Les autochtones d’Amérique sont parfois idéalisés pour leur façon de vivre en harmonie avec l’environnement. Spécialement les cultures du nord-est de l’Amérique où les matériaux en usage pour les activités humaines se décomposaient facilement. Cette absence de ruine comme en Égypte signifie que d’autres technologies étaient en usage, mais cela ne signifie pas que les Amérindiens étaient des écologistes zéro déchet avant l’heure. Ils se sont adaptés du mieux qu’ils pouvaient aux circonstances du moment en fonction de leur bagage de connaissances, des technologies accessibles et de leur conception de la vie. En fait, les autochtones d’Amérique étaient profondément humains.
La majorité du peuplement précolombien en Amérique est arrivée par voie terrestre. L’ouverture d’un passage entre l’Asie et l’Amérique repose sur une circonstance particulière à la fin de la période glaciaire en raison de la variation du niveau des océans en fonction de l’épaisseur de la calotte glaciaire. Le passage n’a dû être praticable qu’à une certaine période, en équilibre entre la fonte des glaces, pour ouvrir un chemin sur la côte de l’océan Pacifique ou à travers les Rocheuses, mais avant la remontée des océans pour créer l’actuel détroit de Béring. Les chercheurs situent ce moment particulier, il y a 12 000 ans environ.
La faune et la flore abondantes avant l’arrivée des humains en Amérique furent sans aucun doute la source d’une formidable expansion des premières sociétés présentes sur le territoire. L’hypothèse la plus probable est que les humains, à la poursuite de grands gibiers comme le mammouth, le bison et le cheval, suivirent leur source de nourriture jusqu’en Amérique. Comme partout ailleurs dans le monde, l’arrivée de l’espèce humaine a bouleversé l’équilibre des écosystèmes. Le tableau ci-dessous démontre l’impact de l’apparition de l’humain sur les divers continents. Toujours à la recherche de plus de facilité pour subvenir aux besoins de leur communauté, les humains s’en prirent à la mégafaune des nouveaux territoires découverts. La mégafaune représente les gros animaux pesant plus de 44 kg, comme le cheval, le mammouth ou le paresseux géant disparu d’Amérique suite à l’arrivée de l’espèce humaine.[1] Ils étaient des proies faciles pour subvenir aux besoins d’une communauté en déplacement. Nous pouvons corroborer l’expansion de la communauté humaine en Amérique par l’extinction massive de la faune aux environs de 10 000 ans av. J.-C. Plus de 15 espèces de grands mammifères disparaissent à cette époque, entre autres, une sorte de castor géant de 3 mètres, cinq espèces de chevaux des plaines d’Amérique du Nord et les légendaires mammouths.[2] Les chevaux, ayant survécu en Asie, reviendront avec l’arrivée des colonisateurs européens.
Tableau d’extinction de la mégafaune par continent
Au fil des siècles, les Amérindiens ont appris à développer un certain mode de vie en équilibre avec le milieu. De nombreuses civilisations se sont développées dans les Amériques, certaines sont plus reconnues pour les traces qu’elles ont laissées comme les Incas, les Mayas ou les Aztèques. Dans la région qui nous concerne, le nord-est de l’Amérique, peu de traces durables ont été laissées dans l’environnement. La prise de possession du territoire par les Amérindiens, il y a environ 8 000 ans, et plus au nord, où les premiers Inuits arrivent, il y a 4 000 ans,[3]laisse également moins de traces de présence humaine que dans d’autres régions du monde. En considérant que l’agriculture fut inventée dans le Croissant Fertile au Moyen-Orient, il y a 10 000 ans, nous réalisons que l’occupation humaine du nord-est de l’Amérique commence 2 000 ans plus tard. Cela révèle la difficulté d’adaptation des humains à un environnement particulièrement inhospitalier pour notre espèce. Cette région couverte de glacier il y a encore 12 000 ans est l’un des derniers endroits de la planète où les humains réussissent à s’adapter à l’environnement.
À l’arrivée des Européens en Amérique, il y avait de nombreux groupes de populations autochtones. Le niveau de développement des diverses nations variait grandement d’un bout à l’autre des Amériques. Il est difficile d’évaluer la population autochtone présente lors de l’arrivée des Européens. Encore aujourd’hui, nous découvrons des peuples vivant dans le fin fond de l’Amazonie. Toutefois, les évaluations établissent une population à plus de 75 millions et d’autres à plus 100 millions de personnes.[4] À titre comparatif, la population de l’Europe à la même époque est estimée entre 60 à 65 millions de personnes. La population des villages autochtones du Nord-est américain comptait jusqu’à 2 000 habitants, tandis que les villages européens à l’époque comptaient autour de 500 personnes.[5] Même Champlain jugea que la population autochtone sur la Côte-Est à la hauteur du Maine et de Cape Cod était trop importante pour y établir une colonie.[6] « À Long Island seulement, la population se chiffrait à environ 6000, et sur l’île de Martha’s Vineyard, environ 3000, soit une densité de 43 habitants au kilomètre carré. »[7] Une telle densité de population demande une organisation socio-économique efficiente.
Certains peuples étaient sédentaires, d’autres nomades ou encore semi-sédentaires. Les semi-sédentaires s’établissaient dans une région durant quelques années pour exploiter les ressources locales, puis se déplaçaient suite aux réductions des ressources. Les nations s’étaient adaptées pour vivre en harmonie avec les ressources de leur milieu en fonction des connaissances acquises au cours des siècles. Chacun des peuples avait développé une organisation sociale, des technologies et des réseaux de commerce propres à leur besoin. Après l’extinction massive à la suite des migrations humaines, des peuples ont développé des cultures en harmonie avec le nouvel environnement. Malgré la migration massive venue d’Asie, la nature encore abondante comble les besoins d’épanouissement des peuplades habitant le continent en fonction de leur capacité d’adaptation au milieu.
Reflet de la culture, une grande variété de langues était en usage sur le continent pouvant être regroupées en 42 familles pour un total de 221 langues. Toutes ses langues propres au continent représentent autant de cultures différentes. Aucune preuve ne démontre une parenté entre les langues amérindiennes et asiatiques.[8] Cette absence de lien linguistique démontre que l’Amérique s’est développée de manière totalement singulière par rapport à l’ensemble des vieux continents. Notons que les langues ne déterminent pas les relations entre les divers peuples en Amérique. Ainsi, bien que les Hurons étaient apparentés par leur langue et leur culture à la famille linguistique iroquoise, elle était en guerre contre les Iroquois des Cinq Nations. « Par contre, ils entretenaient des liens d’amitié avec les Népissingues qui parlaient une langue très éloignée de la leur, une langue de la famille algonquienne. »[9]
Les populations autochtones n’étaient pas toutes également riches; elles n’étaient pas exemptes de la guerre ou de l’esclavage. Mais, toutes semblaient vivre dans un équilibre avec la nature qui supportait leur mode de vie. Le bison, devenu le plus gros animal du continent, sert de ressource de base aux peuplements humains des plaines, tout comme le saumon sert de base alimentaire aux peuples côtiers. À l’arrivée des Européens le continent regorge encore d’une faune et d’une flore des plus fécondes. Les côtes du continent sont bordées de forêts denses, seules les rivières permettent de s’enfoncer dans le territoire. Ce continent débordant d’arbres, d’animaux et de poissons, représente « des richesses inouïes, un foisonnement, une abondance qui, pendant des siècles, a émerveillé et médusé les Européens. »[10] L’exploitation de l’immensité des richesses disponibles par les Européens arrivant avec de nouvelles technologies conduit à une nouvelle extinction de masse de la faune en Amérique. Ce changement d’équilibre des écosystèmes contribue également à la disparition des cultures humaines ayant trouvé un équilibre dans l’environnement précolombien. Le remplacement des bisons par des vaches en Amérique du Nord en est l’exemple le plus flagrant.
