lui donner deux ou trois bouillons pour l'épaissir un peu et en faire une espèce de sirop qui est assez agréable. »[1] Historiquement, les Canadiens d’origine apprirent à recueillir l’eau d’érable suite aux contacts avec les Amérindiens.  Dans ce processus d’échange, en mariant cette coutume amérindienne avec les nouveaux outils disponibles, cette relation mutuelle contribue à améliorer le processus de récolte et de transformation de cette matière première pour en faire du sirop d’érable, du sucre d’érable, de la tire d’érable et plus récemment du beurre d’érable.

Il est difficile de savoir quand l’usage du sucre d’érable prend réellement place dans la coutume culinaire des colons. Toutefois, nous savons que dès le début de la colonie, Louis Hébert, le premier colon, fait usage d’eau d’érable.  Le savant suédois Pehr Kalm, de passage en 1749 en Nouvelle-France, écrit au sujet des produits de l’érable : « presque tous les paysans de cette région-ci en fabriquent chaque année en abondance, mais on dit que les sauvages d’Amérique sont les grands maîtres en la matière. »[2] En février 1671, dans une lettre de Talon à Colbert il est question du raffinage du sucre d’érable pour en faire une denrée d’exportation.[3] Cela révèle que son usage devrait être déjà commun chez les colons pour envisager son exportation sur le marché français. Les Canadiens d’origine souhaitent faire des produits de l’érable un commerce important pour le vendre sur le marché européen.  Toutefois, ils ne réussissent pas à blanchir le sucre d’érable et à le raffiner au goût des Européens habitués au sucre d’une pure blancheur des Antilles.  Comme le souligne une religieuse de passage en Nouvelle-France « qui dit que le sucre de canne des îles est beaucoup plus beau, et que le sucre d’érable n’est jamais blanc. » [4] Les Européens consomment que le sucre blanc, la blancheur est symbole de pureté.

À l’instar de leurs alliés autochtones, les colons français commencent à faire l’usage de la sève printanière de l’érable pour son apport en sucre, mais également comme remède.  Michel Sarazin, chirurgien militaire, qui produit la première description scientifique des produits de l’érable et de ses propriétés à « l’Académie royale des sciences de Paris en 1730, se borne à voir dans la sève d’érable le remède et non l’édulcorant. »[5]  Il est surprenant qu’il ne mette pas en valeur la douce saveur sucrée de l’érable, mais peut-être voulait-il se conformer au standard de l’époque où un remède devait goûter mauvais pour faire sortir le méchant.

L’exploitation de l’eau d’érable comme ressource alimentaire représente bien l’influence mutuelle entre les Canadiens d’origine et les Amérindiens.   Le père Leclerc, dans sa description de la fabrication de sucre à partir de l’eau d’érable en 1676, souligne que les Amérindiens commencèrent à fabriquer du sucre d’érable qu’après avoir été équipés de chaudron de fer.[6] La transformation de l’eau d’érable en sucre en facilite la conservation tout au long de l’année.  Cet usage du chaudron de fer amené par les Européens révèle l’intégration rapide d’un nouveau produit aux mœurs amérindiennes, comme à l’inverse pour les Français, l’apprentissage de l’usage de cette source de sucre par les colons français s’avère fort commode pour le développement de son autonomie.

Anciennes et nouvelles coutumes amérindiennes de récolte d'eau d'érable

Source : Par Joseph François Lafitau (1681-1746) — Joseph-François Lafitau, "Customs of the American Indians compared with the customs of primitive times," 105., Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=17616030

Autour des produits de l’érable dans le fond de sa terre, les Canadiens d’origine développent une culture détachée des circuits traditionnels de l’industrie du sucre influençant de plus en plus la marche du monde. Indépendant du sucre des Antilles, il crée un mode de vie unique sur leur terre permettant de vivre en quasi autarcie.  Il cultive un amour de la liberté dans son bois, au fond de sa terre, où l’érable à sucre trône comme symbole de son autonomie et de sa culture s’harmonisant au milieu.  L’intégration de l’usage de l’eau d’érable dans la culture culinaire conduit à la création d’un ensemble de symbolique culturelle liée à l’érable, à l’usage de techniques autochtones, comme les raquettes, pour faciliter sa récolte, ainsi qu’à l’intégration des festivités printanières liée à sa récolte.  Aujourd’hui, à partir de cet élément unique à notre terroir, de nouveaux produits dérivés sont créés ou réinventés au plaisir des fins palais allant des alcools à la vinaigrette en passant par la confiserie.

