3 – Commerce et colonisation

Le commerce de la fourrure

En 1514, une entente entre les habitants de l’île de Bréhat, en Bretagne, et les moines de l’abbaye de Beauport fait référence à la pêche à la morue à Terre-Neuve ayant cours depuis 60 ans, soit depuis 1454. Et ceci, 42 ans avant la découverte officielle de l’Amérique en 1492.  La connaissance du grand banc de Terre-Neuve par les pêcheurs européens n’est plus un secret à l’époque de la découverte de l’Amérique. Le 7 juin 1494, à la suite d’un commun accord entre l’Espagne et le Portugal, la bulle pontificale Inter Coetera II, qui divisait le monde en deux par une ligne de démarcation, est modifié. Cette ligne avait été établie l’années précédente pour séparer les nouveaux territoires découverts. Le déplacement de la ligne à 270 lieues plus à l’ouest accorde au Portugal d’avoir des droits sur Terre-Neuve, le Labrador et le Cap-Breton.[1]  Bien que cette région ne soit découverte officiellement par Jean Cabot, Verrazano ou Jacques Cartier que des dizaines d’années plus tard.

Les pêcheurs bretons fréquentaient les côtes de Terre-Neuve depuis de nombreuses années. Aussi, suite à un pèlerinage au Mont-Saint-Michel en 1532 pour souligner le rattachement de la Bretagne à la France par son mariage, le roi François 1er s’intéresse à cette région de l’Amérique. Voyant les richesses que l’Espagne rapporte d’Amérique, tout comme la Hollande et l’Angleterre des Antilles, la France regarde également de ce côté pour s’enrichir.  Après la contestation de la bulle papale divisant le monde en deux à la faveur de l’Espagne et du Portugal, le Pape se ravise à l’occasion du mariage de sa nièce avec le fils de François 1er: « la bulle pontificale partageant les continents nouveaux entre les couronnes d’Espagne et du Portugal ne concernait que les continents connus et non les terres ultérieurement découvertes par les autres couronnes. »[2]

L’expédition de Jacques Cartier en 1534 sert à officialiser la découverte de territoires connus et à pousser plus loin l’exploration de la région afin d’en connaître son potentiel d’enrichissement pour la couronne de France. Déjà d’autres Français s’y étaient intéressés.  En 1508, un armateur de Dieppe, ramena à Rouen, sept autochtones Béothuks et un canot de Terre-Neuve.[3] La première expédition d’exploration officielle fut financée par des banquiers italiens installés à Lyon en 1524. Ainsi, Giovanni da Verrazzano prend le commandement de La Dauphine afin de trouver un passage pour le commerce des épices avec l’Asie. Il sillonne la côte de l’Amérique du Nord de la Floride à Terre-Neuve sans trouver de passage. Il poursuivra vers l’Amérique du Sud où il finira mangé par les indigènes en 1528.  Avant de mourir, il a tout de même conclu que les Amériques formaient un tout qui sépare la Mer Occidentale de la Mer Orientale. En 1529, Gerolamo da Verrazzano est le premier à inscrire sur une carte « Nova Gallia », soit Nouvelle-France.

En 1534, Jacques Cartier fut le premier Européen à remonter le fleuve Saint-Laurent et à faire mention de l’eau d’érable, lui attribuant un goût de bon vin.[4] Le 7 juillet 1534,  l’expédition relate pour une première fois une cérémonie de la traite des fourrures. Les autochtones de la région étaient familiers avec la visite des pêcheurs européens avec qui ils échangeaient volontiers leurs fourrures : ils approchent les bateaux en canoë en plaçant des fourrures sur le bout d’un bâton pour susciter l’échange de biens.[5]  « Tout le long de la côte, ce sont des cris de joie et des danses chaque fois que les navires font leur apparition. »[6] L’échange procure aux autochtones des haches, casseroles, couteaux, ce qui leur donne accès à une technologie plus avancée. Les autochtones de la côte Atlantique étaient conscients que ces marchandises amélioreraient la qualité de vie en plus de pouvoir être échangées avec d’autres tribus à l’intérieur du continent.  Partout sur les côtes du golfe du Saint-Laurent les Amérindiens viennent en canoë à la rencontre des navires de pêche pour lancer des invitations au commerce.

Tadoussac, fondé en 1600 par Pierre de Chauvin et François Dupont-Gravé, est le premier poste de traite de fourrures en Amérique du Nord. Le roi Henri IV leur avait accordé le monopole du commerce de la fourrure pour Tadoussac en 1599.   Le site est sur la route traditionnelle du commerce du cuivre. Le cuivre provient de la région du lac Supérieur où sont exploités des filons de surface.  Ce lieu d’échange est fréquenté en période estivale par les Montagnais (Innus) pour rencontrer les Hurons. Peuple de grands commerçants, les Hurons, au cœur de cette route de commerce reliant Tadoussac aux Grands Lacs, eurent accès à des produits européens dès 1580 « alors que les Hurons et les Européens ne se sont jamais rencontrés. »[7]

Ce processus d’échange avec les pays européens qui se transforme en alliance se reproduit le long de la côte Atlantique. Pour le commerce des fourrures, les Hollandais font alliance avec les Mohicans en premier, puis avec les Mohawks après qu’ils eurent éliminé les Mohicans.[8]  Les Anglais de Plymouth dans le nord-est feront alliance avec les Pokanokets, mais pour des raisons de prime abord stratégiques. Les Mohawks deviendront alliées avec les Anglais après que ceux-ci auront conquis la Nouvelle-Hollande. Les Français feront alliance avec les Micmacs en Acadie et créeront la Nouvelle-France en se joignant à l’alliance existante des Montagnais (Innus), Cris, Nipissing et Hurons.  Les alliances engendrent l’exclusivité du commerce avec le pays d’origine des colonisateurs européens et par conséquent, les Européens se greffent aux rivalités autochtones.

La dépendance envers les produits européens s’installe. La supériorité de la hache de métal est rapidement constatée par l’Amérindien. « Habitué à utiliser la hache de pierre presque uniquement pour le combat, il réunissait désormais l’outil indispensable pour la construction de son gîte et l’exécution d’innombrables travaux quotidiens, à l’arme par excellence des corps à corps tant contre les siens que contre l’homme blanc. »[9] Les premières tribus autochtones à se procurer des outils européens prennent avantage sur les autres. L’accès aux comptoirs de commerce européens devient stratégique. Une compétition s’installe rapidement, comme en témoigne l’élimination des Mohicans par les Mohawks.

La colonisation de la Côte-Est de l’Amérique du Nord par les Européens n’a pas les mêmes fondements selon le pays colonisateur.  L’attitude des Européens diverge selon le pays d’origine des colons. Le rappeur Samian, dans le documentaire Les Sceaux d’Ultrech, résume les différentes philosophies européennes de la colonisation : « Les Espagnols étaient un peu plus raides, Pizarro, Cortes, De Soto, pour eux l’autochtone n’était qu’un sauvage bon pour l’esclavage; les Anglais étaient un peu moins violents, mais il fallait continuellement qu’ils s’accaparent de nouveaux marchés et pour eux l’autochtone n’est qu’un sauvage bon pour trapper la marchandise; les Français étaient les moins pires de la gang, ils étaient plus illuminés que les deux autres, et pour eux les autochtones étaient aussi des sauvages, mais aussi des êtres humains avec qui on pouvait se marier et avoir des enfants. »[10]  L’approche coloniale à l’égard des Amérindiens varie grandement d’un pays européen à l’autre en raison de sa conception très divergente des autochtones, et s’ajoutent à cela le rythme de colonisation des pays et la motivation des colons.

L’approche française liant le commerce des fourrures à la conversion des autochtones à la religion catholique favorise l’expansion des postes de traite à l’intérieur du continent. Cette approche plus respectueuse des peuples autochtones conduit les Amérindiens à inviter les Français à installer un poste de traite sur leur territoire, comme la fondation de Trois-Rivières en 1633, suite à l’invitation du chef algonquin Capitanal.[11] Un arrangement bénéfique aux yeux de tous, les Amérindiens se font livrer les produits commerciaux stratégiques et la France étend son influence sur un plus vaste territoire en complicité avec les habitants.

Le tableau ci-joint présente le rythme de colonisation des principaux colonisateurs du nord-est de l’Amérique du Nord.  Pour les Anglais, le tableau ne présente que la population de la Nouvelle-Angleterre excluant les populations des colonies du Centre et du Sud de la Côte-Est de l’Amérique du Nord qui furent fondés avant celle de Nouvelle-Angleterre et accueillaient une plus grande population de colons.  Nous observons que, bien que la Nouvelle-France fut la première colonie au nord du Rio Grande, la croissance de sa population demeure famélique en comparaison de celle de la Nouvelle-Angleterre et dans une moindre mesure de celle de la Nouvelle-Hollande.
L’évolution démographique des colonies illustre bien que la France et la Hollande fondent des comptoirs de commerce pour la fourrure, avec accessoirement des colons pour soutenir les activités du comptoir, tandis que les Anglais fondent purement des colonies de peuplement. Les Hollandais seront les premiers à vouloir stimuler la croissance de la population de leur colonie pour contrecarrer la forte expansion démographique des colonies anglaises.  La population anglaise devenant tellement importante sur la Côte-Est que la conservation de son comptoir de commerce repose sur une plus grande population capable de défendre la Nouvelle-Hollande.  La France réagit à cette problématique, qui a conduit à la conquête de la Nouvelle-Hollande par les Anglais en 1665, par l’envoi des Filles du Roy.  Leur arrivée donne 100 ans de plus à la Nouvelle-France qui à la Conquête oppose une population de 55 000 habitants face aux 2 millions des colonies anglaises de la côte Atlantique.

Après la Conquête, la Compagnie de la Baie d’Hudson, une entreprise anglaise fondée par Radisson et des Groseillers, dominera le commerce de la fourrure. L’épopée du commerce de la fourrure en Amérique demeura toujours une affaire de francophones. À l’apogée du commerce de la fourrure, en 1810, la ville de New York compte 90 000 habitants, dont 10 000 francophones.[12]  L’effacement du français comme langue de commerce à travers l’Amérique du Nord suivra le déclin du commerce de la fourrure. Ce déclin est la conséquence de l’arrivée massive de colons anglais anéantissant la faune en adaptant l’environnement à leur modèle de développement socio-économique.