Cette nouvelle conquête de l’Amérique marque une nouvelle étape de l’ère de l’anthropocène où l’expansion de l’espèce humaine sonne le déclin de la faune et de la flore sur la planète.[11] L’expansion humaine basée sur des avancées technologiques spécifiques impose une dominance de l’environnement par un nombre réduit d’espèces, de cultures et de langues. Les vaches se retrouvent sur tous les continents comme source de viande, à l’image du modèle économique anglo-américain en expansion partout sur la planète. Pourtant, un nouvel équilibre avec la nature doit s’établir pour la pérennité de ce modèle économique développé avec les immenses richesses de l’Amérique d’autrefois.
Pour certains scientifiques comme Hubert Reeves, nous vivons présentement la 6e grande extinction d’espèces depuis l’apparition de la vie sur Terre. Il fait remarquer que la constante dans les grandes extinctions d’espèces est que seuls les animaux de moins de 4 kg survivent. [12] Un petit détail mettant du sable dans l’engrenage de ceux plaçant leur confiance en des solutions technologiques dans cette fuite en avant perpétuelle d’un système économique surexploitant l’environnement. Toutefois, l’humain a la mémoire sélective : parmi l’ensemble des variétés animales présentes en Amérique du Nord, le moustique est l’animal dont l’abondance est la plus marquante, agaçante et désagréable, mais rarement soulignée dans les livres d’histoire. Pourtant, c’est de lui que vient le nom Peau-Rouge donné aux habitants de l’Amérique par les Européens, car les Amérindiens mettaient de l’ocre rouge sur leur peau pour se protéger des moustiques.[13] Le monde d’aujourd’hui préfère oublier les moustiques, les cultures amérindiennes et l’abondance des richesses de la nature d’autrefois pour la glorification d’un système socio-économique que l’environnement condamne déjà à l’obsolescence.
À l’image des peuples semi-nomades migrants à cause de l’épuisement des ressources, un perpétuel cycle d’effondrement de civilisations se produit sur Terre, suite à la transformation de l’environnement sur lequel elles s’étaient bâties. Depuis l’apparition des premières cités où se concentrent des activités économiques, les échanges commerciaux ont contribué à la constitution de royaumes, d’empires et d’empires coloniaux. Ce cycle naturel d’effondrement et d’émergence de civilisations a guidé l’espèce humaine vers la civilisation mondiale actuelle. Le problème avec une civilisation d’envergure mondiale est de trouver une autre planète où la déplacer lorsqu’elle s’effondre.
Actuellement, d’après le Global Footprint Network, « le 22 août serait effectivement la journée à laquelle l’humanité a épuisé toutes les ressources naturelles que la Terre peut générer en une seule année. » [14] L’indicateur d’impact établi en 1970 avait évalué cette date au 29 décembre lors de ce premier calcul du Jour du dépassement. Toutefois, 2020 est une année spéciale, car pour la première fois en 50 ans l’indice recule en raison du confinement lier à la pandémie du COVID19. En 2019, dans un contexte d’activité économique plus normal, le Jour du dépassement était le 29 juillet.
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[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9gafaune_du_Pl%C3%A9istoc%C3%A8ne
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Extinction_de_l%27Holoc%C3%A8ne
[3] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p54
[4] Germain, Georges-Hébert,Les coureurs des bois, saga des indiens blancs, Edition Libre Expression, 2003 p22
[5] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p61
[6] 500 nations : L’histoire vue par les indiens d’Amérique, documentaire En ligne 30 juin 2020 : http://openyoureyes.over-blog.ch/-500-nations-l-histoire-vue-par-les-indiens-d-amérique-docs-vf
[7] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p55
[8] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p56
[9] Germain, Georges-Hébert,Les coureurs des bois, saga des indiens blancs, Edition Libre Expression, 2003 p22
[10] Germain, Georges-Hébert, Les coureurs des bois, saga des indiens blancs, Edition Libre Expression, 2003 p20
[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Extinction_de_l%27Holoc%C3%A8ne
[12] Conférence d’Hubert Reeves, HEC Montréal, mai 2010
[13] https://www.peuplesamerindiens.com/pages/termes-et-origine/le-terme-peaux-rouges.html En ligne 30 juin 2020
[14] https://www.meteomedia.com/ca/nouvelles/article/le-jour-du-depassement-recule-pour-la-premiere-fois-en-50-ans En ligne 10 juillet 2020
© Bastien Guérard, 2020
La découverte de l’Amérique par Christophe Colomb officialise l’existence de ce continent auprès des Européens. Toutefois, nous savons que les Vikings ont atteint l’Amérique du Nord autour de l’an mille. À Terre-Neuve, des vestiges d’habitation viking à L’Anse aux Meadows témoignent de leur passage. Des colonies vikings outre-mer, l’Islande demeure la seule à avoir subsisté. La colonisation du sud du Groenland fut abonnée en raison de l’incapacité des Vikings à s’adapter à un léger refroidissement climatique au XIVe siècle.[1] Actuellement, des Inuits, arrivés autour au XIIIe siècle, peuplent le Groenland. La présence des deux groupes colonisateurs coexiste sur l’île sur la période d’environ deux siècles. L’échange entre eux de savoir-faire ne semble pas avoir eu lieu. Il aurait pu permettre à la population d’origine norvégienne de s’adapter aux changements climatiques dans cette région d’Amérique. Notons que le Danemark acquit des Norvégiens en 1814 cette grande île presque entièrement couverte de glace.
Sans doute, la grande barrière culturelle et le manque d’intérêt pour le commerce de biens n’ont pas généré assez d’échanges pour la transmission de coutumes inuites vers les Vikings pour qu’ils s’adaptent aux nouvelles contraintes climatiques. La résistance aux changements pour s’adapter aux variations de leur environnement a causé l’effondrement de nombreuses civilisations. Un phénomène planétaire souvent accompagné de la perte des connaissances qui avaient fait le succès des civilisations.
La fin de cette épopée met un terme aux voyages au long cours sur l’Atlantique Nord, ainsi que la perte d’un savoir-faire qui a assuré le succès des navigateurs vikings. L’usage d’une pierre de soleil pour guider leur navigation, même par temps nuageux, en était rendu à l’état de mythe lorsque fut découvert sur une épave du XVIe siècle un cristal de calcite parmi les outils de navigation. Ce minerai possède une propriété optique, qui à la manière d’un prisme décomposant la couleur, sépare la lumière en deux. Les deux rayons de lumière ont exactement la même force lorsque le cristal est aligné sur la source lumineuse. Une propriété qui permet par temps nuageux de connaître l’emplacement du soleil. Des chercheurs, simulant la traversée entre la Norvège et le Groenland, ont démontré que l’usage de cette technologie, aux 3 heures, résultait dans un taux de succès du voyage de 92 à 100 %. L’usage de la pierre de soleil aux 4 heures, réduisait le taux de succès de la traversée autour 32 à 59 %. [2] L’étude démontre bien l’utilité de la pierre de soleil pour les navigateurs vikings. Toutefois, pour bien prouver son usage par les Vikings, il faudrait trouver un tel artéfact ailleurs que dans un navire britannique !