Encore en 1919, nous trouvons des citations faisant référence aux connaissances acquissent des autochtones.  Décrivant des gens se rendant à la cabane à sucre, l’auteur cite : « Et tous ces braves gens, vêtus d’étoffe du pays, chaussé de bottes à sucre, les solides bottes sauvages de chez nous, coiffés de tuques et de fourrures. »[7]  Encore 300 ans après la fondation de la Nouvelle-France, l’habitant démontre une reconnaissance envers les technologies obtenues des autochtones en soulignant la solidité des bottes à sucre. Contrairement aux autres colonies européennes, la Nouvelle-France est peuplée majoritairement d’Amérindiens.  La seule réelle colonie française en Amérique est un noyau entre Québec et Montréal où les descendants français sont en majorité. « Le recensement de 1685 dénombre 10 725 sujets français et 1438 sauvages dans cet espace restreint. »[8] La présence des Amérindiens au sein du noyau de la colonie française est permanente tout au long de la Nouvelle-France. Elle représente autour de 10 % de sa population.  Cette promiscuité des deux mondes imprègne les colons français qui adoptent plusieurs techniques et coutumes amérindiennes. Les coureurs des bois sont des agents d’amérindiennisation, « lorsqu’ils revenaient dans la vallée du Saint-Laurent, ils avaient acquis de nouveaux savoir-faire, de nouvelles expériences et de nouvelles attitudes envers l’environnement physique autant qu’envers les peuples.»[9] Très vite les Canadiens d’origine se présentent comme des gens foncièrement nord-américains par l’usage de vêtement d’inspiration autochtone et par leur détachement des valeurs européennes, entre autres l’autorité hiérarchique. Les gens mécontents prennent facilement le bois pour retrouver la liberté chez les autochtones.

Exploitation de l'eau d'érable pour fabriquer du sucre

Source : Aquarelle de William Ogle Carlile de 1873
Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=17884192

Tout comme les échanges maritimes de la colonie sont coupés six mois par année à cause des glaces sur le fleuve Saint-Laurent, les habitants deviennent eux aussi isolés en hiver.  Les chemins qui marchent s’arrêtent pour l’hiver. Les déplacements étant plus limites une grande partie de l’année, les colons apprennent à vivre en autarcie avec les ressources du pays. L’adoption des technologies de leur voisin autochtone, plus au fait de l’usage des ressources du pays, permet le développement d’un modèle de subsistance spécifique aux colons.  Bien que les déplacements en canot sont impossibles sur la glace, les colons peuvent attendre le cœur de l’hiver pour pouvoir traverser les cours d’eau sur une épaisseur de glace sécuritaire. La traine sauvage remplace le canot pour le transport de biens. L’automne et le printemps demeurent les périodes périlleuses, la solidité de la glace étant plus douteuse.

Plusieurs technologies autochtones s’intègrent dans le mode de vie des Canadiens d’origine. L’usage de la raquette en hiver pour faciliter les déplacements sur la neige fut rapidement adopté par les colons français, contrairement aux autres colons européens du nord-est du continent. La pêche sous la glace fera son apparition à Trois-Rivières en 1635.[10] Le canot, le moyen de transport par excellence, subit des modifications pour s’adapter aux besoins de la colonie.  Le canot surdimensionné, rabaska, pour le transport de fourrures et de matériel sera créé par les Français pour faire la traite dans un vaste territoire.  De même que le canot de glace, plus robuste, pour traverser le fleuve durant les périodes périlleuses d’automne et du printemps, car autrement, la colonie était coupée en deux par le fleuve Saint-Laurent. Aujourd’hui, les courses de canot de glace du Carnaval de Québec célèbrent ses traversées épiques.

À travers les autochtones les colons découvrent les vertus de plantes permettant de vivre en harmonie avec son environnement.  Le bouleau, en plus de pouvoir recueillir sa sève comme celle d’érable, est une plante aux usages multiples. L’écorce de bouleau sert à la construction de canots, de tipis et d’abris, mais également de casses pour la récolte de l’eau d’érable. « Les colons faisaient provision d'écorce de bouleau pour fabriquer des récipients pour recueillir la sève d'érable. » [11] Ce type de contenant pour recueillir l’eau d’érable reste en usage jusque vers 1870 où les chaudières en fer blanc deviennent d’usage.[12]

Les échanges soutenus avec les autochtones permirent aux colons de Nouvelle-France de développer des produits et des technologies répondant à leur besoin en fonction des contraintes du pays.  Cette colonie du bout du monde ne recevait pas beaucoup d’attention et de compréhension de la part de la France.  Toujours plus préoccupés par ses intérêts en Europe, les colons doivent s’organiser par eux-mêmes avec les ressources disponibles. Dans cette colonie isolée 6 mois par année, la débrouillardise s’installe pour tirer le meilleur de son milieu de vie, comme en témoigne l’usage de l’eau d’érable pour l’accès à du sucre.


Québec Pur Sirop a besoin de votre soutien.
Vos contributions volontaires seront très appréciées.


[1]http://classiques.uqac.ca/contemporains/delage_denys/influence_amerindiens/influence_amerindiens_texte.html#_ftn109 en ligne 2 octobre 2020
[2] Dupont, Jean-Claude, Le temps des sucres, Les Éditions GID, 2004 p43
[3] Dupont, Jean-Claude, Le temps des sucres, Les Éditions GID, 2004 p43
[4] Dupont, Jean-Claude, Le temps des sucres, Les Éditions GID, 2004 p42
[5] Dupont, Jean-Claude, Le temps des sucres, Les Éditions GID, 2004 p40
[6]http://classiques.uqac.ca/contemporains/delage_denys/influence_amerindiens/influence_amerindiens_texte.html#_ftn109 en ligne 2 octobre 2020
[7] Dupont, Jean-Claude, Le temps des sucres, Les Éditions GID, 2004 p57
[8] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p54
[9] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, p. 297
[10] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.65
[11]http://classiques.uqac.ca/contemporains/delage_denys/influence_amerindiens/influence_amerindiens_texte.html#_ftn109 en ligne 2 octobre 2020
[12]http://classiques.uqac.ca/contemporains/delage_denys/influence_amerindiens/influence_amerindiens_texte.html#_ftn109 en ligne 2 octobre 2020