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[1] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.13
[2] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.15
[3] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.14
[4] https://erableduquebec.ca/a-propos/histoire/  En ligne 30 juin 2020
[5] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p48
[6] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.18
[7] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p93
[8] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p132
[9] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.82
[10] Bossé, Paul, Les sceaux d’Utrecht, documentaire, productions Mozus, 2014
[11] Lacoursière, Jacques, Histoire populaire du Québec, tome 1, Septentrion, 1995 p.62
[12] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p247

 


© Bastien Guérard, 2020

La Nouvelle-France

La colonisation de la Nouvelle-France fut particulièrement pénible en raison de son climat froid qui, par contre, était favorable à la belle fourrure animale. Les Français sont les premiers à officialiser par des instances gouvernementales le commerce de fourrure avec les autochtones.  La Grande Alliance en 1603 et la fondation de Québec en 1608 marquent cette volonté de la France pour le contrôle de la traite des fourrures en Amérique du Nord. Québec, qui signifie en langue iroquoise « là où le fleuve rétrécit » illustre bien la justification de son emplacement. Le choix de Québec sur le fleuve Saint-Laurent pour l’établissement de la traite des fourrures est très judicieux.    Par sa situation géographique, Québec offre le contrôle de cette porte d’entrée du continent nord-américain qu’est le fleuve Saint-Laurent. Les raisons que Champlain évoque : « On serait mieux à l’abri de la concurrence européenne et le pays serait plus facile à défendre; on profiterait de la ligue des indigènes, alliés à d’autres nations qui vivent sur les bords d’une mer intérieure ; la traite promettait d’y être plus fructueuse qu’en Acadie, et c’est le Saint-Laurent qui offrait la plus grande possibilité de conduire en Asie. »[1]  Plus de cent ans après Christophe Colomb, l’espoir de découvrir une nouvelle route vers l’Asie demeure présent dans l’exploration d’un monde encore inconnu, spécialement par cette mer intérieure.

L’organisation du transport prend forme, la fourrure arrive à Québec par canoë et prend le chemin de l’Europe par bateau. L’emplacement de Québec plus en amont que Tadoussac permet de pénétrer plus profondément dans le continent pour joindre la clientèle amérindienne. Tadoussac est un lieu d’échange traditionnel autochtone déjà fréquenté par les Français, les Basques et même les Hollandais. Les Français « au début du 17e siècle, ils n’avaient pas l’intention de coloniser, de peupler et de cultiver : ils voulaient seulement commercer. »[2]. La fondation de Québec est la conséquence du traité de la Grande Alliance permettant de renforcer le commerce de la fourrure au sein d’une alliance autochtone préexistante.

Le traité de la Grande Alliance est une entente entre la France représentée par le sieur Samuel de Champlain, François Gravé du Pont et des nations amérindiennes coalisées, soit les Algonquins, les Montagnais et les Etchemins représentées par Anadabijou, chef montagnais. Cette alliance a été conclue le 27 mai 1603 à la pointe de Saint-Mathieu située à l’embouchure du Saguenay, en face de Tadoussac. Elle se veut commerciale et militaire.[3] L’entente est faite dans le cadre de la célébration d’une victoire des nations coalisées contre leur ennemi commun, les Iroquois.  Les Hurons se joindront à l’alliance en 1609, suite à une demande de rencontre avec les Français, ce qui conduit à l’établissement d’une relation exclusive. [4] Les Hurons fourniront les deux tiers des fourrures à la Nouvelle-France jusqu’à leur anéantissement par les Mohawks.

La concurrence est vive sur le Saint-Laurent depuis le passage de Jacques Cartier et la disparition des Iroquoiens du Saint-Laurent. Ce vide créé dans le partage des territoires tribaux engendre un conflit entre les nations autochtones. Les diverses nations autochtones situées sur le long du Saint-Laurent veulent profiter des ressources de ce territoire et de cet axe de communication vers les produits européens. Les bateaux de pêche européens, fréquentant en grand nombre le golfe du Saint-Laurent et son fleuve, attirent les autochtones. Déjà en 1542, Roberval signale la présence de 17 navires de pêche dans le port de Saint-Jean à Terre-Neuve.[5]  L’échange de produits inexistants en Amérique attise les rivalités autochtones.

Hurons et Mohawk sont des peuples iroquoiens.  Suite à l’arrivée des Européens, les Mohawks chercheront à prendre le contrôle du commerce de la fourrure entrant en conflit d’abord avec les Mohicans, puis avec les Hurons, les maîtres du commerce amérindien avant l’arrivée des Européens. La nation mohawk est la plus connue de la Ligue des Cinq Nations iroquoises.  Ces nations habitent ce qui est aujourd’hui l’État de New York et le sud des Grands Lacs.  À partir de la rivière Mohawk, ces derniers empruntent la rivière Hudson, passent par le lac Champlain puis la rivière Richelieu afin de venir faire des incursions sur le fleuve Saint-Laurent.  Le golfe du Saint-Laurent est le lieu privilégié pour les Amérindiens pour faire le commerce avec les pêcheurs européens fréquentant l’endroit.  À l’image des nations européennes pour l’Europe, les nations autochtones cherchent également à obtenir le monopole du commerce de la fourrure pour l’Amérique.

La Nouvelle-France vers 1660

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Le_Canada_ou_Nouvelle_France.jpg

En fonction du droit européen, la découverte du fleuve Saint-Laurent par Jacques Cartier, octroie à la France l’exclusivité de l’exploitation de cette région du Nouveau Monde. Toutefois, la contrebande de fourrure est bien présente sur le fleuve. « Au mois de février 1607, le roi Henri IV écrit aux États de Hollande pour protester contre la présence de navires hollandais dans les eaux du fleuve Saint-Laurent. »[6]  Pourtant, cette concurrence entre Européens fait bien l’affaire des Amérindiens. « Déjà habitués au commerce, les Montagnais tirent parti de la situation : en 1611 à Tadoussac, devenus ‘fins & subtils’, ils refusent de trafiquer avant la venue de ‘plusieurs vaisseaux ensemble, afin d’avoir meilleur marché. »[7]  Les Montagnais ont vite appris à faire le jeu de la concurrence et le jeu de l’échange.  Avec les Micmacs, ils sont les premiers intermédiaires sur une chaine d’échanges poursuivie par les Hurons et les Algonquins au début du XVIIe siècle.

Étant donné l’avantage technologique évident procuré par les outils en métal, l’intérêt pour les produits européens se propage rapidement dans les nations autochtones. « Éloignés des points de traite ou coincés dans les terres, des Iroquois (Mohawks principalement) arrivent à obtenir les produits de traite en pillant, lors d’incursions, les canots algonquins et hurons qui demandent l’aide militaire à Champlain pour éloigner leurs rivaux. »[8] Les Mohawks réduiront les incursions dans le Saint-Laurent par la rivière Richelieu vers 1610 suite à l’ouverture d’un poste de traite par les Hollandais sur la rivière Hudson proche d’Albany. À partir de leur territoire sur la rivière Mohawks, le trajet n’est que de 80 km pour se rendre à la rivière Hudson, un trajet beaucoup plus court que de se rendre sur le fleuve Saint-Laurent.  L’ouverture du poste de traite hollandais donne un avantage concurrentiel aux Mohawks en rapport aux Hurons qui doivent parcourir plus de 500 km entre leur territoire et le poste de Québec.

L’installation des Français à Québec convient aux Hurons et aux Algonquins en rapprochant le lieu d’échange de leur territoire.  De plus cela sécurise le parcours de la traite en comblant le vide laissé par la disparition des habitants de Stadacona.  L’établissement des Français à Québec suite au traité de la Grande Alliance pour le commerce de la fourrure avec des nations autochtones marque le début de l’aventure coloniale française en Amérique du Nord. Cette alliance avec la coalition amérindienne la plus puissante du nord-est de l’Amérique instaure pour l’avenir des relations, tant avec des amis fidèles qu’avec de féroces ennemis.

Toutefois, l’installation de Champlain à Québec ne semble pas convenir aux Basques qui fomentèrent un complot pour l’assassiner. À l’arrivée de Champlain, ils sont installés à l’endroit qui se nomme toujours l’île aux Basques dans le fleuve Saint-Laurent. Le commerce avec les autochtones aide à rentabiliser les expéditions des pêcheurs basques outre-Atlantique. La fondation de Québec dérange bien des Européens qui avaient profité de ce secret bien gardé jusqu’à la visite de Jacques Cartier.  À la suite de la fondation de Québec, ils ne peuvent se résigner à voir le commerce avec les autochtones leur échapper par son institutionnalisation par l’État français.  Le complot sera déjoué et le chef des traitres parmi les Français, jugé et pendu. [9]

Le choix d’emplacement de Québec relève d’une stratégie commerciale de traite des fourrures. Avant la fondation de Québec, d’autres tentatives de colonisation française en Amérique du Nord avaient eu lieu. Champlain a cartographié la région de Cape Cod et la côte du Maine, mais a considéré l’endroit trop populeux pour établir une colonie.  En 1604, Champlain fonde Port-Royal en Acadie, qui offre un port ouvert à l’année, mais le lieu n’était pas stratégique pour le commerce de la fourrure.  Comme bien d’autres endroits de la Côte-Est de l’Amérique ouvert à l’année à la navigation, ces emplacements sont également plus favorables à l’établissement d’une colonie européenne, ce qui concurrencerait le commerce des fourrures. Par contre, le fleuve Saint-Laurent est pris par les glaces 4 mois par an et la navigation est périlleuse à partir du golfe du Saint-Laurent.  Un handicap pour le succès d’une entreprise commerciale, mais également une situation fort nuisible à la colonisation.

La colonisation de la Nouvelle-France en témoigne, deux engagés sur trois retourneront en France après un premier hiver. Les Français émigrent en Nouvelle-France principalement pour le travail, avec un contrat de travail de quelques années.  Seules les personnes vigoureuses et intrépides demeurent dans cette froide colonie du bout du monde.  Au début de la colonie, les gens quittent la France pour un contrat de travail dans la traite des fourrures pour faire de l’argent et éventuellement voir si d’aventure ils choisiront de s’établir en Nouvelle-France. L’idée première est d’améliorer son sort dans la colonie ou à son retour.

Plusieurs prendront racine dans ce Nouveau Monde. Ce choix de destination semble avoir été la solution ultime pour ces personnes, car d’autres options plus chaleureuses s’offrent aux Français souhaitant quitter leur patelin à l’époque : « l’on migre vers l’Espagne pour trouver du travail, puis en nombre bien inférieur vers les Antillais. »[10]  Au départ, la Nouvelle-France est une entreprise commerciale et missionnaire.  Il n’y a aucun engouement pour s’expatrier dans une colonie reconnue pour ses hivers rigoureux.  De plus, la guerre pour le commerce des fourrures se fait sur le territoire de la Nouvelle-France où les Iroquois tentent d’intercepter les marchandises sur les longues voies de communication servant au commerce.  Ce territoire bercé par le froid et les guerres commerciales n’a pas bonne presse dans la métropole française, les candidats au départ ne se bousculent pas.  De plus, comme la colonie est réservée exclusivement à une émigration catholique, les Français en dissidence avec le dogme catholique, plus susceptibles de quitter le pays, ne peuvent trouver refuge en Nouvelle-France. Comme Pierre Minuit, le fondateur de Manhattan, les protestants francophones d’Europe iront vers la Nouvelle-Hollande ou d’autres colonies de la Côte-Est.  Les mécontents en Europe sont les protestants, ils partiront de France et de toute l’Europe pour les colonies anglaises et hollandaises de la côte Atlantique de l’Amérique du Nord.