Au chapitre des pertes de connaissances en lien avec l’aventure des découvertes des continents de la planète, la plus fabuleuse des histoires mises en lumière récemment provient de Gavin Menzies du Royaume-Uni, un ancien commandant de sous-marin de la Royal Navy. En mettant à contribution son expérience de navigateur et des recherches bien documentées, il démontre dans son livre « 1421 » que les Chinois ont cartographié une grande partie du monde lors d’expédition maritime sous la direction de Zheng He entre 1421 et 1423. Une histoire étonnante illustrant comment la grandeur et la décadence d’un empire tiennent à peu de choses. Et qu’à la marge des grands empires se développent de nouveaux empires intégrant des connaissances de divers horizons. Gavin Menzies nous apprend que les connaissances acquisses lors des expéditions chinoises furent transmises vers l’Europe par Niccolo da Conti.
Niccolo da Conti, un marchand vénitien, aurait pris contact avec la flotte des bateaux trésors à Calcutta, dont nous retrouvons la description dans un rapport au pape Eugène IV.[3] Avec la flotte chinoise, il se serait rendu à Java où il y passe neuf mois.[4] Son retour en Europe et la transmission des informations cartographiques sont dignes du grand espionnage étatique. Une histoire pleine de mystères aussi difficiles à encadrer qu’à résumer. Selon Menzies, les expéditions d’exploration européennes de Colomb, Dias, da Gama, Magellan, Cook et les autres ont été guidées par des cartes chinoises.[5]
Tout commence en 1420, l’empereur Zhu Di inaugure le Palais de la Cité interdite à Beijing où il a déménagé la capitale de l’empire. Troisième empereur de la dynastie Ming, il incarne le renouveau de la Chine après la dynastie Yuan issue des conquêtes mongoles. Ces fameux guerriers des steppes parcourant le nord de l’Eurasie sont des peuples nomades suivant les troupeaux d’animaux migrateurs et s’enrichissant de pillage. Pendant des siècles, ils sont la calamité des civilisations sédentaires : en déferlant sur l’Europe, ils ont entraîné la chute de l’Empire romain vers l’an 400. En Europe, mieux connus sous le nom de Huns, ils sont à l’origine des Francs, des Angles, des Saxons, des Wisigoths en Espagne et des Vandales en Tunisie.[6] La Grande Muraille de Chine, construite pour se prémunir des attaques barbares des guerriers des steppes, ne fut pas toujours à toute épreuve. Après cet intervalle provoqué par la conquête de la Chine par Gengis Khan, la dynastie Ming incarne un nouvel essor pour le pays. Sous cette dynastie, la science et les connaissances astronomiques sont remises à jour par une politique plus favorable à l’acquisition de savoirs. Le commerce chinois prend de l’expansion dans l’océan Indien et sur la Côte-Est de l’Afrique à l’aide du bateau trésor, immense jonque de commerce soutenu par une flotte de bateaux de service.
Après l’inauguration de la Cité interdite, où 36 000 convives prirent part à un banquet de dix services servis dans de la fine porcelaine, la bienséance de l’empereur l’enjoindra à faire raccompagner ses invités qui provenaient d’aussi loin que de la Côte-Est de l’Afrique en passant par le Moyen-Orient, l’Inde et du Japon à l’autre extrémité du monde connu. À titre comparatif, à quelques semaines d’intervalle, le roi Henri V marie Catherine de Valois à Londres. Pour l’occasion, les 600 convives mangent de la morue salée servie dans des miches de pain évidées pour faire office d’assiette.[7]
L’empereur fit reconduire certains des convives par sa flotte de bateaux trésors pour mettre de l’avant sa puissance commerciale. À cette occasion, il donne l’ordre à l’amiral Zheng He d’explorer les terres inconnues pour cartographier d’éventuelles routes de commerce. Une flotte de 250 navires dont 60 bateaux trésors se déploya en 5 expéditions d’exploration à travers les océans du globe. Boussole à la main et connaissance astronomique d’avant-garde, ils cartographient la planète. Un bateau-trésor était une jonque de 155 mètres de long par 55 mètres de large avec 9 mâts et des caissons étanches comme ceux du Titanic. À titre de comparaison, la Santa Maria de Christophe Colomb avait 25 mètres de long par huit mètres de large. La Santa Maria aurait pu être placée sur la largeur d’un bateau-trésor.[8]
Carte des voyages de la flotte des bateaux trésors de l’amiral Zheng He – 1421- 1423
Cette grande expansion économique de la Chine sous la dynastie Ming exige beaucoup de ressources à travers tout l’empire tant pour l’édification de la Cité interdite que pour la construction d’une immense flotte de commerce. Cette forte pression sur les ressources naturelles et humaines exacerbe des tensions à travers le pays jusqu’au cœur du palais. L’incendie d’une partie de la Cité interdite en 1421 est perçu comme un mauvais présage. Sous l’influence d’eunuques conservateurs, la politique chinoise d’ouverture sur le monde prit la tournure inverse à la mort de l’empereur Zhu Di en 1424. Hongxi, le fils de Zhu Di, régna seulement de 1424 à 1425. À sa mort, le petit-fils de Zhu Di, Xuande règne de 1425 à 1435 sous l’influence des eunuques conservateurs qui s’appliquèrent à détruire toute trace des expéditions de Zheng He. La Chine se referma sur elle-même.[9] Cet effacement volontaire laissera, des années plus tard, toute la place à l’expansion des réseaux commerciaux européens conduisant à l’établissement de la civilisation mondialisée actuelle. Une civilisation mondiale s’inspirant d’idéologies européennes.
Le livre « 1421 » rend compte de cette incroyable aventure de la cartographie de la planète par les Chinois, à une époque précédant l’exploration du monde par les Européens. Il démontre que des cartes échappèrent à la destruction, et comment certaines copies se retrouvèrent en Europe par l’intermédiaire de da Conti. Christophe Colomb disposait de plusieurs indices sur la présence d’un continent à l’est dans l’océan Atlantique. A-t-il eu accès aux cartes chinoises ? Remarquons que les cartes chinoises de l’époque étaient d’une grande précision, et en arrivant, Christophe Colomb identifia les habitants des Amériques comme étant des Indiens croyant être arrivé aux Indes !
Même si des cartes d’origine chinoise révèlent une partie de l’Amérique, ce n’est pas nécessairement les Chinois qui ont guidé Colomb jusqu’en Amérique. Les Basques seraient de meilleurs candidats, car ils venaient pêcher dans le golfe du Saint-Laurent.[10] Ce peuple de pêcheurs et de grands navigateurs fréquentait l’Islande. Il ne reste qu’un pas pour se rendre en Amérique sachant que les Vikings ont colonisé l’Amérique en passant l’Islande, en plus d’avoir laissé des récits de cette aventure coloniale. « Selon un mémoire de 1710 des archives de St Jean de Luz, les Basques découvrent Terre-Neuve en 1392, vraisemblablement à la poursuite de la morue. »[11] Notons que les Basques ont inventé le gouvernail arrière, rendant plus manœuvrables les bateaux en mer en comparaison du gouvernail latéral. Lors de son introduction dans la construction navale, ce type de gouvernail porte le nom de gouvernail basque.