© Bastien Guérard, 2020

L’esclavage en Nouvelle-France

La création de l’étoffe du pays, un manteau d’hiver typiquement canadien adapté aux rigueurs de l’hiver, est l’initiative d’Agathe de Saint-Père.  Les Français de Nouvelle-France ont peu de connaissance en la matière, contrairement aux Anglais qui font concurrence aux Hollandais en Europe dans la fabrication et le commerce de tissus. Que cela ne tienne, pour partir une manufacture de manteaux Agathe de Saint-Père achète des esclaves : cinq tisserands anglais capturés sur la Côté-Est. C’est à l’occasion de la guerre coloniale de 1702 et du blocus anglais que cette manufacture de manteau prend forme. Les Abénakis, accompagnant les Français dans les raids sur la côte du Maine, avaient pour habitude de capturer des hommes, femmes et enfants pour les vendre comme esclaves.[1]

Chez les Amérindiens les prisonniers ne devenaient pas automatiquement esclaves, ils pouvaient même être appelés à remplacer un frère mort au combat, contribuant à la mixité des peuples. L’esclavage était pratiqué chez les peuples autochtones comme ailleurs sur la planète où existe un contexte socio-économique archaïque et où les moyens de production étaient primitifs. Comme le note le baron de La Hontan en 1686, après que les Sauvages eurent installé leurs trappes pour piéger les animaux, « ils en donnent la direction aux esclaves qui visitent les trappes tous les matins, qui remettent un nouvel appât et qui rapportent la capture. »[2]  L’esclavage est intégré au mode de vie autochtone, tout comme dans plusieurs régions du monde à l’époque. Les domestiques des élites étaient des esclaves depuis l’Antiquité.  Et pour démontrer leur richesse et leur pouvoir, certains de leurs domestiques étaient très bien habillés et même très cultivés.  Avec le temps et l’évolution des sociétés, les esclaves se sont transformés en ouvriers salariés. Aujourd’hui, aux yeux de certains, le crédit bancaire est une forme moderne d’esclavage.

Dans la culture nord-américaine dominée par les États-Unis, l’esclavage fait référence à l’importation massive d’Africains pour faire le travail sur les plantations.  Cette importation massive d’Africains vers l’Amérique est occasionnée par la production de sucre dans les Caraïbes. La méthode de production de sucre d’une pure blancheur développée dans les îles Canaries, Açores et Madère par les Portugais, est reproduite de l’autre côté de l’Atlantique.  Après la disparition rapide des Amérindiens dans les Caraïbes que les Espagnols avaient réduits à l’esclavage, l’importation d’une main-d’œuvre d’Afrique devient la solution. L’expansion de la culture de la canne à sucre a transformé la nature de l’esclavage. Jusqu’alors, celui-ci obéissait à un mode de fonctionnement économique archaïque. Désormais, l’esclavage répond à une logistique industrielle grâce au développement de techniques nouvelles et à l’application rigoureuse de méthodes de travail. Ce qui illustre mieux cette nouvelle ère pour le commerce d’esclaves entre l’Afrique et l’Amérique, c’est l’apparition d’un nouveau type de navires, le négrier. Ces navires transporteront des millions d’Africains vers les Amériques, entassés comme des sardines dans leurs cales. Dans ces conditions inhumaines, plusieurs ne survivent pas à la traversée.  Les Hollandais deviendront maîtres de ce commerce initié par les Portugais. Au sud des États-Unis cette approche économique a été importée des Caraïbes pour la culture du coton, du tabac et des arachides. Grâce à la production de coton dans le sud des États-Unis, l’esclavage a été intégré à un processus de production manufacturière en développement en Angleterre. Dans les colonies du sud des États-Unis, l’esclavage devient une industrie très profitable contribuant, par l’accumulation de richesse, à la constitution d’une élite capitaliste. La fin de l’esclavage dans cette région marque l’imaginaire collectif mondial par la Guerre de Sécession qui divisa ce nouveau pays, symbole de la liberté.

Mon idée de l’esclavage a été bousculée en visitant l’île de Gorée, au large de Dakar au Sénégal. Cette île était un des trois principaux ports pour l’exportation d’esclaves vers l’Amérique à l’époque de la traite négrière transatlantique.  En visitant ce lieu, la première affiche nous apprend que l’esclavage en Afrique noire est pratiqué par les Arabes bien avant l’arrivée des Portugais sur la côte de l’Afrique de l’Ouest.  Les pays du golfe pratiqueront la traite des esclaves en Afrique noirs, avant et après la période de la traite transatlantique. La traite orientale perdure plus de 900 ans en comparaison aux 400 ans de la traite occidentale sur les côtes d’Afrique.  On évalue à 42 millions le nombre de personnes déportées : 17 millions de personnes vers l’Orient, 14 millions vers l’Occident et 11 millions à l’intérieur de l’Afrique.[3] Peu de traces subsistent des millions d’esclaves envoyés en Orient, car les hommes étaient castrés à l’arrivée.  [4] Contrairement à l’Amérique, les pays du Moyen-Orient étant proche de la ressource par voie terrestre considéraient l’esclave comme un produit facilement remplaçable.  En Amérique, le coût de transport élevé entraîne la reproduction d’esclave sur place.  Paradoxalement, cette vision mercantile de la traite négrière permet aux descendants d’esclaves d’honorer la mémoire de leurs ancêtres.