La Nouvelle-France a vu le jour grâce à cette grande voie commerciale que représente le réseau hydrographique du fleuve Saint-Laurent menant au monde de la fourrure au cœur du continent.  L’installation à Québec, plus de 500 km à l’intérieur du continent, marque cette singularité de l’établissement de la Nouvelle-France.  « Les Français décident de se rendre au-devant de l’Amérindien, alors que les Anglais se contentent souvent d’établir des postes de traite et d’attendre la venue des chasseurs. »[11] Cette caractéristique de la colonisation française marquée par le commerce de la fourrure avec les autochtones transforme les colons en coureurs des bois. Ce sont eux qui ouvriront l’Amérique du Nord au commerce international. Imprégnés de la culture amérindienne, les Français engagés pour la traite, « découvrant la liberté, ils s’affranchissent du poids des hiérarchies du système européen, s’attachant au pays et non au roi. »[12]  De cette Nouvelle-France axée sur le commerce de la fourrure, de ses personnes téméraires, robustes et courageuses émerge un nouveau peuple, les Canadiens à l’origine des Québécois d’aujourd’hui.

Sous le couvert de la conversion des autochtones, la religion a participé à l’établissement de relations privilégiées avec les Amérindiens. Les missionnaires accompagnent toujours les coureurs des bois en mission commerciale.  Leurs rapports de missions regroupés dans Les Relations des Jésuites en Nouvelle-France demeurent une source unique d’information sur l’Amérique de 1632 à 1672.[13] Les rapports des missionnaires représentent de précieuses sources historiques écrites sur des régions où l’écriture était absente. Ils permettent aux peuples amérindiens de prendre leur place dans l’histoire, car avant l’écriture, c’est le monde nébuleux de la préhistoire interprété avec des artéfacts.

En plus de préserver les relations avantageuses avec les nations amérindiennes, l’introduction de la religion catholique dans leurs mœurs les soumettra au dogme de la toute-puissance Église de Rome et d’un roi de droit divin.  Les Guerres de Religion en Europe ont déstabilisé la France en plusieurs occasions. Ne voulant pas de ce genre d’instabilité en Nouvelle-France, la colonisation est réservée aux sujets catholiques dès 1627.   Cette approche permet à l’Église catholique de s’imposer pleinement auprès des autochtones grâce au commerce de la fourrure. En 1632, lorsque Champlain renouvèle l’Alliance avec les Hurons, « il fait de la présence jésuite en Huronie une condition sine qua nondu commerce. »[14]

Cette façon de sécuriser le marché reflète l’approche féodale française dans la gestion de son économie. « L’empire français compense son retard économique par l’utilisation de l’appareil religieux. »[15]  La conversion des autochtones entre donc dans ce jeu de pouvoir qui avantage les Français dans l’expansion de son réseau de traite sur le continent. Un pouvoir et une richesse que se partagent l’Église et le roi à l’occasion de privilèges qu’ils s’octroient mutuellement. En liant le commerce des haches et des casseroles à l’entreprise missionnaire de l’Église catholique, la France se garantit la fidélisation de sa clientèle et l’expansion de son royaume.  Une complicité très profonde, démontrée à nouveau en 1645, où, suite à l’interdiction de faire la traite de fourrure pour préserver le monopole, « une clause secrète permet cependant aux Jésuites de participer à la traite. »[16]

L’approche française avec les autochtones est imprégnée par la religion catholique. Déjà à l’époque de Jacques Cartier, la propagation du catholicisme est un objectif de la Couronne française. La Couronne est proche du Pape, ainsi il ne s’agit pas seulement d’explorer de « nouveau territoire, mais aussi de convertir à la religion catholique les populations indigènes.»[17] Les Français en se donnant pour tâche de convertir les Sauvages semblent avoir favorisé la fraternisation avec les autochtones. À la même époque au Brésil, les Français avaient réussi à installer une colonie en tissant des liens avec les autochtones, ce que les Portugais n’avaient pas réussi. La colonie de ces derniers fut abandonnée à la suite d’un traité entre nations européennes. La chanson Cartier de Robert Charlebois est une fabulation se rapprochant d’une certaine manière de la réalité.

La première condition pour venir en Nouvelle-France, au-delà de la traite de la fourrure, était d’être de religion catholique.  Une condition réduisant le bassin de population apte à faire la grande traversée.  Les plus enclins aux changements dans leur milieu de vie en Europe sont les nouveaux adhérant aux divers mouvements protestants.  Ceux-ci arriveront avec une idée plus préconçue de la liberté, contrairement aux colons français en Nouvelle-France venus par contrat de travail. Ainsi, les colons engagés pour la Nouvelle-France arrivent avec des idées moins préconçues au cœur d’un monde amérindien de liberté situé à plus de 500 km à l’intérieur du continent. Cette particularité géographique de la colonie, venant de la traite des fourrures et l’espoir des missionnaires de convertir les des autochtones, procureront aux colons français une plus grande ouverture à l’autre ce qui favorisera les échanges culturels avec les Amérindiens.


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[1] Lacoursière, Jacques, Histoire populaire du Québec, tome 1, Septentrion, 1995  p.42
[2] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p104
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_Alliance_(trait%C3%A9)
[4] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p107
[5] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.29
[6] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.40
[7] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p105
[8] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p106
[9] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p23
[10] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p247
[11] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.32
[12] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p109
[13] Bédard, Éric, Histoire du Québec pour les nuls, First édition, 2012, p35
[14] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p128
[15] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p129
[16] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p111
[17] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.26


© Bastien Guérard, 2020

La Nouvelle-Hollande et la Nouvelle-Suède

Au XVIIe siècle, la Hollande domine le marché de la fourrure en Europe grâce à son commerce avec la Russie par la mer Baltique.  La qualité des fourrures provenant de Nouvelle-France étant supérieure, elle s’intéresse à cette source d’approvisionnement pour ne pas perdre des parts de marché au profit des marchands français.  « Dès 1609, des marchands affrètent un bateau piloté par un capitaine anglais du nom de Henry Hudson, à la fois pour découvrir un passage vers l’Orient via l’Amérique du Nord et pour y trafiquer dans les territoires sis entre la Virginie et le Golfe. »[1]  Hudson laissera son nom à un fleuve et une baie.

Cette expédition entraîne d’autres marchands sur la Côte-Est de l’Amérique qui remontent les fleuves Hudson, Delaware, Connecticut pour échanger des fourrures.  Quatre entreprises hollandaises trafiquent dans cette région jusqu’en 1613.  Toutefois la compétition mutuelle ne rend pas ces entreprises profitables. En 1614, un monopole est constitué, la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales (West Indische Compagnie). En regroupant les quatre compagnies, toutes augmentent leur marge de profit.  Le commerce de la fourrure s’organise tout en respectant le droit hollandais. Les Hollandais reconnaissent le droit de propriété des autochtones, de même que l’obligation d’acheter des terres pour s’installer sur le territoire autochtone.

Dans le territoire des Mohicans, les Hollandais construisent le Fort Nassau, proche de l’actuelle ville d’Albany (Fort Orange) sur le fleuve Hudson.  « La rivière Hudson et son affluent la rivière Mohawk, constituent le plus grand réseau hydrographique de la côte est et la principale route maritime d’accès aux Grands Lacs. »[2] L’actuel canal Érié reliant New York aux Grands Lacs passe par la rivière Mohawk. Le commerce avec les Hurons des Grands Lacs étant scellé avec les Français par le Saint-Laurent, les Hollandais visent à utiliser le chemin des Wampum (collier de coquillage servant de monnaie) des Mohicans qui passe par le fleuve Hudson, le lac Champlain, la rivière Richelieu, puis le fleuve Saint-Laurent pour joindre l’ensemble du Bouclier canadien. Toutefois, les Mohawks craignant une alliance des Mohicans et des Algonquiens, leurs ennemis au Nord,  décident d’attaquer les Mohicans avec qui les Hollandais traitent directement.  En 1628, les Mohawks s’imposent comme seuls intermédiaires avec les Hollandais à Fort Nassau.  Les survivants du peuple Mohican se réfugient dans la vallée du Connecticut. [3]

Le fleuve Hudson gèle à Fort Nassau. Pour contourner cet obstacle, les Hollandais achèteront l’île de Manhattan afin d’avoir un port ouvert à l’année pour le commerce des fourrures. L’île de Manhattan, devenue la ville qui ne dort jamais, est achetée en 1626 par Pierre Minuit, un Wallon calviniste, pour 60 florins, soit la valeur d’une dizaine de peaux de castor.[4] « Naturellement, l’accord n’a pas le même sens pour chacune des parties, car ne sachant pas ce qu’est la propriété privée, les Manhattes ne devraient y voir qu’une alliance par laquelle ils donnaient à un partenaire de commerce la permission de s’installer chez eux. »[5] Ce type de traité permet une reconnaissance de possession du territoire face aux autres nations européennes, mais servira de base à la dépossession du droit autochtone sur leur terre ancestrale. D’une certaine manière, la reconnaissance européenne est biaisée, car il s’agit de « droits toutefois reconnus que dans la mesure où il faut les céder. »[6]

À l’intérieur de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, deux visions s’affrontent ; l’une souhaite le maintien d’un monopole rigide et l’installation d’un minimum de colons européens.  Les colons attirés par la traite de fourrures légale ou de contrebande vont inévitablement réduire les profits de la Compagnie.  À l’inverse, l’autre vision, en constatant la croissance rapide des colonies anglaises, cherche à augmenter le peuplement pour consolider la colonie afin de protéger les intérêts de la Compagnie.  L’option de la colonisation s’impose dans une vision stratégique globale à long terme.

Dès 1630, les Hollandais commencent à prendre des mesures pour répondre à la forte croissance des colonies anglaises tant au nord qu’au sud de la Nouvelle-Hollande. Des mesures favorisant l’établissement de colons par les actionnaires de la Compagnie sont mises en place.  La « Charte des Libertés et Exemption » donne le droit aux actionnaires de la Compagnie de participer à la traite à condition de devenir « patroon ». En d’autres termes, devenir seigneur d’une seigneurie dont les terres doivent être achetées aux Amérindiens pour respecter les politiques de la Compagnie. Le « patroon » s’engage à transporter et installer 50 colons en quatre ans.  Bien que le système seigneurial ne soit plus en usage en Hollande, dans la colonie il offre un meilleur contrôle de la traite libre des fourrures. « Il permet d’exclure tous les colons libres puisque le système seigneurial inscrit les colons dans des rapports de dépendance vis-à-vis du seigneur. »[7]  Le contrat du colon avec le seigneur contient des clauses concernant sa participation à la traite de la fourrure.

À l’occasion des États généraux de Hollande de 1638, suite à la première crise boursière de 1637, le pays adopte des résolutions plus permissives visant le peuplement de la Nouvelle-Hollande, rendant le commerce entièrement libre dans sa colonie. L’idée est d’attirer de nouveaux capitaux pour financer le développement de la colonie. Même la vente libre d’armes à feu aux Amérindiens est autorisée. Les Mohawks, premiers privilégiés dans l’accès à cette technologie meurtrière, s’imposent dans les guerres tribales.  Cela aura un impact dévastateur sur les nations autochtones du nord-est du continent.  Une conséquence indirecte de l’effondrement de la bulle spéculative sur les bulbes de tulipe qui engendra la première crise boursière de l’histoire en 1637.  Aujourd’hui encore, les crises boursières découlant de la spéculation affectent indirectement des gens partout sur la planète.