L’implantation des Basques dans le Saint-Laurent aurait même marqué la langue algonquine. Le nom des Iroquois proviendrait de ce mélange de langues avec les pêcheurs basques qui nommaient ce peuple Hilokoa,signifiant ‘les tueurs’. Les Français ont repris cette appellation basque des Algonquins pour nommer les Iroquois. [12]
En Occident, le voyage de Christophe Colomb officialise la découverte de l’Amérique, tout comme le voyage de Marco Polo représente la prise de conscience par l’Europe de la Chine et de l’Extrême-Orient au bout de la fabuleuse route de la soie. De son côté, la Chine superstitieuse semble avoir manqué le bateau de l’expansion du commerce international par des choix de politique intérieure basés sur des chimères. Les traces de cette magnifique histoire d’exploration chinoise révélée par Gavin Menzies portent à croire que cette grande épopée de l’intégration commerciale du monde par l’exploration des mers du globe portera toujours plusieurs mystères. Tout comme aucune trace de Marco Polo ne subsiste en Chine, pas plus que ce dernier parle dans son récit de l’usage des baguettes en Chine comme ustensile. Une évidence demeure : si de vieilles cartes précolombiennes de l’Amérique émergent, seule la Chine avait la capacité de produire de tels documents à l’époque.[13] . Chose certaine, l’épopée des grandes découvertes ne fut possible qu’à la suite de la maitrise de la navigation océanique avec la boussole chinoise. La boussole demeure à la source de l’expansion du commerce mondial à partir de l’Europe.
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[1] Arnaud, Bernadette, Pourquoi les Vikings du Groenland ont-il disparu ?, Science et Avenir, déc. 2016. https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/archeologie/pourquoi-les-vikings-du-groenland-ont-ils-disparu_109171 en ligne 6 juillet 2020
[2] La pierre de soleil des Vikings dévoile ses secrets | ICI.Radio-Canada.ca
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1094464/secret-pierre-soleil-vikings-navigation-spath-islande En ligne 30 juin 2020
https://royalsocietypublishing.org/doi/full/10.1098/rspa.2017.0358
[3] Menzies, Gavin, 1421, Bantam Edition, 2003, p115
[4] Menzies, Gavin, 1421, Bantam Edition, 2003, p229
[5] Menzies, Gavin, 1421, Bantam Edition, 2003, p435
[6] Atlas Historique, Édition Stock, 1968, p110
[7] Menzies, Gavin, 1421, Bantam Edition, 2003, p63
[8] Menzies, Gavin, 1421, Bantam Edition, 2003, p
[9] Menzies, Gavin, 1421, Bantam Edition, 2003, p
[10] https://journals.lib.unb.ca/index.php/acadiensis/article/view/11153/11880#no1 En ligne 30 juin 2020
[11] https://www.bipia.com/blog/basques-navigation/ En ligne 30 juin 2020
[12] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p47
[13] https://www.economist.com/node/5381851 En ligne 30 juin 2020
© Bastien Guérard, 2020
Les acquis des Croisades ont conduit à la Renaissance, qui débuta en Italie au XIIIe siècle pour se terminer avec la découverte de l’Amérique par l’Espagne. Le développement de l’économie européenne commence un nouvel essor suite aux grandes découvertes maritimes. En plus des découvertes géographiques, à la même époque, une révolution des idées prend place avec l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. Une révolution des connaissances commence. Autour de 1452, sa première publication, la Bible, donne un plus large accès au livre sacré qui régit la chrétienté. Cela entraine la fin du monopole de l’Église catholique romaine en Europe occidentale et initie le mouvement des réformes religieuses protestantes. Les Guerres de religion en Europe auront un impact sur la colonisation de l’Amérique. Elles influenceront le contexte de la colonisation du nord-est de l’Amérique, où la France, la Hollande et l’Angleterre joueront un rôle majeur dans l’établissement de colonies dans cette région de l’Amérique au début du XVIIe siècle.
La France composée d’une population de 20 millions d’habitants est le pays le plus peuplé d’Europe, même en y incluant la Russie. Louis XIV, le Roi Soleil, représente le triomphe du régime féodal. Les régimes féodaux découlent de l’effondrement de l’Empire romain sous le poids des invasions barbares, dont les deux piliers sont l’Église de Rome et la Royauté de droit divin. « L’Église est la seule institution romaine qui survive à la dislocation de l’Empire. »[1] L’Empire romain s’adapte à l’Église catholique et « les sénateurs romains se convertissent au christianisme pour se faire évêques. » [2] En l’an 392, les nouveaux élus de Dieu imposent le christianisme dans l’Empire par la voix de l’empereur Théodose qui interdit les autres cultes. Monopolisant la spiritualité humaine en se donnant le pouvoir de définir le bien et le mal, l’Église chrétienne peut utiliser cette autorité pour désigner un roi de droit divin. Une alliance entre les envahisseurs barbares et l’Église de Rome aura lieu sous Clovis, le roi des Francs en 496. Cette dynastie sera remplacée par la dynastie des rois carolingiens en l’an 768. En contrepartie de l’alliance avec la papauté, la France soutient l’établissement de l’État pontifical en Italie. En caricaturant, le régime féodal se fonde sur la loi du plus fort arbitrée par l’Église. En échange, l’Église confère au vainqueur le pouvoir de régner par droit divin. Cet arrangement maintient l’exploitation injuste de population peu instruite et très superstitieuse. Par cette forte complicité avec l’Église catholique, la Nouvelle-France fondée pour le commerce de la fourrure a pour objectif plus profond la conversion des autochtones à la gloire de l’Église de Rome et à la bonté du roi de France. L’idée est de soumettre les autochtones à la Couronne de France et à l’Église catholique. Le commerce des fourrures soutiendra les missionnaires chargés de convertir les autochtones dans une colonie exclusivement catholique.
L’Angleterre compte environ 5 millions d’habitants et la structure de son régime féodal remonte à l’an 1066 lorsque le duc de Normandie, Guillaume le Conquérant, conquiert l’Angleterre lors de la bataille de Hastings. Cette conquête française provoque un antagoniste historique entre ces deux nations. Guillaume le Conquérant impose sa foi catholique aux Anglo-saxons, en plus de prendre possession de tout le territoire : « Le Bâtard devient propriétaire du territoire anglo-saxon et de tous les biens qui s’y trouvent, y compris les bêtes sauvages. »[3] Cette conquête rend possible la légende de Robin des bois chassant illégalement sur les terres de la Couronne.
Traditionnellement en Europe, les conquérants reconnaissent le droit de terre aux habitants, ce qui permet d’hériter du pouvoir de taxation remontant à l’Empire romain. Suite à la Conquête française, les barons anglais conservent leurs terres, mais deviennent les vassaux d’un nouveau roi provenant de l’étranger. « Les vassaux ne possèdent plus que des « intérêts » sur leurs terres et leurs biens. »[4] En cas de litige, seul le roi a le pouvoir divin de dicter la justice. Guillaume le Conquérant instaure la Commun Law, une loi commune à tous ses sujets. Sans doute une manœuvre pour mieux asseoir son pouvoir en dissipant l’arbitraire de ses décisions envers les barons anglo-saxons contrôlant les masses paysannes. Par la suite, en 1215 la Magna Carta introduit le principe du no taxation without consultation (pas de taxe sans consultation). « La Magna Carta signée entre les barons et le roi est la toute première brèche dans le pouvoir royal ».[5] De cet embryon de contrat social émergera le principe de la société de droit britannique où tous sont égaux devant la loi. Toutefois, les factures d’avocat ne sont pas incluses dans ce genre de contrat social !