Dans cette histoire, il ne faut pas oublier que pour que la traite négrière fonctionne, des Africains ont participé activement à ce commerce d’esclaves et en ont tiré un maximum davantage. La grande beauté des femmes de Dakar reflète encore l’ampleur de ce commerce où les marchands d’esclaves noirs locaux conservaient pour eux les plus belles femmes des tribus ennemies. Encore aujourd’hui, les mêmes routes des esclaves sont utilisées par des Africains pour migrer vers l’Europe, et comme hier, plusieurs se retrouvent encore esclaves dans le monde arabe.

En Nouvelle-France, les lois françaises s’appliquent : la traite négrière est autorisée en France par Louis XIII en 1642.  En 1685, Louis XIV promulgue le Code noir pour la régie de l’esclavage en France et dans ses colonies aux Antilles.  Une version sera éditée pour l’esclavage en Louisiane en 1724, mais aucune version n’est publiée spécifiquement pour la Nouvelle-France, démontrant le peu d’importance du phénomène.[5] Influencé par les Jésuites, le droit des esclaves selon le Code noir leur donne accès aux sacrements de l’Église, en plus des soins médicaux, d’une ration alimentaire hebdomadaire et de deux habits par an.[6]  Cette surprenante générosité de deux habits par an, serait-elle l’idée d’un jésuite s’étant aventuré en Nouvelle-France ?  Un habit pour l’hiver, l’autre pour l’été !  Bien que le Code noir serve de référence en Nouvelle-France, la traite négrière avec l’Afrique n’aura pas lieu dans cette région d’Amérique. Les propriétaires d’esclave de Nouvelle-France doivent se conformer à ce premier code de loi en Europe en rapport à l’esclave; le Code noir permet à un propriétaire de punir son esclave, mais celui-ci n’a pas droit de mort sur lui, pas plus que le droit de le mutiler ou de le torturer, contrairement aux propriétaires des colonies anglaises au sud du continent.[7] Toutefois, la cour pourrait imposer la peine de mort à un esclave suite à un délit.

En Nouvelle-France les esclaves seront principalement des autochtones, soit 2 693 esclaves amérindiens versus 1 443 esclaves noirs. D’après l’historien Marcel Trudel, sur la période entre 1632 et 1834, 4 185 esclaves furent à l’emploi de 1 574 propriétaires d’esclaves au Québec.  À titre comparatif des 4 200 esclaves répartis sur 200 ans au Québec, en 1710, la seule colonie du Maryland compte déjà 8000 esclaves, la Caroline du Sud en compte 12 000 en 1721 et New York compte 10 500 esclaves noirs en 1749. [8]  Cette comparaison ne cherche pas exonérer l’esclave en Nouvelle-France, mais plutôt à démontrer son poids historique différent en comparaison à la culture anglo-américaine.  En Nouvelle-France, l’esclave représente plus une main-d’œuvre d’appoint dans une colonie faiblement peuplée qu’un outil de base de la production comme dans les colonies anglaises. L’esclavage ne semblait pas inclus dans le modèle d’affaire de la traite de la fourrure en Nouvelle-France : « Le roi Louis XIV de France accorda une permission limitée aux colons de la Nouvelle-France de garder des Noirs et des Pawnee comme esclaves. Se plaignant de la pénurie de domestiques et d’ouvriers disponibles, les pionniers avaient fait appel à la Couronne pour obtenir la permission de devenir propriétaires d’esclaves.»[9]  Aucun navire négrier ne se rend en Nouvelle-France pour approvisionner la colonie en esclaves. Les esclaves africains proviennent des colonies anglaises, par l’intermédiaire du commerce, de la contrebande ou des prises de guerre.[10]

Territoire des Panis

Source : https://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/population/esclavage/

Panis est le nom donné aux esclaves amérindiens.  Bien que les Panis soient des Pawnees, une nation amérindienne à l’ouest du Missouri d’où provient la majorité des esclaves autochtones, ceux-ci peuvent provenir d’autres régions. Nous retrouvons des esclaves des nations Sioux à l’ouest des Grands Lacs, des Renards du sud des Grands Lacs, des Inuits du Labrador, des Chicachas du Mississippi, des Apaches du Sud-Ouest américain.  Les esclaves étaient remis aux Français comme présent dans les échanges pour la traite de la fourrure. Les Illinois étaient reconnus pour faire des raids contre les nations du Sud-ouest pour la capture d’esclaves.[11] Les expéditions de La Vérendrye dans l’Ouest pour la recherche de nouvelles routes pour la traite conduiront au seul grand commerce d’esclaves en Nouvelle-France. « La pratique de la vente de femmes esclaves aux Canadiens, mentionnée par Umfreville en 1790, remontait au moins aux années 1730 et 1740, période durant laquelle chaque année jusqu’à soixante femmes esclaves étaient envoyées à Montréal. »[12]

L'esclavage en Nouvelle-France

Source : https://anecdoteshistoriques.net/2013/03/23/un-noir-vaut-deux-rouges-deux-siecles-desclavage-au-quebec/

Contrairement à d’autres colonies européennes dans les Amériques, la Nouvelle-France n’est pas une colonie esclavagiste ; l’esclavage existe comme outil de développement économique, mais il n’en est pas le moteur. Les activités économiques des colonies du Nord-Est du continent se prêtent peu à l’emploi d’esclaves. Le commerce de fourrures en canot à travers le pays ne se prête pas à l’encadrement nécessaire à l’esclavage industriel. En Nouvelle-France, plus de 60 % des esclaves sont en milieu urbain, ce qui démontre leur emploi comme domestique, plutôt que dans le milieu agricole. [13] Les colonies du Sud ont basé leur développement économique sur l’exploitation de vastes cultures de tabac, de coton ou d’arachide, qui se prête mieux à ce type de main-d’œuvre. L’emploi d’esclaves permet de maximiser la rentabilisation des cultures avec une main-d’œuvre captive.