Les efforts de colonisation font passer la population hollandaise de 1 000 habitants en 1640 à près de 8 000 en 1660. Malgré cela, des vagues de colons anglais envahissent la colonie hollandaise. La Nouvelle-Hollande sera conquise officiellement par l’armée anglaise en 1665.  Les Mohawks deviendront les alliés indéfectibles des Anglais, bien au-delà de la Révolution américaine.  Les Anglais prendront le contrôle du commerce de la fourrure grâce à la Compagnie de la Baie d’Hudson et des Mohawks.  La perte de la Nouvelle-Hollande conduira les Mohawks à négocier des accords de paix avec les Français pour ne pas avoir les Anglais comme fournisseurs exclusifs de produits européens.

Le bon fonctionnement des comptoirs de traite de fourrures repose sur un monopole accordé par un souverain européen détenant des droits suite à la découverte de nouveaux territoires.  L’exclusivité de la traite accordée à un groupe d’homme d’affaires, dont les actionnaires sont des nobles, des marchands, des bourgeois ou des fonctionnaires, permet la maximisation des profits en contrôlant mieux le marché.  La fondation de la Nouvelle-Suède repose sur le besoin de complicité entre les entreprises et les monarchies gouvernant le territoire.

Carte de la Nouvelle-Hollande et de la Nouvelle-Suède

Source : Treehill — File:Nieuw Nederland and Nya Sverige.svg File:1664AmeriqueNord.jpg, CC BY-SA 3.0,

Des manufacturiers hollandais exclus de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, ayant des intérêts dans des compagnies suédo-hollandaises de produits finis en cuivre, voyaient le marché amérindien comme un débouché intéressant pour leur produit.[8]  Ainsi, avec l’appui du roi de Suède, ils reçoivent les lettres patentes pour la fondation d’un comptoir de commerce dans une nouvelle colonie en Amérique du Nord, la Nouvelle-Suède. Pour l’achat du territoire, les marchands engagent Pierre Minuit, tout juste licencié de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. En 1637, les marchands suédois remontent le Delaware pour installer des postes pour la traite de fourrures. Les Hollandais contestent peu, voyant cette colonie comme un rempart contre l’expansion des colonies anglaises. De plus, la Hollande est faible à la suite de la première crise boursière de l’histoire. Les nouveaux capitaux investis dans cette nouvelle entreprise de colonisation par des comptoirs de commerce ne suffiront pas à contrecarrer le colonialiste anglais investi de la ferveur religieuse.

La Nouvelle-Suède, prise par les Anglais en 1655, deviendra la Pennsylvanie et le Delaware.  Le Delaware a conservé cet esprit de liberté du commerce. Deuxième plus petit État du pays, il est reconnu pour ses lois favorables aux entreprises et ses faibles taxes. « Environ 50 % des entreprises américaines cotées en bourse à New York ont leur siège au Delaware. »[9] Il représente une sorte de paradis fiscal pour de nombreuses entreprises actives aux États-Unis.


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[1] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p113
[2] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p114
[3] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p132
[4] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p127
[5] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p122
[6] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p127
[7] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p117
[8] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p118
[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Delaware


© Bastien Guérard, 2020

La Nouvelle-Angleterre

La fondation de la Nouvelle-Angleterre n’a aucun lien avec la traite de la fourrure contrairement à celles de la Nouvelle-France, de la Nouvelle-Hollande et de la Nouvelle-Suède.  Elle découle des bouleversements socio-économiques de la société anglaise suite au renforcement du pouvoir de l’élite anglaise.  Les Lords, propriétaires fonciers, s’orientent vers une bourgeoisie capitaliste en produisant de la laine. Cette orientation économique conduit à la transformation du pouvoir foncier s’appuyant sur les ressources produites par la terre en pouvoir capitaliste visant l’exploitation maximale d’une ressource dans une optique de profit.

Ainsi, la paysannerie anglaise est chassée de ses champs pour faire place à l’élevage des moutons. Les paysans doivent alors chercher une solution collective et organisée pour survivre à un monde qui les exclut.  « C’est ce qu’illustre probablement le foisonnement des sectes religieuses, qui exprimaient la résistance des petits aux transformations économiques et sociales dont ils faisaient les frais. »[1]  Ce changement de l’organisation social provoque une forte émigration vers une certaine terre promise de l’autre côté de l’Atlantique.  Car même la Hollande, pays refuge, connue pour son ouverture aux marginaux d’Europe, ne convient pas à certaines sectes religieuses très intégristes dans le respect de la vision de sa foi. « Ce fut le cas des puritains qui émigrèrent en Hollande pour échapper aux persécutions, puis en Nouvelle-Angleterre pour échapper au laïcisme dissolvant de la Hollande. »[2]  Les puritains choisissent de s’établir plus au nord des colonies anglaises déjà constituées en Virginie pour se prémunir de toutes mauvaises influences de celles-ci. Cette région devient la Nouvelle-Angleterre.

Les puritains croyaient que les épidémies ayant décimé les Amérindiens relevaient de la volonté de Dieu qui expurgeait les terres pour l’établissement de leur communauté de croyants. Pour eux, répandre le christianisme par la colonisation de terres non chrétienne par de bons chrétiens européens découle simplement de la volonté divine. Leurs fortes convictions religieuses se radicaliseront jusqu’au point de bruler des sorcières à Salem en 1692.

L’établissement des colons puritains à Plymouth est très révélateur de la conceptualisation de la relation avec les autochtones et de la mythologie construite autour d’elle. À leur arrivée sur le territoire, ces colons reçoivent l’aide des Amérindiens Wampanoags pour passer le premier hiver.  Massasoit, grand sachem des Wampanoags leur offre des terres en échange de cadeaux.  Évidemment, la conception supérieure de la justice anglaise s’appliquera selon le droit anglais : cet échange fait office de contrat de vente, bien que les autochtones ne comprennent pas toute la portée de la transaction. Il s’agissait d’un territoire d’où les habitants avaient été décimés par les épidémies dues au choc bactériologique. Les Wampanoags préfèrent voir s’y installer un allié potentiel qu’une tribu ennemie. Par la suite, ils apprennent aux colons à chasser les animaux locaux, à utiliser leurs techniques de pêche et à cultiver le maïs.  À l’automne 1621, les Wampanoags et les colons puritains célèbrent la fête de la récolte ensemble. Massasoit apporte de la dinde aux colons pour l’occasion. Cet évènement demeure unique, car il ne se reproduira plus l’année suivante, les relations s’étant détériorées radicalement.  Toutefois, cet évènement unique est toujours célébré aux États-Unis.  Il s’agit de la célébration de l’Action de grâce illustrant ce mythe fondateur des États-Unis où les autochtones bienveillants accueillent les colons anglais.

Après avoir maîtrisé les rudiments de la survivance en Amérique, les vagues de colons se succédèrent à une cadence toujours plus grande, tout comme les épidémies qui déciment les tribus autochtones laissant toujours plus de place aux colons. Le cercle vicieux des épidémies et de la colonisation s’installe.  En 1630, plus de mille pèlerins arrivent pour coloniser la baie de Massachusetts réclamant plus de terres aux Amérindiens.  Souvent, les colons vendent à crédit des choses aux Amérindiens ; une fois ceux-ci bien endettés, les colons réclament des terres pour rembourser la dette contractée.  En une génération les Anglais passent de 300 à 20 000 habitants dans la Nouvelle-Angleterre.  Les Anglais prennent de plus en plus de place, réclamant l’achat des terres aux tribus avoisinantes, un concept étrange pour les tribus.  Les tensions augmentent entre colons et Amérindiens.  Déjà, une guerre préventive contre les Massachusetts initiés par des gens de Plymouth avait eu lieu en 1623.  En jouant les tribus ennemies les unes contre les autres, les colons exterminent les Pequots de la région du Connecticut, en 1637, avec l’aide des Mohegans et des Narragansetts. Des mercenaires seront engagés par les colons pour tuer les Pequots.[3]  Pendant le conflit, 700 Pequots, femmes et enfants, seront brûlés dans un fort par les colons. Le grand sachem des Wampanoags, Massasoit, utilise en vain sa notoriété pour tenter de faire régner la paix entre les colons et les autochtones. Plusieurs tribus terrifiées essaieront de lier des liens d’amitié avec les Anglais pour sauver leur vie.

En 1661, au décès de Massasoit, son fils Metacomet lui succède.  Il porte également le nom de Philippe, signe de sa volonté d’intégration à ce Nouveau-Monde qui se construit devant lui. Toutefois, l’attitude des colons envers les autochtones n’est plus la même. Imbus d’eux-mêmes, ils considèrent les autochtones comme des citoyens de seconde classe. La justice anglaise toujours favorable aux colons le démontre bien.  Réunissant des nombreuses tribus de la Nouvelle-Angleterre, ce qui sera nommé la guerre du Roi Philippe commence en 1675. Puis d’autres tribus se joignent à la guerre du Roi Philippe. Bien qu’elle ait du succès au début, environ 25 villes sont détruites et 2 000 Anglais sont tués, les colonies organisent une riposte conjointe après avoir fait appel à leur nouvel allié mohawk.

Le Nord-Est de l’Amérique en 1654

Source : Carl Pruneau (User:Niptium) — Travail personnel avec l'aide de SémhurBackground map : File:New England and South-East of Canada topographic map-blank.svg, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=7163272

Après la conquête anglaise de la Nouvelle-Hollande, en 1665, les Mohawks deviennent les alliés indéfectibles de la Couronne anglaise. Dans une attaque-surprise, ils tuent plus de 500 guerriers du Roi Philippe.  Un an après le début du conflit, une centaine de villages sont détruits et plus de 5 000 Amérindiens périssent et d’autres seront envoyés comme esclaves aux Antilles.  En août 1676, Metacomet, alias le Roi Philippe, sera tué par un amérindien converti, puis décapité par les Anglais.  Le jour de l’Action de grâce, la tête du Roi Philippe arrive à Plymouth.  Elle sera installée sur un pieu au centre de la ville, ce qui donne lieu à de grandes célébrations. La tête restera en place pendant 20 ans, comme avertissement pour les autres autochtones. Le fils de Metacomet terminera sa vie comme esclave dans les Antilles.[4]

Cet évènement souligne l’antagonisme qui s’installe rapidement entre les colons et les Amérindiens. Les colons anglais sont devenus la puissance régionale contrôlant le territoire au détriment des autochtones. La Nouvelle-Angleterre s’imposera comme le principal centre intellectuel des États-Unis incarnant l’esprit de liberté, moteur de la réussite du pays. Cette colonie, plus au nord que les autres colonies anglaises, incarne mieux un Nouveau Monde de liberté pour les intellectuels anglais de l’époque : parmi les 15 000 premiers colons, 129 sont diplômés d’Oxford ou de Cambridge.[5] Ce mélange d’intellectuels, de religions et de gens d’affaires conduit à la création du mythe de la destinée manifeste donnant le devoir au peuple américain de partager la grandeur de sa nouvelle civilisation vertueuse à la planète entière. La Révolution américaine débutera à Boston, cœur intellectuel de la Nouvelle-Angleterre. Le mythe de la destinée manifeste du peuple américain conduira les descendants de ces premiers colons jusqu’en Californie, puis à la conquête du monde au nom de la Liberté.