La Hollande avec ses 1,5 million d’habitants, représente la puissance économique dominant l’Europe en l’an 1600. Le pays occupe le delta du Rhin et de la Meuse, deux grands fleuves d’Europe coulant vers la Mer du Nord. Une situation géographique qui forgera le caractère du pays. Cette zone marécageuse peu accueillante servira derefuge à tous les marginaux d’Europe. Nommée également Pays-Bas, en raison du gain sur la mer qu’une partie des habitants ont accumulée au cours du Moyen-Âge en construisant des polders. Les polders sont des terrains gagnés sur la mer à l’aide de digues et de moulins à vent servant à pomper l’eau. Une fois l’eau retirée, la terre pouvait servir à des usages agricoles, commerciaux ou autres. Ces paysans-colons s’étant constitué des terres avec les polders, ils développent un fort sentiment d’homme libre. Contrairement à l’Europe féodale, la majeure partie de la paysannerie est propriétaire en Hollande. En plus, au XVIe siècle, craignant une noblesse rivale, le roi Charles V décide de retirer les pouvoirs judiciaires et de taxation à la noblesse pour les centraliser. Cet affaiblissement de la noblesse réduit les contraintes de servitudes sur les paysans propriétaires. Cela stimule le perfectionnement des technologies agricoles, car les paysans ne craignent plus de se faire écrémer par des seigneurs sans scrupule. Les rendements agricoles augmentent, la spécialisation s’intensifie et l’économie s’ouvre à la multiplication des échanges et à la production spécialisée de nouveaux biens. Cette paysannerie prospère est alphabétisée à plus de 50%. Le haut niveau d’éducation de la population découle de la Réforme protestante où les biens saisis à l’Église catholique, représentant 20% des terres, furent utilisés à des fins sociales : éducation, santé et bien-être.
Le pays prospère, axé sur l’acquisition de connaissances et l’ouverture aux nouvelles idées. Les paysans ont augmenté fortement leur production en abandonnant la jachère qui oblige à laisser en friches un tiers des terres au profit de la rotation des cultures, en faisant des labours profonds à l’aide d’animaux de trait et en enrichissant le sol par de l’engrais animal, végétal ou des déchets urbains. Par le commerce de leurs produits agricoles et de leurs biens transformés, les paysans libres se métamorphosent en riches bourgeois. Des commerçants inventent une entreprise par actions pour financer une expédition dans le sud de l’Asie afin de faire compétition au commerce des épices dominé par le Portugal.[6] Le succès financier engendré conduit à la répétition de l’exercice. Toutefois, les expéditions au long cours prennent du temps demandent un investissement à long terme. D’où l’apparition d’une bourse d’échange d’actions d’entreprise de commerce à long cours. La première bourse prend place dans une ancienne église catholique. Autant les commerçants que les domestiques investissent dans des compagnies cotées en bourse.[7]
L’invention du vilebrequin actionnant des scies avec les moulins pour couper des planches a permis aux Hollandais de construire une immense flotte de commerce.[8] La propriété privée va de mise également dans le monde maritime, les bateaux de pêche appartiennent à leur capitaine qui engage un équipage. L’industrie baleinière hollandaise aligne plus de 200 bateaux au XVIIe siècle. En 1670 la mer nourrit le pays, mais également le commerce avec une flotte d’une capacité de tonnage supérieure à celle de l’Espagne, du Portugal, de la France, de l’Angleterre, de l’Écosse et de l’Allemagne réunis.[9] Le pays indifférent aux questions morales dominera la traite négrière dans l’Atlantique. La liberté de conscience guide le commerce et la vie hollandaise. Bien que la religion catholique soit interdite au pays, suite aux Guerres de religion, des églises catholiques aménagées dans des maisons privées sont tolérées à Amsterdam.[10]
Carte d'Europe en 1595
La grande liberté de la Hollande en fait l’héritière de la Ligne de La Hanse qui domina le commerce du nord de l’Europe et la colonisation vers la Mer Baltique au Moyen Âge. À l’aube de la colonisation de l’Amérique, elle domine le commerce maritime européen et l’accès aux ressources naturelles provenant de la Mer Baltique, principalement le bois et la fourrure. La colonisation hollandaise de l’Amérique sera une affaire strictement commerciale pour faire compétition aux fourrures de Nouvelle-France envahissant le marché européen. Aujourd’hui New York, l’ancienne Nouvelle-Hollande, domine l’économie mondiale comme la Hollande dominait le marché européen au début de la mondialisation des marchés. « C’est à Amsterdam que Louis XIV achète le marbre d’Italie pour Versailles. »[11]
Contrairement à la Hollande, les activités économiques de la France dominées par le régime féodal s’emploient à répondre à la demande intérieure comme celle de la fourrure pour habiller la noblesse. À travers les crises le système s’est maintenu par une plus grande centralisation des pouvoirs. En forgeant par le mariage des alliances avec des royaumes rivaux, la France féodale agrandit son royaume et concentre le pouvoir, contrairement à l’Angleterre des Lords. Le rattachement de la Bretagne à la France par le mariage de François 1er représente le fil conducteur à l’établissement du commerce de la fourrure avec l’Amérique. Pour la bourgeoisie aspirant à la noblesse en France, prendre une part du marché de la fourrure hollandais est une occasion d’affaires. La Nouvelle-France sera créée pour officialiser les expériences d’échanges de fourrures des pêcheurs bretons dans le golfe du Saint-Laurent avec les Amérindiens. Dans un régime féodal, le pouvoir royal monopolise toujours le commerce lucratif dans le royaume.
La construction du château de Versailles, par Louis XIV, dit le Roi-Soleil, représente l’apothéose de ce type de système politique concentrant le pouvoir politique et économique aux mains d’un roi de droit divin. À l’époque de la colonisation, le système féodal de la Vieille France travaille à se perpétuer : « Si le luxe est un bon moyen de tenir, de fasciner une société, ce n’est pas un bon moyen de soutenir, ou de promouvoir une économie. »[12] Le maintien de ce système de privilèges ne fait rien pour stimuler l’économie. Les nouvelles méthodes d’agriculture développées en Hollande n’atteignent pas la France. Les profits sont drainés vers la noblesse pour payer son luxe. Les bourgeois qui accumulent du capital l’investissent dans l’achat de titres de noblesse et de domaines seigneuriaux. En France, la noblesse et l’Église sont les grands propriétaires terriens qui subdivisent leurs parcelles de terre pour les louer aux paysans. Le système monétaire est instable, aussi le troc de produits du terroir domine les échanges. Dans cette situation, la paysannerie représente le capital, d’où l’achat de seigneuries.
Dans ce modèle hautement féodal, contrairement à la Hollande, il n’y a pas d’accumulation de capital par la bourgeoisie pour réinvestir dans le développement d’une économie plus manufacturière produisant de biens à grande échelle. La force de la France est sa grande population, aussi l’économie française est tournée vers l’intérieur pour perpétuer un modèle médiéval d’autosuffisance. Le commerce extérieur est famélique en comparaison à celui de la Hollande, seules les villes de Saint-Malo et du Havre disposent d’une flotte commerciale dont la capacité de tonnage est 30 fois inférieure à celle de la Hollande. Suite à la création de la Nouvelle-France, la Hollande crée rapidement la Nouvelle-Hollande pour faire face à la compétition de la France dans le commerce de la fourrure. Disposant des ressources maritimes et manufacturières supérieures à la France, ses comptoirs de commerce sur l’île de Manhattan seront plus prospères.