L’emploi d’esclaves amérindiens dans les colonies rencontre un problème : il faut maintenir cette main-d’œuvre captive. Il est certainement plus simple de déraciner un Africain pour en faire un esclave en Amérique que de prendre un Amérindien pour le réduire à l’esclavage sur le territoire dans lequel il évolue depuis sa naissance. En Nouvelle-France, un esclave africain se vend deux fois le prix d’un esclave amérindien.[14] Les esclaves amérindiens peuvent s’enfuir vers leur terre natale, tandis que les esclaves africains ont peu d’autres choix que de s’intégrer.  Dans les colonies anglaises, même des esclaves noirs et des serviteurs blancs prenaient la clé des champs pour rejoindre les enclaves de liberté que représentent les villages autochtones. Cela conduit les Anglais de la colonie de Virginie à mettre à l’esclavage les Powhatans, la tribu de Pocahontas, de 1676 à 1691 pour contrôler la fuite d’esclave. [15]  Cet épisode démontre encore que les Amérindiens représentent une culture en compétition avec le modèle de société que veulent imposer les colonisateurs anglais.  Lincoln est reconnu pour avoir mis fin à l’esclavage aux États-Unis.  Toutefois, peu de gens soulignent qu’il commença sa carrière dans les milices coloniales changées d’éliminer les Amérindiens dans le Midwest.[16]

L’esclavage des Africains pour l’exploitation agraire fut le moteur économique du sud des États-Unis. Cette différence de modèle économique entre le Nord et le Sud sera à la source de la Guerre de Sécession qui marque profondément l’histoire des États-Unis. La charge historique de l’esclavage des Noirs et de la ségrégation raciale en Amérique du Nord concerne plus la culture anglo-américaine que la culture franco-américaine.  Bien que touchés par cette période sombre de l’histoire des Amériques, les gens de l’ancienne colonie française de la vallée du Saint-Laurent se sentent peu concernés par cette pratique économique d’esclavage industriel.

Dans l’imaginaire collectif des francophones d’Amérique remontant à la Grande Alliance et à l’Ordre de Bon Temps, la ségrégation raciale n’a pas sa place. Sous le régime monarchique, la forte discrimination hiérarchique est en rapport à l’ascendance familiale.  Rappelons que le premier Noir que les Français ont amené au Québec, Mathieu da Costa, c’était pour l’assoir à la table avec eux. Tandis que le premier Noir que les Anglais ont amené ici, Olivier Le Jeune, c’était pour les servir à leur table. « Le premier esclave africain à habiter au Canada fut un garçon de six ans, dont Sir David Kirke était propriétaire. L’enfant fut vendu à plusieurs reprises, pour finalement être acheté par le Père Paul Le Jeune. Il fut baptisé dans la religion catholique, du nom d’Olivier Le Jeune. »[17] L’acte de sépulture d’Olivier Le Jeune laisse entendre qu’il a terminé sa vie comme homme libre, car il y est qualifié de domestique.[18] « La majorité des esclaves noirs vont arriver plus tard, avec les royalistes, après le Régime français. »[19]

Plusieurs esclaves amérindiens ont œuvré dans la colonie de Nouvelle-France, mais au cours du temps, ils se sont intégrés à la communauté.  « Après l’abolition de l’esclavage en 1833, les Panis se sont fondus dans la population. »[20]Si peu de traces subsistes de l’esclavage en Nouvelle-France, ce n’est pas à cause que les esclaves furent castrés, mais plutôt à cause de leurs mariages avec des Canadiens d’origine. En Nouvelle-France, nous recensons 173 mariages impliquant au moins un esclave ; « 113 entre Noirs, 34 entre Français ou Canadiens et Amérindiennes, 11 entre Français ou Canadiens et Noires, 11 entre Amérindiens, 4 entre Amérindiens et Noirs. » [21]  Plusieurs familles québécoises descendent de ces esclaves de l’époque coloniale.  « Notamment certains Blondeau, Bourdon, Campeau, Chauvin, Courchesne, Doyon, Gouin, Lavoie, Locat, Renard et Saint-Onge. » [22]Le nom de famille Renard vient sans doute de la tribu des Renards au sud des Grands Lacs.