La fête de l’Action de grâce aux États-Unis est devenue une célébration marquant un évènement mémorable dans la fondation du pays.  Elle représente bien cette mémoire trafiquée par le conquérant célébrant l’amitié autochtone à travers cette dinde offerte une unique fois par un père, mais oblitérant le souvenir de la tête de son fils mise au bout d’un pieu pendant 20 ans.


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[1] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p247
[2] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p247
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_des_Pequots  En ligne 2 septembre 2020
[4] 500 nations : l’histoire vue par les indiens d’Amérique. http://openyoureyes.over-blog.ch/-500-nations-l-histoire-vue-par-les-indiens-d-am%C3%A9rique-docs-vf  En ligne 2 septembre 2020
[5] Labelle, Alain, Les 11 nations américaines, ICI.Radio-Canada.ca, 2016. En ligne 2 septembre 2020 http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/special/2016/7/11-nations-pays-etats-unis/index.html?fromAppInfo=true


© Bastien Guérard, 2020

Relation avec les autochtones

L’aide des autochtones sera grandement appréciée par les premiers Européens arrivant en Amérique. Sans la bienveillance autochtone, plusieurs colonies n’auraient pas survécu sur le nouveau continent. Du moins, l’établissement des colonies aurait donné lieu à plusieurs tentatives infructueuses. Les Européens arrivaient sans connaître les particularités du climat, des plantes, des animaux de la région.  Il y avait certaines ressemblances en ce qui concerne les plantes, les animaux et le climat, mais la dynamique des écosystèmes était totalement différente d’un continent à l’autre simplement par la manière dont les humains vivaient l’interrelation avec la nature.  Les Européens veulent dominer la nature que Dieu leur a offerte, tandis que les autochtones recherchent l’harmonie avec la nature pour vivre de sa générosité. Les Européens urbanisent le monde au nom d’une civilisation imposant sa vérité sur la nature, les autochtones, par leur civilisation de bienveillance, célèbrent la nature dans le respect. Deux civilisations s’affrontent : celle de la brique et celle de la nature! Leur rencontre aura des conséquences différentes sur les acteurs, tant européens qu’amérindiens, selon leur attitude respective.

Les Européens christianisés introduisent la notion de péché en Amérique. Ce modèle répressif se base sur la culpabilisation des désirs pour imposer l’autorité religieuse et par extension l’autorité monarchique. Les nations autochtones vivent à l’écoute de la nature dans un esprit de bienveillance où les désirs sexuels de tout un chacun sont respectés. « La liberté sexuelle constituait une sorte de ciment social entre l’ensemble des hommes et des femmes d’une même communauté. »[1]  Cette liberté sexuelle caractérise les rapports à l’intérieur de la tribu. Des rituels communautaires comportent des activités sexuelles, mais cette liberté sexuelle fait également partie des règles d’hospitalité envers les tribus alliées.  L’arrivée des missionnaires catholiques qui refusent les avances des femmes de la tribu bouscule les convictions des autochtones.  À l’inverse, les coureurs des bois embrassent volontiers les coutumes autochtones d’hospitalité. La reconnaissance et le respect du désir horripilent les missionnaires au plus haut point, car cette philosophie de vie autochtone s’attaque au socle répressif de la religion chrétienne. « Désormais coexistent deux réseaux d’échange sexuel : l’un chrétien, rigide et restrictif, l’autre traditionnel, ouvert et relativement libre. »[2]L’introduction des notions chrétiennes de péché dans les nations autochtones détruit le ciment social sur lequel repose la force des communautés amérindiennes.
De ce point de vue, la colonisation française par son volet missionnaire a contribué à la destruction des communautés autochtones de l’intérieur. À l’inverse, les Anglais ne se donnant pas la peine d’établir des relations autres que mercantiles, ils détruisaient les communautés autochtones de l’extérieur, comme à Terre-Neuve où ils pratiquaient la chasse aux Amérindiens Béothuks, comme de la chasse sportive.[3]

La langue illustre bien l’attitude des différentes communautés européennes envers les autochtones. Les Français envoient des truchements vivre parmi les nations amérindiennes pour apprendre leur langue et leurs coutumes.  La connaissance des mœurs autochtones procure un net avantage dans le commerce et l’établissement d’alliances. À part des missionnaires, les Français s’adaptent bien à la vie parmi les autochtones.  Ils se marient avec des Amérindiennes, adoptent les coutumes du pays et prennent goût à cette vie de liberté.[4] Cette complicité avec les autochtones est bien comprise jusqu’au plus haut niveau de l’empire français.  En 1665, le roi Louis XIV ordonne au gouverneur de Courcelles, que « les officiers, les soldats et tous les sujets de Sa Majesté doivent traiter les Autochtones de façon équitable, sans jamais avoir recours à la violence. »[5]  L’esprit de la Grande Alliance amorcée par Champlain et Anadabijou demeure solide jusqu’à la Conquête de la Nouvelle-France et même au-delà. Sans cette alliance le territoire de la Nouvelle-France n’aurait jamais pris les dimensions que nous lui connaissons.

Contrôle du territoire nord-américain par les Premières Nations aux environs de 1600

Source : Gallatin, Albert — From the David Rumsey Collection, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=9045088

Bien que les Hollandais soient venus s’établir à New York pour faire le commerce des fourrures, aucun Hollandais ne parle une langue amérindienne en 1628, pas plus qu’en 1644 comme le confirme les dires des pasteurs Michaelius et Magapolensis. « Les plus initiés connaissaient quelques mots utiles pour la traite, mais le plus souvent ils se contentent de gestes. »[6]  Les comptoirs commerciaux hollandais demeurent sur la côte atlantique, ce qui réduit le besoin d’interaction avec les autochtones. Les Mohicans, puis les Mohawks leur serviront d’intermédiaires.  Les établissements de traite hollandaise sont froidement mercantiles. Contrairement aux Français, les Hollandais foncièrement laïcs n’enverront pas de missionnaire convertir les Sauvages. L’approche hollandaise démontre encore une fois la singularité de la colonisation française en Amérique du Nord jumelant la conversion religieuse au commerce de la fourrure. Une approche ayant contribué à la survivance des Mohawks.

Le territoire occupé par la Nouvelle-France en Amérique repose sur des postes de traite dotés des infrastructures nécessaires à son soutien. Au contraire, dans les colonies à l’anglaise les vagues d’immigrants se succèdent constamment pour imposer leur modèle de peuplement sur le territoire.  Les Anglais s’établirent plus dans une optique de colonisation en reproduisant leur mode de vie pour mettre de l’avant leurs nouvelles versions de la chrétienté. Leurs échanges avec les nations autochtones sont superficiels n’allant pas au-delà de l’échange commercial. « Ils répugnent à reconnaître leur territoire, n’ont pas de curiosité pour leur culture, n’essaient pas de vivre parmi ses nations et encore moins d’apprendre leur langue. »[7]  L’insularité de la pensée britannique prédispose les Anglais au développement de relations antagonistes avec les gens habitant le territoire américain avant leur arrivée, contrairement aux Européens continentaux plus tolérants envers les cultures voisines.

Les Français et les Portugais établissent des relations avec les Béothuks vivant sur les côtes de Terre-Neuve avant que les Anglais arrivent pour les chasser.[8]  Déjà en 1597, les Bretons, les Basques et les Micmacs profitant de la pêche d’été aux Îles de la Madeleine, s’unissent pour repousser Charles Leigh, le chef d’un groupe de protestant anglais venu fonder une colonie.[9]  Plus au sud, la tribu de Pocahontas, les Powhatans se font offrir du vin empoissonné à l’occasion d’une conférence de paix le 12 mai 1623 ; plus de 200 Powhatans  reposeront ainsi en paix.[10] En d’autres mots, les Amérindiens n’ont pas leur place sur cette Terre promise que devient le Nouveau Monde dans l’esprit de bien des Européens, particulièrement les religieux protestants britanniques. Plusieurs tribus seront réduites à l’esclavage, les hommes les plus réfractaires à l’esclave sont déportés vers les Antilles pour être remplacés par des esclaves africains.  D’où le métissage entre Noirs et Amérindiennes dans le sud des États-Unis.

Les Anglais formaient des groupes de pèlerins religieux qui ont fui l’Angleterre pour trouver un lieu pour vive leur foi dans un Nouveau Monde sans les mauvaises influences des vieux continents.  Si la laïcité des Hollandais dérangeait les puritains, les coutumes autochtones en Amérique devaient les déranger royalement dans leur rectitude religieuse.  Une répulsion maladive envers les autochtones devait se développer chez ces intégristes religieux venus d’Angleterre.

À l’opposé, les Français vivant sous le joug du pape catholique ne venaient pas pour l’épanouissement de leur foi religieuse, mais plutôt dans le simple but d’améliorer leur sort. Les premiers hommes à faire la grande traversée sont des engagés au service des entreprises de traite ou des missionnaires.  Plusieurs sont envoyés vivre parmi les autochtones pour devenir des truchements. Ces interprètes de la langue et des coutumes amérindiennes vont devenir les coureurs des bois ou des voyageurs. Voyageur est le titre pour ceux faisant la traite légalement, mais le terme coureur des bois est demeuré dans la culture populaire. Les missionnaires qui avaient la charge de transmettre la foi aux sauvages reprochaient le comportement des coureurs des bois qui s’accoutumaient volontiers aux coutumes des autochtones plutôt que de se conformer à la rectitude de la foi chrétienne européenne.

En Nouvelle-France, la création de villages de conversion avait pour but de permettre aux autochtones convertis de vivre pleinement leur foi sans la tentation de revenir aux coutumes traditionnelles. La création des villages de conversion vise à inculquer un attachement total aux mœurs chrétiennes. Il s’agit également de les tenir éloigner des mœurs dissipées des villes de Québec, Trois-Rivières ou Montréal. Selon les dires de Marie de l’Incarnation : « on faisait plus facilement un Sauvage avec un Français qu’un Français avec un Sauvage. »[11] Les villes de Nouvelle-France adoptent la liberté des mœurs amérindiennes tout en se détachant des coutumes bien rangées à l’européenne. En Nouvelle-France, les Jésuites ou les Franciscains commencent cette pratique de constituer des villages de conversion.

En Nouvelle-Angleterre, vers 1650 les chrétiens essaient de convertir les sauvages à leur religion.  Pour ces fondamentalistes religieux, pour vivre avec eux, il faut suivre les mêmes préceptes religieux. Des villages de conversion sont créés pour convertir les Amérindiens aux mœurs anglaises. En échange, ces villages leur assurent la sécurité.  Les Amérindiens ne sont pas dupes, ils comprennent que pour survivre, il vaut mieux feindre de se convertir que de mourir.  À l’inverse de la Nouvelle-France qui veut convertir un maximum de Sauvages, les missionnaires anglais faisaient subir des interrogatoires rigoureux pour s’assurer de la croyance des Amérindiens.[12]  Les villages de conversion sont créés pour maintenir une certaine distance avec ces nouveaux chrétiens aux mœurs encore douteuses.

Les villages de conversion en Nouvelle-Angleterre servaient à éloigner les autochtones convertis soupçonnés de mœurs dissipées, des pèlerins vivant pleinement leur foi chrétienne dans les colonies anglaises. À l’inverse, les villages de conversion en Nouvelle-France servaient à tenir éloigner les autochtones convertis des mœurs dissipés des Canadiens d’origine plus enclins à intégrer les coutumes amérindiennes.