L’Angleterre au début du XVIIe siècle est dépendante économiquement de la Hollande qui domine le marché mondial. La Hollande « maîtresse du marché mondial monopolisait chez elle les activités productives les plus rémunératrices et confinait à la périphérie ou à la semi-périphérie les productions à forte intensité de main-d’œuvre. »[13] Dans cette organisation de l’économie mondiale, les Anglais sont fournisseurs d’une matière première importante pour les Hollandais ; la laine. Les Anglais ravitaillent les Hollandais en drap de laine blanc, un produit semi-fini, que les Hollandais finalisent par des opérations complexes, comme la teinture pour en doubler la valeur. Comme la laine est le premier produit d’exportation d’Angleterre, l’élite anglaise manœuvre pour mieux en contrôler le marché.
En Angleterre, le système féodal est mieux implanté qu’en Hollande et contrairement à la France, une décentralisation du pouvoir au profit des Lords amorcé suite à la Magna Carta va s’accentuer. Au XIVe siècle, le Grand Conseil réunissant les barons pour conseiller le roi se transforme en Parlement comprenant deux chambres, l’une pour les Lords dont la transmission du poste est héréditaire, l’autre pour les élus des marchands bourgeois. Cette transformation parlementaire coïncide avec le changement de langue d’usage passant du français au profit l’anglais dans l’enceinte du Parlement. La Révolution de Cromwell, de 1640 à 1650, entraine la fin définitive du régime féodal. « Les barons se substituent ensuite au pouvoir royal en réutilisant les institutions royales à leur profit : le Parlement et le Conseil privé du roi devenus le gouvernement de la nation.»[14] À l’avenir le Premier ministre et son cabinet remplacent le roi dans la gouvernance et le Parlement dans la promulgation des lois. Les Lords transformés en grands propriétaires terriens verront peu à peu leur pouvoir diminuer au sein du Parlement britannique au profit du capital des marchands.
Élément important de la transformation de l’Angleterre est le schisme de l’Église anglicane en raison du refus du pape d’accorder le divorce à Henri VIII. Ce dernier craint que ses cousins français réclament la couronne d’Angleterre faute d’héritier mâle, sa femme n’ayant accouché que d’une fille, Elizabeth. Contrairement à l’Angleterre, la royauté en France est une question exclusivement masculine. En 1534, le roi adopte l’Acte de suprématie de l’Église anglicane et devient le chef de cette église. « Henri VIII conserve tout du catholicisme, sauf l’autorité du pape et l’obligation de partager avec lui les fruits de la dime. »[15] Cette approche sur le partage des fruits de la dime s’aligne sur le modèle de réforme protestante ayant pris son essor en 1517. Les divers groupes religieux en émergence profiteront de cette plus grande possibilité d’autofinancement.
À travers cette réorganisation sociale, les grands propriétaires s’accaparent des terres communales, soit les terres confisquées à l’Église catholique. Dans le contexte où l’élevage de mouton pour la production de laine est plus rentable que d’autres produits agricoles, cela entraîne l’expulsion des travailleurs paysans pour faire place à des pâturages. Dans cette réforme conduisant au partage des terres de l’Église catholique, la paysannerie moyenne réussit l’annexion des terres en friches, mais les plus pauvres n’ont qu’à aller ailleurs pour gagner leur vie. La transformation de l’économie anglaise vers le modèle capitaliste pousse des gens hors de leur milieu de vie habituel. « Le modèle de développement anglais implique l’éviction et l’expulsion de populations. »[16] Des groupes religieux recueillent les désœuvrés. Toujours alimentés par les transformations sociales déplaçant la population générant de plus nombreux indigents, des groupes religieux s’organisent pour soutenir les paysans expulsés de leur terre. Dans l’optique de l’épanouissement de leur nouveau mouvement religieux sous de meilleurs cieux, le Nouveau Monde semble l’endroit tout indiqué pour la réalisation de leurs ambitions vertueuses.
Après la décapitation du roi Charles 1er, en 1649 et le retour de son fils aîné sur le trône en 1660, bien que l’Église anglicane demeure la religion officielle, d’autres doctrines développées avec le mouvement protestant peuvent apparaître au grand jour : « Cette brèche dans les dogmes officiels, dans les mécanismes de censure, favorisera l’essor de la vie intellectuelle et scientifique. »[17] À travers ces bouleversements une société de droit s’installe dans le monde britannique. Dans cette démocratie anglaise émergeant des droits et privilèges des Lords, le droit de vote n’est accordé qu’aux propriétaires. Bien que la Chambre des Lords perdra peu à peu de pouvoir, elle influence les réorganisations socio-économiques et les droits britanniques de manière à privilégier l’élite du pays.
Contrairement au modèle capitaliste hollandais, « au lieu de s’y développer une classe de paysans propriétaires actifs sur le marché, ce sont des rapports proprement capitalistes qui s’installent dans l’agriculture elle-même selon le modèle devenu classique : propriétaires fonciers et fermiers capitalistes d’un côté, ouvriers salariés de l’autre. »[18] Dans la campagne anglaise se développe un cadre de relation de classes basé sur le rapport capital-travail. Le rendement agricole augmente en adoptant des techniques importées de Hollande. Une industrie rurale se développe à l’aide du capital des propriétaires fonciers. La monarchie absolue perd son pouvoir au profit d’un parlement contrôlé par la bourgeoisie capitaliste. Des mesures protectionnistes face à la Hollande sont prises par l’Angleterre pour favoriser le développement de son économie. Cette transformation de l’Angleterre a pour conséquences le départ pour l’Amérique de plusieurs milliers de personnes entre 1620 et 1642.[19] Les nombreux départs s’avèrent bénéfiques, car le développement des colonies sur la côte-est de l’Amérique du Nord procure beaucoup de ressources stratégiques permettant à l’Angleterre de rivaliser avec l’économie hollandaise. La colonisation anglaise de l’Amérique sera le fruit de divers groupes religieux à la recherche de terres nouvelles pour l’épanouissement de leur vertueuse idéologie au service d’une élite prospère comme à l’époque romaine où tous honoraient différentes divinités mythiques.
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[1] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p14
[2] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p14
[3] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p19
[4] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p19
[5] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p21
[6] Trois villes à la conquête du monde - Amsterdam, Londres, New-York - Un siècle d'or : 1585-1650, documentaire, Frédéric Wilner, réalisateur - ARTE France, Iliade Productions, Les films de l'Odyssée, Imagina Produções, 2017, 52 min.
[7] Trois villes à la conquête du monde - Amsterdam, Londres, New-York - Un siècle d'or : 1585-1650, documentaire, Frédéric Wilner, réalisateur - ARTE France, Iliade Productions, Les films de l'Odyssée, Imagina Produções, 2017, 52 min.
[8] Trois villes à la conquête du monde - Amsterdam, Londres, New-York - Un siècle d'or : 1585-1650, documentaire, Frédéric Wilner, réalisateur - ARTE France, Iliade Productions, Les films de l'Odyssée, Imagina Produções, 2017, 52 min.
[9] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p26
[10] Trois villes à la conquête du monde - Amsterdam, Londres, New-York - Un siècle d'or : 1585-1650, documentaire, Frédéric Wilner, réalisateur - ARTE France, Iliade Productions, Les films de l'Odyssée, Imagina Produções, 2017, 52 min.