Les arbres généalogiques québécois renferment plein de mystères et plusieurs surprises. En remontant de cinq générations l’arbre généalogique de l’ancien Premier ministre Maurice Duplessis, nous retrouvons parmi ses ancêtres, un esclave mascoutin.[23]  Les Mascoutins étaient une tribu vivant le long de l’actuelle frontière entre le Wisconsin et l’Illinois. Ils furent anéantis par les Français et leurs alliés Potawatomi vers 1712.[24] Le Québec démontre encore son avant-gardisme social en ayant eu comme chef de gouvernement un descendant d’esclave bien avant les États-Unis.  Notons que Barak Obama n’est pas un descendant d’esclave, son père était un étudiant venu du Kenya et sa mère, une femme blanche des États-Unis.  L’ancien président a plus de chance de descendre d’un vendeur d’esclaves africain. Toutefois, il convient d’admettre que Maurice Duplessis ne pourrait être considéré comme un représentant d’une minorité visible. Et, d’après l’historien Franck Mackey, il en va de même pour les descendants d’esclave noir de Nouvelle-France ; « Après l'ancêtre esclave noir, ce sont des mariages avec des Blancs. Il n’y a aucune trace qui reste. C'est pour ça que je dis que les traces de l'esclavage, c'est dans l'ADN. »[25] Pour conclure sur la première personne descendante d’esclave à la tête d’un gouvernement en Amérique du Nord, Michelle Obama, en tant que Première dame des États-Unis, en est clairement la digne représentante.

L’esclavage en Nouvelle-France a laissé peu de traces au sein de la population québécoise. À ce propos, dans la poursuite des origines impénétrables des Québécois d’aujourd’hui, il serait intéressant de considérer l’intégration de la majorité des esclaves sous l’angle des Solutréens d’Europe ayant traversé l’Atlantique au temps de la glaciation.  Les derniers Amérindiens blancs d’Amérique proviennent de la région où se trouvent principalement les Panis, ce qui expliquerait encore plus le peu de traces physiques laissées par l’intégration des esclaves dans la population québécoise. L’usage de l’appellation variée comme Panis blancs, Panis noirs, Panis Ricaras, Panis oasa, nous indique que certains autochtones blancs furent vendus comme esclave.[26] Les colons français étaient venus pour acquérir une certaine liberté, ce qui laisse à penser que leur conscience de la liberté d’autrui était plus éveillée; « les Aubert de Gaspé et les Casgrain notamment, n’ont pas attendu l’abolition officielle pour affranchir leurs esclaves et les garder par la suite à leur service comme domestiques.»[27]

À la lumière de ces informations, l’esclavage en Nouvelle-France reflète l’image des Canadiens d’origine.  Il repose plus sur les coutumes d’esclavage à l’amérindienne que sur le Code noir de l’ancienne mère patrie française. Tout comme les Amérindiens, les Canadiens d’origine faisaient usage d’esclaves comme domestiques, comme monnaie d’échange ou pour éventuellement les affranchir à travers un processus d’intégration à la communauté. Depuis sa fondation, les coutumes de Nouvelle-France s’imprègnent, à travers la Grande Alliance, des manières de vivre des peuples autochtones.  Il y a eu de l’esclavage en Nouvelle-France, avec la brutalité de l’asservissement que cela implique, toutefois avec moins de discrimination raciale. Les quelques tisserands anglais réduit à l’esclavage semblent l’exception confirmant cette règle; en effet, des Blancs, des Noirs venus des colonies anglaises ou encore des autochtones d’Amérique pouvaient être esclaves en Nouvelle-France. L’ouverture à l’égalité de la culture francophone d’Amérique se distingue également dans son rapport à l’histoire de l’esclavage en Amérique.

La fin de l’esclave aux États-Unis singularise d’une manière particulière les Canadiens d’origine. À l’époque, les Anglais de Montréal inféodés à l’Angleterre supportaient les Sudistes esclavagistes pendant la Guerre de Sécession.  Bien que l’esclavage fût aboli en Angleterre, les intérêts économiques des manufacturiers de coton les poussent à financer les sudistes pour maintenir la rentabilité de leur modèle économique. En 1867, la fondation du Canada fait suite au refus des États-Unis de reconduire le traité de réciprocité économique (1855-1866). Les États-Unis étaient froissés du support de l’Empire britannique aux Sudistes pendant la Guerre de Sécession. [28] L’élite anglaise du Canada était la plaque tournante de ce soutien aux Sudistes. Le marché se fermant vers le sud, l’élite anglaise, avec à sa tête John A. Macdonald, décide de former la Confédération canadienne en 1867 afin de créer un marché Est-Ouest.  Suite à la fondation du Canada, une vaste opération d’appropriation culturelle commence. Les Canadiens (d’origine) deviendront des Canadiens français, de même qu’une minorité parmi d’autres dans le Canada multiculturel dominé par l’idéologie anglo-américaine.  Aujourd’hui, les Canadiens d’origine sont considérés comme des racistes à l’image des Sudistes sous prétexte qu’ils refusent de se fondre dans la culture anglo-américaine nordiste, grande rédemptrice de l’esclavage en Amérique et symbole de la liberté dans le monde.  La culture francophone d’Amérique par sa conception fondamentalement plus large de la liberté, dérange. Les Canadiens d’origine ont la particularité d’être les seuls Blancs en Amérique à se faire dire par les Anglais : Speak white !


Québec Pur Sirop a besoin de votre soutien.
Vos contributions volontaires seront très appréciées.