Avec le temps, les villages de conversion se transforment en réserves indiennes.  La constitution de villages pour les autochtones convertis servit de refuge pour les nations en perdition suite aux conflits, famines ou épidémies.  Les Hurons viendront se réfugier à Québec lors de la destruction de leurs villages par les Mohawks. Des villages de conversion ont été créés autour de Montréal par les Sulpiciens pour accueillir les Mohawks convertis. Le but est de les éloigner de leur territoire d’origine sur la rivière Mohawk dans l’État de New York.  Les Mohawks, fidèles alliés de la Couronne anglaise, se retrouvèrent dans une situation inconfortable après l’indépendance des États-Unis.  Ainsi, les Mohawks viendront se réfugier à Kanesatake en banlieue de Montréal, après la Révolution américaine. Paradoxalement, ce qui au début servit à la conversion des autochtones à la religion chrétienne, aujourd’hui est présenté comme un lieu de préservation de la culture des Premières Nations.

Lors de la Guerre des Boers en Afrique du Sud en 1899, les Anglais ont de nouveau eu recours au modèle des réserves amérindiennes. Ils ont entassé, dans de véritables camps de concentration, d’anciens colons hollandais et des indigènes récalcitrants. Plusieurs d’entre eux mourront des suites de mauvais traitements. On a vu que les camps de concentration ont poursuivi leur chemin lors de la Seconde Guerre mondiale.


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[1] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p211
[2] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p211
[3] https://www.journaldemontreal.com/2019/06/12/lextermination-des-peaux-rouges-de-terre-neuve
[4] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p135
[5] Cornelius J. Jaenen (révisé par Siomonn PULLA, Dominique MILLETTE, Zach PARROTT), Encyclopédie canadienne, 17 août 2015 (1re éd. 2007) (lire en ligne [archive]), « Relations entre les Autochtones et les Français »
[6] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p137
[7] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014p53
[8] https://www.journaldemontreal.com/2019/06/12/lextermination-des-peaux-rouges-de-terre-neuve
[9] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.32
[10] https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Indian_massacres
[11] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p103
[12] 500 nations : L’histoire vue par les indiens d’Amérique, documentaire En ligne 30 juin 2020 : http://openyoureyes.over-blog.ch/-500-nations-l-histoire-vue-par-les-indiens-d-amérique-docs-vf


© Bastien Guérard, 2020

Les termes de l’échange et la monnaie

Au premier abord les nations autochtones ont perçu l’arrivée des Européens comme un accès à de nouvelles technologies plus avancées et plus efficaces. À prix très avantageux, on échangeait fourrures contre haches et chaudrons de métal. Dans les réseaux commerciaux existant en Amérique, les prodigieux produits européens seront source de prestige permettant d’obtenir encore plus en échange avec ses voisins. De plus, les Amérindiens voyaient leurs partenaires de commerce européens comme des alliées face à des tribus hostiles.  Les autochtones avaient tout à gagner de ce point de vue. Toutefois, les liens d’échange traditionnels et stables des sociétés autochtones sont bouleversés avec l’arrivée de produits manufacturés européens. À l’inverse, en Europe les nouvelles technologies issues des progrès scientifiques récents ont permis le développement de nombreux produits nouveaux intégrant de nouvelles ressources provenant du monde entier. Partout dans le monde les gens doivent s’adapter à de nouveaux modes des transactions commerciales bouleversées par l’expansion des marchés, la variété des produits et l’apport de monnaie sonnante. « Les Européens ont dû accepter en partie les règles nouvelles du commerce reposant sur la valeur du don et du partage tandis que les Amérindiens devaient s’adapter à leur tour à la logique du marché jouant sur la concurrence entre les puissances européennes. »[1]

La découverte des Amériques a favorisé le développement du capitalisme de plus d’une façon.  À l’époque de la découverte de l’Amérique, autre que le troc de marchandises, l’or est la principale monnaie d’échange dans le monde.  Le pillage de l’or et de l’argent dans les Amériques par les Espagnols apporte en Europe une grande quantité de capital en monnaie d’échange pour les transactions commerciales. L’exploitation de la mine de Potosí en Bolivie par les Espagnols favorise l’établissement du commerce mondial en fournissant des pièces d’argent comme monnaie d’échange.  La mine de Potosí est une « montagne d’argent » exploitée avant la découverte de l’Amérique et toujours en activité aujourd’hui. « Durant les cinquante premières années suivant la conquête espagnole, la quantité d’argent qui circulait en Europe tripla, et la production américaine s’avéra 10 fois plus importante que le reste de la production du monde combinée. »[2] La disponibilité de pièces d’argent eut un grand impact sur le développement du commerce dans le monde. Après avoir appris à contourner l’Empire ottoman par la mer, les Européens commencent à commercer à travers le monde grâce à la valeur stable et durable de l’argent.  Ils naviguent vers les Indes et la Chine pour rejoindre la source de la route de la soie ou de la route des épices. L’empereur moghol musulman Shâh Jahân profita tellement du commerce des épices payées avec de l’argent de l’Amérique que cela lui permit de construire en mémoire de son épouse Arjumand Bânu Began le Taj Mahal ! [3] En Chine, l’usage de monnaie sonnante au lieu de billets favorisa l’expansion du commerce. La piastre d’argent espagnole devient la monnaie d’usage de référence dans le monde, si bien qu’encore aujourd’hui des Québécois parlent de piastre au lieu de dollar pour parler de monnaie. Après avoir transformé l’alimentation à travers la planète, les ressources naturelles de l’Amérique transforment le monde du commerce.

Les Amérindiens possèdent également une monnaie d’échange servant lors de transactions.  « Ils s’agissait d’un ensemble de coquillages possédant une grande valeur symbolique et métaphorique. Le Wampum constituait la principale monnaie d’échange des Amérindiens. »[4] Constitué de coquillage taillé en forme de perle, puis percé et enfilé, il est produit sur la Côte-Est de l’Amérique.  Le wampum sert également de parure, il est utilisé comme bracelet, collier, pendentif ou pour l’ornement des vêtements. À l’origine confectionné à l’aide d’outils traditionnels, le wampum servant de monnaie d’échange entre les autochtones avait une valeur reconnue en fonction du labeur nécessaire à sa fabrication.  Il vit sa production fortement augmenter avec l’usage de pointes de métal pour percer les coquillages.[5]Cette augmentation soudaine de la production modifie les termes d’échange convenus entre les Nations autochtones.  Les premiers autochtones ayant accès aux outils européens deviendront subitement très riches.  Cette richesse soudaine flatte le prestige des nations favorisées.  Importées par les Hollandais, l’arrivée des perles de porcelaine sur le marché bouleverse encore plus le rapport au marché d’échange. En envahissant le marché avec un produit manufacturé, la valeur du wampum comme monnaie de l’échange s’effondre. Par l’introduction des perles de porcelaine, les Hollandais dépossèdent les Amérindiens du contrôle de leur monnaie sur laquelle repose le système d’échange.  Le principe du don basé sur un troc bienveillant s’efface au profit du capital conduisant à l’accumulation égoïste de richesses.

Lot de perles de Wampum, 1750-1800, Musée McCord

Source : Pierre5018 — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=54549132

En Nouvelle-France, le commerce de la fourrure domine les transactions depuis plusieurs années lorsque les Hollandais introduisent les perles de porcelaine sur le marché. De plus, le réseau commercial plus au nord, sur lequel les Français se sont greffés, fait moins usage du wampum de la Côte-Est de l’Atlantique. « C’est plutôt la peau de castor qui devint l’équivalent général, la « monnaie du pays.» »[6]  Toutes les sociétés organisées en fonction de relations commerciales développent une monnaie de référence sur laquelle se basent les autres transactions. Le sel servit longtemps de monnaie, mais il ne répondait pas au critère de durabilité.  Nous n'en avons gardé que le mot salaire ! À travers l’histoire, l'or et l'argent deviendront les métaux les plus fréquemment utilisés comme unité monétaire, car ils répondent mieux aux critères de durabilité permettant de maintenir la valeur d’échange du produit à long terme. Ils répondent très bien aux exigences d’outil de transaction offrant une stabilité au commerce international en expansion.

La perte de l’usage du wampum comme monnaie d’échange reflète les termes de l’échange biaisés au départ de ce commerce entre le Nouveau et l’Ancien Monde. « Le grand commerce réunit deux aires où la productivité est inégale : un continent à l’âge de pierre pratique le commerce avec un continent à l’âge de la manufacture »[7]    En Amérique la technologie autochtone de production de biens est basée sur les éléments de la nature facilement accessibles et donc aisément assimilables pour les Européens.  La confection d’un canot d’écorce, tout comme sa réparation, peut se faire à peu près n’importe où, une fois la connaissance acquise sur l’usage de l’écorce, du bois et de la résine de conifère le composant.  L’inverse est impossible étant donné la complexité technique de production des outils européens. La technologie complexe de production européenne est peu accessible tant pour les autochtones que pour les premiers colons.   Ce n’est qu’en 1730 que les forges du Saint-Maurice marquent le début de l’industrie de la fonte et du fer en Amérique du Nord.  En plus des connaissances autochtones permettant de s’adapter à la nature du continent, les Européens acquièrent leurs techniques de fabrication et d’usage. « Les Européens, outre l’acquisition de connaissances géographiques, botaniques et zoologiques, empruntent des Amérindiens mocassins, raquettes, canots et traînes sauvages. »[8]   Ce transfert technologique de l’un des partenaires vers l’autre réduit le rapport de force, car l’un des partenaires prend de son utilité en rapport à l’autre.

Les autochtones ne sont pas dupes.  Bien que les termes de l’échange soient biaisés à long terme, ils sont d’habilles négociants : « Les prix augmentent rapidement. Là où un Amérindien se contentait de deux couteaux pour une peau de castor, il exige une douzaine dès 1608. »[9]  Dans le marché plus libre de la Nouvelle-Hollande, le pouvoir de négocier entre les différents marchands fait partie des conditions des autochtones pour venir faire la traite : « Les Iroquois exigèrent des autorités hollandaises qu’on garantisse leur sécurité lors de la traite à Fort Orange et qu’on leur assure la liberté de quitter une maison pour une autre, « chacun ayant droit d’aller où il veut et là où les marchandises lui conviennent. »[10]

Le capital des marchands profite de termes d’échanges inégaux basés sur le manque d’information sur la valeur réelle des produits tant pour son client en Amérique qu’en Europe.  La clé du succès d’un marchand est de savoir où trouver un produit rare à un endroit pour l’y amener en échange d’un produit abondant de cet endroit.  Ainsi, les fourrures étaient rares en Europe et abondantes en Amérique. À l’inverse les produits manufacturés comme un chaudron de fer étaient inexistants en Amérique et faciles à produire en Europe.  L’échange de fourrures d’Amérique contre produits manufacturés d’Europe permettait de faire la fortune des marchands.