[11] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p26
[12] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p36
[13] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p244
[14] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 2003 p22
[15] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p28
[16] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p246
[17] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p32
[18] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p28
[19] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p246
© Bastien Guérard, 2020
La population des Amériques est supérieure à celle de l’Europe avant l’établissement de relations entre les deux continents. Les estimations vont de 70 à 100 millions pour la population des Amériques contre 60 à 65 millions pour l’Europe. En Amérique du Nord, les plus fortes concentrations de populations se retrouvent sur la Côté Ouest, ce sont les groupes les plus évolués et les mieux organisés et comptant la plus grande variété de langues.[1] Seulement en Amérique du Nord, 221 langues appartenant à 42 familles sont en usage avant l’arrivée des colonisateurs européens.[2]
À l’époque, quatre grandes familles linguistiques dominent l’Amérique du Nord : les Algonquins, les Iroquois, les Sioux et les Inuits. En plus des Algonquins proprement dits, cette famille linguistique comprend les Attikameks, les Micmacs, les Malécites, les Etchemins, les Innus-Montagnais, les Abénakis, les Mohicans, les Ottawas, les Objibwés et les Sauteux qui occupent le territoire des Maritimes aux Rocheuses. Les gens de langue iroquoise comprennent les Cinq Nations de l’État de New York, les Iroquois du Saint-Laurent et les Hurons-Wendat de l’Ontario principalement. Le territoire Inuit commence là où les arbres ne poussent plus au nord du continent. Les Inuits appartiennent au monde de la toundra. Les Sioux sont le peuple des grandes plaines entre les Rocheuses et l’Est du continent. Dans Nord-Est américain, la région où pousse l’érable à sucre, les trois grandes familles de langues présentes sont l’inuit, l’algonquin et l’iroquois.
Nos connaissances historiques des coutumes amérindiennes dans le Nord-Est de l’Amérique découlent principalement des rapports des missionnaires et de quelques-uns des premiers explorateurs ayant la plume plus facile. Donc, les connaissances parvenues des cultures autochtones précolombiennes sont passées par un certain filtre tantôt pudique, tantôt glorieux, en fonction des perceptions de ces missionnaires ou aventuriers étant allés à la rencontre de l’inconnu.
Outre la langue, peu de traces physiques de ces civilisations subsistent en raison de leur modèle social. C’est seulement à la marge de la région de l’érable qu’une civilisation légua des infrastructures dignes de vestiges spectaculaires. Les ruines de la civilisation de Cahokia, dont les vestiges situés à 30 km au nord de Saint-Louis, attirent 250 000 touristes annuellement.[3] Cette culture mississippienne qui s’épanouit de l’an 800 à l’an 1400 est disparue mystérieusement. Comme toutes les autres nations du nord de l’Amérique, peu de traces ont résisté au passage du temps étant donné un mode de vie modifiant peu l’environnement grâce à l’utilisation des éléments naturels disponibles.
Tumulus des Moines, Cahokia, Illinois
Le plus grand tumulus de l’ancienne cité de Cahokia illustre bien la difficulté de connaître les cultures amérindiennes précolombiennes : les sources archéologiques originales ont connu de nombreuses interférences. Aujourd’hui, il se nomme Tumulus des Moines (Monk’s Mound) en raison de la présence sur le site de moines trappistes au début du XIXe siècle. Ils avaient succédé à un poste de traite nommé « La Cantine » datant de l’époque de la Louisiane française. Le poste avait lui-même remplacé une chapelle construite par des missionnaires en 1735 autour de laquelle s’étaient installés des Amérindiens Illinois qui quittèrent les lieux en 1752 suite à des rivalités intertribales.[4] Les bouleversements successifs suite à la découverte de l’Amérique ont contribué à la perte des connaissances historiques du mode de vie des premiers peuplements.
Nous savons que des cultures bien organisées ont permis à de nombreux peuples de s’épanouir en fonction des ressources disponibles localement ainsi que d’autres ressources acquissent grâce au commerce. Les peuples sont principalement nomades ou semi-sédentaires, c’est-à-dire qu’ils s’installent pour une douzaine d’années sur un site avant de se déplacer à un endroit disposant de plus de ressources à proximité. L’épuisement des terres agricoles, la disponibilité du gibier et l’accès au bois de chauffage poussent les gens à déménager le village après quelques années vers un endroit aux ressources plus abondantes. À l’époque, l’abondance des ressources de la nature favorise le développement d’une culture vivant en harmonie avec son milieu ; certaines tribus vivent dans des huttes de roseaux, d’autres en écorces ou encore en peau de bisons. La nature « fixait les vraies frontières, elle forgeait l’âme et la culture de chaque peuple, de chaque individu, et qui changeait d’environnement changeait forcément de culture. »[5] Dans ce cadre, à travers l’Amérique, une spiritualité humaine se développe pour expliquer cette relation avec son milieu.
La spiritualité humaine est fondamentale à l’expérience de la vie. Elle tend à donner un sens à la vie et à la mort, ainsi qu’à l’aventure humaine dans les cycles de la nature. Le développement d’une spiritualité commune sert d’ancrage à tous les peuples dans leur cohésion sociale. La confiance de la population envers le système social en dépend. L’univers spirituel religieux est le socle de toutes sociétés sur lequel s’établissent les rapports sociaux. Il est l’élément sur lequel se bâtissent les rapports d’échange de savoirs et de produits entre communautés. La création d’univers religieux dictant les relations aux autres a connu divers chemins dans les communautés humaines à travers l’histoire des peuples. L’expansion des croyances spirituelles dépend de nombreux facteurs difficiles à encadrer. Pour des raisons particulières, l’effondrement de l’Empire romain a conduit à l’émergence de la chrétienté, tout comme la religion musulmane prit de l’expansion à travers la route de la soie et la route des épices. Chacune d’elles prit de l’expansion à travers des raisons circonstancielles. Pour comprendre l’univers religieux des Amériques, il est important de saisir que la spiritualité des Amérindiens n’a pas conduit à l’établissement de dogmes religieux oppressifs comme dans les vieux continents.
Les Amérindiens attribuent une réalité spirituelle à tout ce qui les entoure, rivières, terres, rochers, ciel. Ils baignent dans ce monde spirituel s’exprimant librement dans la vie quotidienne à travers des fêtes, des festins, des danses, des rituels ou des récits mythiques. Une offrande peut consister simplement à placer un morceau de tabac dans la fente d’un rocher afin d’obtenir un soutien pour une expédition en rivière. « Missionnaires et voyageurs ont d’abord grandement sous-estimé l’importance de la religion dans les sociétés amérindiennes parce qu’ils n’y trouvaient ni credo officiel, ni lieux de culte, ni Église institutionnelle, ni clergé. »[6] Il en sera de même dans la perception de l’appropriation du territoire pour les Européens. À leurs yeux, comme il n’y avait pas de temple ou de monument de pierre, ce territoire sauvage était inexploité. Pourtant des sociétés riches de cultures et de connaissances étaient présentes. À l’image de la relation avec les fruits et légumes de l’Amérique, les Européens, imbus de leur technologie supérieure, ne recherchent pas l’acquisition de connaissances, mais de la marchandise pour le commerce. Seuls des savoirs utiles à l’établissement des colons seront repris.