[1] https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/la-nature-selon-boucar/segments/chronique/34169/expression-pure-laine-serge-bouchard en ligne 12 septembre 2020
[2] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.81
[3]https://fr.wikipedia.org/wiki/Traites_n%C3%A9gri%C3%A8res#Les_d%C3%A9buts_de_la_traite_occidentale en ligne 12 septembre 2020
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Esclavage_dans_le_monde_arabo-musulman en ligne 12 septembre 2020[5] Trudel, Marcel, L’esclavage au Canada français, Les presses universitaires Laval, 1960, p193
[6] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p128
[7] Généalogie insolite – Une catégorie de citoyen à part : les esclaves https://www.sgq.qc.ca/images/_SGQ/R_LAncetre_plus_libre/G-I-ESCLAVES.pdf en ligne 12 septembre 2020
[8] Généalogie insolite – Une catégorie de citoyen à part : les esclaves https://www.sgq.qc.ca/images/_SGQ/R_LAncetre_plus_libre/G-I-ESCLAVES.pdf en ligne 12 septembre 2020
[9] https://www.encyclopediecanadienne.com/fr/chronologie/black-history  en ligne 12 septembre 2020
[10] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1269942/esclavage-canada-noirs-autochtones-histoire en ligne 14 septembre 2020
[11] https://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/population/esclavage/ en ligne 14 septembre 2020
[12] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, p. 252
[13] Anecdote historique - https://anecdoteshistoriques.net/2013/03/23/un-noir-vaut-deux-rouges-deux-siecles-desclavage-au-quebec/  en ligne 12 septembre 2020
[14] Anecdote historique - https://anecdoteshistoriques.net/2013/03/23/un-noir-vaut-deux-rouges-deux-siecles-desclavage-au-quebec/  en ligne 12 septembre 2020
[15] https://en.wikipedia.org/wiki/Powhatan en ligne 12 septembre 2020
[16] Chefs amérindiens – partie 4 – Black Haw https://www.youtube.com/watch?v=W3ORKzzDiLs  en ligne 12 septembre 2020
[17] https://www.encyclopediecanadienne.com/fr/chronologie/black-history en ligne 12 septembre 2020
[18] https://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/population/esclavage/ en ligne 14 septembre 2020
[19] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1269942/esclavage-canada-noirs-autochtones-histoire en ligne 14 septembre 2020
[20] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p131
[21] Généalogie insolite – Une catégorie de citoyen à part : les esclaves https://www.sgq.qc.ca/images/_SGQ/R_LAncetre_plus_libre/G-I-ESCLAVES.pdf en ligne 12 septembre 2020
[22] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p130
[23] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p130
[24] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mascoutins  en ligne 14 septembre 2020
[25] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1269942/esclavage-canada-noirs-autochtones-histoire en ligne 14 septembre 2020
[26] Trudel, Marcel, L’esclavage au Canada français, Les presses universitaires Laval, 1960, p64
[27] Généalogie insolite – Une catégorie de citoyen à part : les esclaves https://www.sgq.qc.ca/images/_SGQ/R_LAncetre_plus_libre/G-I-ESCLAVES.pdf en ligne 12 septembre 2020
[28] https://fr.wikipedia.org/wiki/Traité_de_réciprocité_canado-américain en ligne 14 septembre 2020


© Bastien Guérard, 2020

Les Canadiens d’origine

Dans le terrible choc des cultures entre l’Europe et l’Amérique à la suite de l’établissement de relations permanentes entre les deux continents émerge une culture particulière à la marge de ce Nouveau Monde colonial. Les voyages des coureurs des bois pour explorer le continent tiennent presque lieu de parcours initiatique dans un monde métaphorique : « En même temps qu’ils traversaient de nouveaux paysages, les voyageurs rencontraient une grande diversité de gens qui étaient radicalement différents d’eux sur le plan de la cosmologie, de la vision du monde, de la langue et de la culture. »[1] La traite des fourrures marque l’établissement des premiers colons en Nouvelle-France.  « De cette union des plus hardis des Européens avec les Amérindiens naîtra une culture unique, fondée sur la tolérance, sur la liberté individuelle, une culture frontière comme il y a des villes frontières, un monde nouveau, jamais vu, jamais vécu. »[2] L’intégration de coutumes et d’usages autochtones dans la culture des colons français, comme les produits d’érable, symbolise la création d’une culture nouvelle embrassant deux mondes pour mieux se tourner vers l’avenir. Les descendants des colons français forment la population francophone que nous retrouvons partout en Amérique du Nord. Ils proviennent de toutes les régions de France avec une forte concentration en Normandie, un ancien duché viking !

Provenance des colons français en Nouvelle-France (1608 à 1700)

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nouvelle-France

Aujourd’hui, la dénomination « canadien-français » est utilisée pour désigner ce groupe, en opposition à « canadien-anglais », et illustre l’idée des deux peuples fondateurs du Canada.   Il s’agit d’une autre façon d’effacer la préséance d’arrivée des uns sur les autres. Et surtout de ne pas distinguer l’histoire de la colonisation française et anglaise en Amérique du Nord.  Une façon d’oblitérer l’existence d’une culture francophone d’Amérique portant une autre vision du rêve américain de liberté. Les deux approches de colonisation eurent des effets fort différents sur la population actuelle du continent, tant autochtone que francophone ou anglophone.