Toutefois, la grandeur du profit est liée à la rareté du produit.  Si les marchands inondent le marché européen de fourrures, la perte de rareté entraîne une baisse des prix.  Pour éviter une telle situation, la constitution de monopoles commerciaux « permis de limiter la concurrence entre Européens, d’augmenter la concurrence entre Amérindiens, de réduire au minimum la circulation d’information sur la valeur des marchandises et la manière de les produire et enfin d’unifier la force répressive, notamment par le maintien de militaires et la construction de forts. »[11]  Les monopoles commerciaux octroyés par les rois assuraient aux marchands un revenu stable.  En échange du monopole accordé, le roi demandait la construction d’infrastructures et un soutien à l’établissement de colons.  La construction de fortifications était avantageuse pour le marchand, car elle permettait de protéger les produits échangés. Bien que le marchand ait besoin de quelques personnes pour tenir commerce, l’installation d’un grand nombre de colons n’est pas à l’avantage de l’accumulation de capital.  En plus, les colons s’adonnent à du commerce illicite avec les autochtones brisant les avantages du monopole marchand. Le même jeu monopolistique se passe du côté des Amérindiens, tous voulant conserver l’exclusivité du commerce avec les Européens : « Les Montagnais n’ont jamais pleinement collaboré avec les Français ; ils ont jalousement gardé le secret de l’intérieur de leur pays. Les Algonquins aussi. »[12] Les nations amérindiennes inviteront les Français à installer un poste de traite chez eux, mais les décourageront toujours d’aller plus profondément à l’intérieur du continent pour conserver l’exclusivité du commerce.

La contrebande sera toujours un facteur incontournable de tout commerce trop fermé.  La libéralisation des échanges vise l’intégration du commerce illicite dans la sphère de taxation de l’État. La religion demeure un moyen de maintenir les gens captifs d’un marché organisé en condamnant aux enfers les gens ne respectant pas son cadre.  En France, le marché captif par le dogme religieux supporte un roi omnipotent cumulant richesse et distribuant titres de noblesse. Les Européens reproduisent leur modèle commercial national en Amérique ; « La France pratiquera la traite catéchisme à la main, tandis que la Hollande utilisera les bas prix, les armes et l’alcool. »[13] En Hollande, l’émergence du capitalisme en bourse libéralise les échanges commerciaux en permettant aux nouvelles idées de trouver du financement pour se réaliser. En Hollande, le marché libre, où chacun est responsable de sa morale commerciale devant Dieu, a engendré l’économie la plus puissante d’Europe.  « Le rapport d’échange est plus favorable à l’Amérindien en Nouvelle-Hollande qu’en Nouvelle-France où la liberté totale de traite n’a vraiment jamais existé. »[14] La liberté de commerce stimule la créativité humaine pour répondre aux besoins immédiats des populations. Toutefois, un encadrement moral du commerce est nécessaire pour éviter ses abus à long terme et se protéger des dérives inhumaines.  Les Hollandais seront les plus grands marchands d’esclaves entre l’Afrique et l’Amérique.

La nouvelle dynamique prenant place dans les nations autochtones illustre bien la mécanique du système capitaliste s’installant à travers le monde. Pour les Amérindiens « les marchandises de traite prennent de la valeur au fur et à mesure qu’elles s’éloignent de leur source d’écoulement, car elles gagnent en rareté. »[15] Chaque intermédiaire veut reporter le coût de l’échange sur l’autre en devenant un intermédiaire dans le système de traite.  La chasse, le traitement des peaux, la confection des canots, le transport des marchandises, l’approvisionnement en nourriture deviennent des tâches de plus en plus spécialisées. La traite entraîne la spécialisation des fonctions à l’intérieur des nations ainsi qu’entre les nations.  Les premières nations à avoir accès à des haches, des couteaux et des pointes de flèches en fer tirèrent avantage sur les autres nations voisines.  Les Mohawks sont ceux qui ont le mieux intégré cette nouvelle culture d’échange inégal en éliminant la concurrence ; principalement les Mohicans en 1624 et les Hurons 1649.[16]

Le maintien d’un terme d’échange favorable aux Européens implique la dominance du commerce par une technologie supérieure pour s’assurer de son bon déroulement.  « Au départ, tous les gouvernements et compagnies ont formellement interdit la vente d’armes à feu aux Amérindiens, de peur que, plus nombreux, ces derniers ne les retournent à la mer. »[17]  Il y aura un peu de contrebande d’armes à feu en Nouvelle-Hollande entre 1629 et 1639, mais ce n’est qu’en 1639 que le commerce d’armes à feu prend de l’expansion avec l’instauration de la traite libre en Nouvelle-Hollande.

Ce changement de politique commerciale est la conséquence de la première crise boursière dans le monde en 1637. La bourse d’Amsterdam s’effondre en raison de la spéculation sur les bulbes de tulipes dont le prix faramineux entraîne une forte production provoquant l’écroulement de sa valeur.[18]  Comme le wampum, la valeur de référence que les bulbes de tulipes représentaient perd subitement de l’intérêt. Par effet domino, les capitaux se font rares suite à la chute de la valeur des actions.  Des mesures fortes pour relancer le commerce sont mises en place. Cette relance passe par une plus grande libération des échanges pour attirer des capitaux et réintégrer ceux des marchés illicites. En conséquence, la Nouvelle-Hollande initie la vente légale d’armes à feu aux Amérindiens.  Cette politique de vente d’armes aux autochtones sera suivie par les Anglais et les Suédois.  Les Français poursuivant leur mission d’évangélisation ne vendent des armes à feu qu’aux autochtones convertis à la religion catholique.[19]

Cette libéralisation des échanges survient à la même époque où l’épuisement des animaux à fourrures se fait sentir sur le territoire des premiers autochtones ayant initié la traite des fourrures. « La course aux produits européens a pour effet de provoquer l’épuisement des ressources et de modifier le rapport de l’homme avec la Nature. »[20] Une course à l’armement s’installe pour obtenir l’accès aux ressources.  Les Suédois vont même vendre des pièces d’artillerie à leurs alliés Susquehannocks.[21] La qualité du métal des armes suédoises étant supérieure à celle des Hollandais, cela leur permit de résister aux attaques mohawks.  Suite à l’accès aux armes à feu, plusieurs guerres intertribales vont modifier la géopolitique du nord-est de l’Amérique du Nord.

Cette supériorité militaire soudaine entraîne également des règlements de compte comme le révèle l’histoire de la disparition des Winnebagos.  Peuple de plusieurs milliers d’habitants, les Winnebagos sont sédentaires contrairement à ce que pourrait laisser croire l’usage actuel du nom par une entreprise d’autocaravanes.  « La tradition orale nous révèle que les Winnebagos ont toujours considéré les Outaouais comme des nomades plutôt faibles et barbares. Mais les Outaouais obtiennent les premiers des armes de fer qu’ils retournent contre les Winnebagos et les écrasent ; les épidémies font le reste. » [22] Cette situation s’est multipliée à travers l’Amérique suite à l’établissement du commerce avec les Européens.  L’échange inégal à la base provoque des effets multiplicateurs néfastes tout au long des anciennes routes de commerce autochtones.  Cette transformation des rapports d’échanges a contribué à la désintégration des sociétés amérindiennes.


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[1] Germain, Georges-Hébert, Les coureurs des bois – La saga des indiens blancs, Éditions Libre Expression, 2003, p26
[2] L.Côté, L.Tardivel, D.Vaugeois, L’indien généreux, ce que le monde doit aux Amériques, Boréal, 1992  p. 88
[3] Big history : une nouvelle histoire de l'humanité, Documentaire INEDIT - 2013 - USA - FLIGHT 33 PRODUCTIONS.
[4] Germain, Georges-Hébert, Les coureurs des bois – La saga des indiens blancs, Éditions Libre Expression, 2003, p25
[5] 500 nations : L’histoire vue par les indiens d’Amérique, documentaire En ligne 30 juin 2020 : http://openyoureyes.over-blog.ch/-500-nations-l-histoire-vue-par-les-indiens-d-amérique-docs-vf en ligne 20 août 2020
[6] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p150
[7] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p90
[8] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p143
[9] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.82
[10] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p125
[11] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p91
[12] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014p85
[13] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p126
[14] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p120
[15] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p132
[16] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p132
[17] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p143
[18] https://fr.wikipedia.org/wiki/Tulipomanie#Effondrement_des_cours en ligne 20 août 2020
[19] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p146
[20] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p164
[21] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p145
[22] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p132


© Bastien Guérard, 2020

La fin de la Huronnie

Les Hurons seront les principaux alliés des Français dans le commerce de la fourrure jusqu’à leur anéantissement par les Mohawks en 1649.  Une partie des survivants s’est réfugiée dans la région de Québec où leurs descendants vivent toujours. À la fin du XVIe siècle « les Hurons du sud de la baie Georgienne avaient le contrôle quasi absolu des circuits commerciaux de la région des Grands Lacs. » [1] Ouendat est le nom d’origine de ceux que nous nommerons les Hurons.  Ce peuple d’environ 20 000 à 30 000 personnes habitait la région entre le lac Simcoe et la baie Georgienne sur le lac Huron. Peuple sédentaire de commerçants, il occupe une région forestière entre des peuples d’horticulteurs et des peuples de chasseurs où les voies de communication permettent de relier tout le Nord-Est américain.  Ils vivent dans des villages pouvant compter jusqu’à 2 000 habitants. À l’époque les villages européens ne dépassaient pas 500 habitants, ce qui démontre l’efficience de leur organisation sociale.[2]

Ils produisaient principalement de la farine de maïs, des filets et des cordes, mais servaient d’intermédiaires entre d’autres tribus. Situé au cœur du continent, l’accès à un vaste de réseau de lacs et rivières leur permettait de voyager de l’Arctique au golfe du Mexique et de la Côte-Est aux Rocheuses.    Au sud, ils acquièrent des Neutres, des Ériés et des Pétuns, le silex, le tabac et les peaux d’écureuil qu’ils échangent aux Algonquiens au nord, de qui ils obtiennent fourrures, fruits séchés, nattes de roseaux et médicaments.[3] Les biens circulaient ainsi de tribu en tribu à travers un vaste réseau de routes commerciales couvrant l’Amérique du Nord.  Les échanges ne se font qu’avec des tribus amies et se basent sur la réciprocité visant à renforcer cette alliance par une générosité mutuelle.  La fixation de la valeur des échanges est coutumière et stable.  Les critères de valeur sont établis en fonction de la valeur du travail pour le donneur et en fonction de la valeur d’usage pour l’acquéreur : « Céder une grande quantité de biens à une tribu voisine alliée pouvait ne pas paraître plus généreux qu’en céder moins à une tribu alliée, mais éloignée des centres de production et mal informée de la valeur réelle des objets. »[4]  Les Hurons appliquent ce principe naturel de base rendant profitable le commerce pour les marchands. Dans ce marché traditionnel stable où les coutumes ancestrales établissent la stabilité du marché, les économies autochtones évoluent dans un équilibre relatif avec l’environnement.

Les autochtones aspirent également au développement, donc à l’amélioration de la qualité de vie par le commerce de nouveaux produits.  Chez les Hurons, les commerçants étaient redevables au découvreur d’une nouvelle route de commerce et à sa lignée. Le commerce de fourrures donne accès à des technologies répondant à cette ambition très humaine : l’amélioration de son sort.  Toutefois, le commerce de la fourrure entraîne un déséquilibre dans l’établissement du prestige et la circulation des biens sous le principe du don.  La personne ayant ouvert cette route de commerce donnant accès à des produits à haute valeur ajoutée en prestige acquiert un statut déséquilibrant les rapports sociaux tant à l’intérieur de la tribu qu’avec les autres tribus. En obtenant par échange sous le principe du don les produits européens, le prestige acquis par ses transactions donne un pouvoir disproportionnel à la personne ou à la tribu à la tête du réseau de traite de fourrure. Le prestige des produits européens marque une rupture dans la perception d’égalité dans l’établissement des transactions sous le principe du don. La grande influence acquise tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la tribu par ce prestige oriente les choix sociaux. La notoriété des produits importés d’Europe réoriente les productions traditionnelles vers des produits servant à la traite de la fourrure.

En orientant les activités des tribus vers la traite de la fourrure pour acquérir des biens provenant de l’extérieur des réseaux traditionnels, un déséquilibre s’installe dans la société.  Les Amérindiens abandonnent les routes de commerces traditionnelles à la faveur des nouvelles routes conduisant aux comptoirs européens.  Réduisant le commerce entre eux, ils deviennent de plus en plus dépendants des produits européens comme pour la farine, les biscuits ou le tabac des Antilles.  « En d’autres mots, plus les sociétés amérindiennes produisent pour le marché, plus elles se spécialisent et plus elles réduisent leur autarcie. »[5] Des gens abandonnent leurs activités traditionnelles pour se consacrer aux soutiens de la traite pour l’obtention de technologies européennes.  La course à la modernité commence. « Le commerce des fourrures aura pour effet, en accroissant le temps de travail, de réduire le domaine du loisir et du temps libre. »[6] Dans l’établissement de la valeur d’échange des produits, le commerce de la fourrure vient tout basculer.  Les gens ne prennent plus le temps de s’arrêter, de réfléchir, d’observer la nature pour vivre en harmonie avec elle. L’époque qui a conduit à l’usage de l’eau d’érable par les autochtones est révolue.

En 1623, les Hurons accueillent des Français chez eux, des militaires pour la protection du commerce, des missionnaires et des truchements servant d’interprètes. « Ils voient d’un bon œil l’installation de quelques Français parmi eux, car ils espèrent pouvoir ainsi apprendre à fabriquer eux-mêmes des marchandises qu’ils doivent acheter des Européens. »[7] Cette idée étant inopérante, ce sont plutôt les missionnaires qui auront le plus grand impact sur la nation huronne : « En s’attaquant à la médecine, aux shamans, à la religion et aux croyances, les Jésuites ébranleront, au-delà d’une société, toute la structure de la personnalité huronne et amérindienne. »[8]  La communauté huronne se divise d’elle-même entre convertis et non convertis par les nouvelles croyances religieuses des missionnaires.  Plusieurs Amérindiens sont impressionnés par la Bible, la transmission de connaissances par l’écriture entre dans le magnétisme des technologies importées d’Europe.

La complicité de la religion avec la monarchie française lie le commerce de la fourrure à la mission de conversion des Sauvages. « Le missionnaire va utiliser le commerce à des fins religieuses en obtenant de la part du marchand une politique de prix et une politique de vente d’armes qui favorisent les conversions. »[9] Un prix pour les chrétiens plus bas que le prix pour les païens est établi.  Les Montagnais christianisés profitent de cette différence de prix en achetant au prix chrétien et en revendant au prix païen à d’autres nations.

Bien que la production agricole augmente avec l’usage d’outils européens, les nations n’accumulent plus de réserves pour deux ou trois ans en prévision des mauvaises années.  Les réserves sont vendues pour faire fonctionner la traite avec de nouveaux partenaires apportant de la fourrure. « Pratiquement inconnue, la famine frappe à plusieurs reprises à partir de 1638. »[10]  La dilapidation du grain par l’appât du gain ne mène à rien. Ce sont les premiers signes d’effondrement de la Huronie.  « En dilapidant les richesses du pays pour obtenir des objets produits ailleurs, on modifie graduellement l’équilibre naturel. »[11]La traite des fourrures repose sur une matière première renouvelable, la faune.  Dans le contexte d’échange avec les sociétés manufacturières européennes, le désir d’accès aux nouvelles technologies et le prestige que celles-ci offrent, pousse à la surexploitation de cette matière première. Ces technologies simplifient la vie des communautés, facilitent l’exploitation des ressources et augmentent leur prestige sur les routes de commerce traditionnelles. Dès 1630, les Hurons font face à une pénurie de fourrures sur leur territoire. Les Mohawks connaissent la même rupture de stock en 1640.[12]  Cela amène les tribus à rechercher de la fourrure auprès d’autres nations autochtones conduisant à l’exploitation d’un territoire plus vaste pour le commerce des fourrures.  Les autres nations intéressées à suivre la marche du progrès embarquent dans le système de traite de la fourrure et de la spécialisation de sa production.

L’abondance des ressources naturelles nourrissant depuis des millénaires une population amérindienne plus nombreuse avant l’arrivée des Européens ne suffit plus à soutenir le rythme de prélèvement exigé par cette course à la technologie.   La rentabilité du commerce de la fourrure se fait aux dépens de l’équilibre naturel des écosystèmes. Sans le réaliser, la surexploitation des ressources pour répondre à des besoins d’amélioration du bien-être social conduit aux sacrifices d’un mode de vie ancestral bienveillant.  Au début, l’abondance des ressources permet de soutenir l’intégration du modèle économique, mais si le rythme d’exploitation des ressources n’est pas soutenable en fonction de la capacité de renouvèlement de la nature, le système s’effondre tôt ou tard. Bien que parfois la technologie semble pouvoir dominer la nature, celle-ci gagne toujours, car les activités humaines reposent sur elle.

Dans l’affrontement entre Hurons et Mohawks pour le contrôle du commerce de la fourrure, Denys Delâge identifie trois facteurs avantageant les Mohawks.  En premier, ces derniers disposent d’une plus grande variété de produits européens grâce aux Hollandais, et leurs armes à feu. Puis, l’avantage géographique, la rivière Mohawks est un embranchement du fleuve Hudson, ils n’ont que 80 kilomètres à parcourir sur leur territoire pour se rendre aux comptoirs de traite hollandais. Tandis que les Hurons ont plusieurs centaines de kilomètres à parcourir et ils doivent traverser le territoire de plusieurs autres nations pour se rendre à Trois-Rivières. Enfin, « les Iroquois n’ont pas les tensions internes que provoque chez les Hurons la présence de missionnaires. »[13]

La présence des missionnaires au sein de la Huronie est l’élément le plus ravageur pour cette communauté tant par son influence au niveau social que pour l’accès à la technologie européenne.  « La communauté huronne s’est d’abord écroulée sous l’effet désintégrateur de la présence missionnaire, élément étranger en son sein.  En effet, cette présence cause des divisions profondes, de même qu’une perte de confiance en soi suite au processus d’acculturation, cela au moment précis où la Confédération affrontait les dangers les plus grands. »[14] En plus d’avoir affecté la cohésion sociale de la nation, les missionnaires par leur politique de vente d’armes limitée aux convertis ne permettent plus aux Hurons de tenir tête à leur ennemi et de protéger leur commerce. « Autrefois, écrit le père Vimont en 1643, les Hurons avaient le dessus, mais depuis que les Mohawks ont obtenu des arquebuses des Hollandais, ils pourchassent nos alliés algonquins, montagnais et hurons partout, ‘les massacres, les brûlant, et emportant leur pelleterie, qu’ils vont vendre aux Hollandais, pour avoir de la poudre et des arquebuses, et puis ravager tout en se rendant maîtres partout.’ »[15]

L’emprise religieuse sur le commerce ne compense pas la qualité des produits et les termes de l’échange. Sur le marché de la compétitivité, la qualité des produits hollandais était supérieure à celle des produits français. Les Hollandais dominent le commerce mondial de l’époque. De plus le marché est contrôlé par un monopole dans la vallée du Saint-Laurent tandis que la libre concurrence caractérise mieux le marché sur le fleuve Hudson.[16] La contrebande témoigne de cette vérité, « des fourrures provenant du réseau de commerce des Français empruntent le canal anglais ou hollandais, mais particulièrement le second. L’inverse ne se produit jamais. »[17]  Le bien spirituel de la religion catholique atteint sa limite lorsque vient le temps de considérer ses biens terre-à-terre contribuant à sa survie. En liant la vente d’armes à la conversion religieuse, les missionnaires catholiques obtiennent des taux de conversion des Hurons à l’Église catholique plus élevée, mais encouragent également la contrebande.  Les missionnaires pourront présenter des rapports très prometteurs à l’Église catholique, au détriment de la nation huronne. « Privée d’armes, liées à un rapport d’échange particulièrement défavorable et en proie à de violentes tensions internes (suite à l’action des missionnaires), la Huronie s’affaiblira graduellement et se verra en 1649 complètement rayée de la carte par sa rivale. »[18]

En 1649, la Huronie n’existe plus. Quelques Hurons chrétiens se réfugient à côté de Québec où ils habitent toujours au village de Wendake. D’autres fuient vers l’Ouest, mais après une famine au cours de l’hiver 1650, ils sont rejoints par les Iroquois qui les massacrent tous.[19]  D’autres groupes se sauvent chez les alliés Ériés, Neutres et Pétuns.  Comme un effet domino, chacune de ces nations sera détruite une à une par les Mohawks.[20]  Quelques survivants hurons et d’autres nations s’installeront sur le lac Supérieur vers 1653 pour devenir les Wyandot.  Dans cet épilogue de la Huronie, les pères Lalement, Brébeuf, Chabanel et Garnier sont torturés et mis à mort.[21] L’Église catholique fera des martyrs de ces Robes noires soi-disant salvatrices.

En 1660, la civilisation traditionnelle amérindienne du nord-est de l’Amérique est totalement effondrée. Les guerres commerciales et les épidémies anéantissent les nations de l’Est. En se réfugiant vers l’ouest du côté du Michigan et du Wisconsin, ils déstabilisent les nations de la région.  Les Iroquois deviennent les maîtres incontestés du nord-est de l’Amérique.  Toutefois, ils n’arrivent pas à s’imposer comme intermédiaires commerciaux comme les Hurons : « D’abord, ils ne bénéficient pas d’une position aussi stratégique que celles des Hurons et ils ne possèdent ni la tradition, ni les habitudes, ni la diplomatie qu’avaient acquises ces derniers depuis plusieurs générations. »
[22] Suite à la destruction de la nation huronne au centre de nombreuses routes commerciales, les Canadiens d’origine les remplaceront comme intermédiaire de traite. L’épopée des coureurs des bois prend alors une nouvelle dimension.

 

La dispersion des Hurons

Source : Donnacona — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=38522844


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[1] Germain, Georges-Hébert, Les coureurs des bois – La saga des indiens blancs, Éditions Libre Expression, 2003, p25
[2] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p61
[3] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p66
[4] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p69
[5] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p130
[6] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p64
[7] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p135
[8] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p88
[9] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p129
[10] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p172
[11] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p165
[12] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p140
[13] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p154
[14] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p100
[15] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p128
[16] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p142
[17] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p141
[18] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p130
[19] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p152
[20] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014p40
[21] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p82
[22] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p164


© Bastien Guérard, 2020