Il est important de dénoncer cette notion erronée de deux peuples fondateurs avancée par la fédération canadienne.  En 1987, j’ai eu la chance de rencontrer à Moscou, le président de McDonald Canada, lors d’une soirée pour célébrer la signature du contrat de l’ouverture d’un restaurant McDonald en URSS. À ma question, à savoir pourquoi McDonald ne s’affiche pas comme le Burger King de la planète, il m’a répondu que si tu te compares à de la merde, tu passes pour de la merde. Depuis, à mes yeux, cette répartie s’applique fort bien à la conception des deux peuples fondateurs du Canada. Dans les faits, au Canada, il y a un peuple fondateur francophone ouvert aux autochtones et un peuple de conquérants anglophones fermé aux autres cultures. L’usage du terme Canadien français pour désigner les descendants des colons français en Amérique insinue qu’ils commirent les mêmes exactions que les colonisateurs anglais pour s’établir. Pour l’anecdote, les négociations pour l’ouverture d’un McDonald en URSS en 1990 avaient été entamées à Montréal, à l’occasion des Jeux olympiques de 1976 !

Revenons à la France monarchique, pour qui l’intention du métissage avec les autochtones demeure ultimement la francisation des Amérindiens. L’objectif profond de cette complicité de l’Église catholique et de la couronne française n’est pas la création d’un peuple « métis », mais des sujets à part entière du Royaume de France : « Ils doivent plutôt devenir des sujets obéissants, catholiques et francisés. »[3]  Tout comme les Canadiens d’origine, les Acadiens embrasseront les idéologies autochtones de liberté et de fraternité universelle.  Aux yeux des monarchistes, ils ne seront jamais de bons sujets du Royaume de France, pas plus que du Royaume d’Angleterre.  Lorsque l’élite française quitte la Nouvelle-France après la Conquête anglaise, seuls les descendants des Canadiens d’origine demeurent au pays.  Leur objectif profond demeure d’améliorer leur sort en faisant preuve de bienveillance les uns envers les autres.  Encore plus détachée de la mère patrie, la langue française du Canada représente en Amérique du Nord une culture de liberté, de tolérance et d’ouverture aux autres.  Le nom de Canadien pour désigner les descendants de cette culture francophone d’Amérique leur demeure exclusif jusqu’à la fondation du Canada en 1867.

Historiquement, dans leur esprit de colonisateurs issus de l’Empire britannique, ce n’est que récemment que les Anglais du Canada se disent Canadiens.  Ce changement d’appellation prend forme suite à la Première Guerre mondiale : après avoir servi de chair à canon pour la mère patrie, les Anglais habitant le Canada ont désiré prendre plus d’autonomie face à leur subordination à l’Empire britannique.

Le changement d’appellation passant de « English » à « Canadian » coïncide également avec les nouvelles vagues d’immigrants du début du XXe siècle provenant de pays n’ayant pas l’anglais comme langue d’usage. Une décision pragmatique pour mieux intégrer à la communauté anglophone ces immigrants à la poursuite du rêve américain dont les États-Unis sont le phare. Ainsi avec le temps, le terme « Canadien » ne représente plus les descendants des colons français imprégnés de culture autochtone, mais les envahisseurs anglais, les loyalistes qui les suivirent après la Révolution américaine, puis les colons des îles britanniques. Et maintenant, des gens en provenance de multiples pays adoptant la langue du pouvoir, du prestige et de l’argent du modèle anglo-américain qui domine le continent.  Aujourd’hui, les Canadiens d’origine sont classés dans une sous-catégorie de « Canadian » par le terme « French Canadian ».

Dans ce contexte, l’utilisation de l’expression Canadien d’origine serait plus juste pour désigner les Québécois et les autres vieilles communautés francophones parsemant le Canada et l’Amérique du Nord. Notons que par leur histoire particulière et leur situation géographique, les Acadiens forment un groupe distinct des Canadiens d’origine. Ils partagent certains traits communs aux francophones d’Amérique, mais la conquête de l’Acadie par les Anglais a conduit à l’anéantissement de cette colonie. Cet anéantissement de l’Acadie permit aux survivants de conserver leur nom d’origine reflétant une identité qui leur est propre.  Par contre, l’identité propre des colons de Nouvelle-France a été dérobée par l’envahisseur qui a repris à son compte les noms de Canada et de Canadiens.  La notion de deux peuples fondateurs, tout comme l’usage du terme Canadien français, souille l’identité singulière des francophones.

En fonction du contexte, pour représenter l’aventure des francophones d’Amérique du Nord, les descendants de colons de la Nouvelle-France peuvent être décrits par les termes Canadiens d’origine, Québécois, Franco-Ontariens ou Franco-Américains.   Tout comme les Acadiens, ils représentent cette culture francophone d’Amérique aux saveurs de bienveillance autochtone. Le terme Canadien d’origine reflète mieux ce peuple ouvert, tolérant et débrouillard, qui émergea de deux mondes, aujourd’hui disparus : la France monarchique et les mœurs amérindiennes ancestrales.


Québec Pur Sirop a besoin de votre soutien.
Vos contributions volontaires seront très appréciées.


[1] Carolyn Podruchny, Les Voyageurs et leur monde. Voyageurs et traiteurs de fourrures en Amérique du Nord, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, p. 293

[2] Germain, Georges-Hébert, Les coureurs des bois – La saga des indiens blancs, Éditions Libre Expression, 2003, p19

[3] Leroux, D. R. J. (2019). Le révisionnisme historique et la création des métis de l’est : la mythologie du métissage au Québec et en Nouvelle-Écosse.

Politique et Sociétés38 (3),3…25. https://doi.org/10.7202/1064728ar


© Bastien Guérard, 2020