Dans les forêts denses du nord-est de l’Amérique, pour s’ouvrir des aires d’agriculture, les autochtones commençaient par arracher l’écorce à la base des arbres dans une zone. Les arbres n’ayant plus cet élément protecteur perdaient leurs feuilles et mourraient. Il ne restait plus qu’à cultiver entre les troncs morts. Après un certain temps, les ressources de la région, comme le gibier, ne pouvant plus subvenir aux besoins du village, ils déménageaient laissant la forêt se régénérer avec sa faune et sa flore. Les premiers colons reprirent cette technique pour déboiser la forêt dense, mais ne quittaient pas les lieux.[7] Les richesses naturelles de l’Amérique du Nord ne pouvant plus se régénérer, ce changement d’approche marquera l’anéantissant du mode de vie ancestrale des autochtones.
Avant l’arrivée des Européens, l’Amérique du Nord ne vit pas dans un monde de paix et d’harmonie avec la nature. Des conflits entre nations pour l’appropriation de territoires de chasse ou de routes commerciales ont lieu comme ailleurs dans le monde. « Les palissades entourant les villages iroquois, abénakis et mohicans font leur apparition au XVe siècle. »[8] Le commerce de la fourrure donnant accès aux technologies européennes plus performantes exacerbe les tensions préexistantes entre tribus. Une course à la technologie bonifiant l’armement pour la protection de leurs territoires et de leurs routes commerciales conduit à une féroce compétition entre nations autochtones. L’organisation sociale sera bouleversée par l’arrivée des technologies européennes.
Dans le Nord-Est de l’Amérique, les Amérindiens vivent généralement dans des maisons longues regroupant une quarantaine de personnes. Chaque maison élit un chef de la paix, nommé sachem, qui rencontre les autres sachems des maisons du village. Puis les sachems du village désignent un sachem qui rencontre les sachems des autres villages, ainsi de suite. Les nations iroquoises avaient constitué une confédération de plusieurs tribus. Le système est structuré, un sachem de village ne peut pas intervenir dans les affaires d’un clan autre que le sien dans le village qu’il représente. L’exécution des décisions prises aux divers niveaux ne repose pas sur l’obligation, mais sur la bonne volonté de tout un chacun. « Le système politique huron et iroquoien en général constitue un exemple particulièrement intéressant de démocratie réelle. »[9] La bienveillance décrit le mieux l’esprit guidant les relations sociales dans les communautés autochtones. Toutes décisions communautaires étant prises dans cet esprit de bienveillance, cette orientation des politiques recueille une grande acceptabilité sociale rendant l’application des choix d’un conseil plus aisée dans la communauté. Aucune personne n’est contrainte à respecter les décisions.
Le prestige et l’autorité d’une personne ne sont pas héréditaires, mais se gagnent à travers son comportement social et son courage : « c’était son habilité à la chasse, ses talents d’orateurs, et aussi ses qualités de cœur, d’indulgence, la politesse, l’attention bienveillante dont il entourait les siens, la compréhension qu’il avait des autres, le respect qu’il portait aux aînés. »[10] En gagnant le respect de ses pairs, la personne augmente son influence pour ainsi fonder son autorité. Les gens des communautés amérindiennes vivent librement en fonction de leur aspiration sans autre contrainte que celle de la nature. Le Huron Adario en soulignant « qu’il n’y a chez les siens ni rois, ni lois, ni prêtres » [11] démontre le fort contraste entre la société amérindienne et les institutions régissant l’Ancien Monde sur les autres continents. Il y avait certains tabous et certaines coutumes régissant les sociétés autochtones, mais au-delà de ses balises, les gens vivaient sans contrainte dans un esprit de liberté et de partage.
Chacun contrôle son destin à moins que par les aléas de la guerre vous vous retrouviez aux mains de l’ennemi. Dans ce cas vous pouvez devenir un esclave ou même mourir sous la torture avant d’être mangé. La torture permet aux guerriers vaillants de démontrer leur bravoure en résistant aux sévices subis. « La torture et le cannibalisme étaient des marques de respect. »[12] Seuls, les grands guerriers auront l’honneur d’être mangés par leurs ennemis dans l’idée de s’approprier leurs pouvoirs et leur force. Notons également que dans ce monde de bienveillance, le prisonnier réduit à l’esclavage pouvait être « appelé à remplacer un mari, un frère, un fils, disparu ou à remplir diverses fonctions au sein de la tribu. »[13] Il était possible pour un prisonnier devenu esclave d’éventuellement être considéré comme membre du clan.
La propriété privée se limite à certains outils, aux armes et aux vêtements personnels. Les abondantes ressources de l’environnement étaient disponibles à ceux qui savaient les exploiter par la chasse, la pêche, l’agriculture ou par la confection d’objets. Un bon chasseur obtient du prestige en partageant les fruits de sa chasse. Selon le Huron Adario, « dans sa société les pauvres ont un droit naturel sur le superflu des riches. »[14] Bien que les produits du travail appartiennent à celui qui les a produits, la philosophie amérindienne entraîne une répartition de la richesse. « Pour préserver les inégalités, un code de générosité, d’hospitalité et d’échange cérémonial assure la circulation et le partage des biens produits sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours à un marché. »[15] L’échange repose sur le don. Les relations sociales se basent sur le don qui a une signification symbolique et religieuse où « investi dans la personne du donateur et dans la chose donnée, l’esprit du don fait obligation de rendre. »[16] La personne ayant reçu un don a le devoir de rendre au donateur sous une autre forme l’esprit du don pour boucler la boucle, autrement « le défaut de réciprocité donne à la personne lésée un pouvoir relevant de la sorcellerie. »[17] Cette philosophie des relations sociales assure une répartition de la richesse entre les membres d’une tribu tout en renforçant la cohésion sociale.
Le partage des tâches chez les autochtones est codifié selon le sexe. Les femmes s’acquittent des tâches reliées à la vie, tandis que les hommes font celles reliées à la mort. « Ainsi, les femmes sèment, cultivent, cuisinent, cousent, entretiennent les maisons, font la cueillette et éduquent les enfants alors que les hommes abattent les arbres, pêchent, chassent, commercent et construisent les canots, les maisons et les fortifications, et font la guerre. »[18] Bien qu’il n’y ait pas de lois et de règlements, la vie est codifiée par les traditions et les coutumes ancestrales s’harmonisant avec une nature humaine bienveillante.
Les sociétés iroquoises comme celles des Hurons et des Mohawks sont matrilinéaires. Les clans reposent sur une lignée descendant d’une même ancêtre. Les filles suivent leur mère poursuivant ainsi le lignage avec leur conjoint qui rejoint le clan. « Dans ces sociétés « américaines », les femmes, comme les hommes, étaient maîtresses de leur corps et nul ne songeait à leur imposer un mari comme en Europe. »[19] La liberté sexuelle des autochtones était en opposition à ce que la morale chrétienne préconisait. La sexualité n’est pas péché, la virginité n’a pas de valeur : « Les filles, maîtresses de leurs corps, se donnaient à qui elles voulaient bien se donner, quand et comme bon leur semble. »[20] Dès la puberté les garçons et les filles s’adonnent à des activités sexuelles diverses et non exclusives. Dans certaines tribus les femmes choisissent leur partenaire à l’occasion d’une cérémonie de l’allumette ou du collier. La femme place le collier autour du coup du partenaire souhaité, et, s’il l’accepte, la relation est établie. Le collier peut être retiré ou remis par l’un ou l’autre des partenaires quand bon lui semble. Les observateurs de l’époque remarquaient que la jalousie ne semblait pas être un sentiment très présent dans la société amérindienne.
Une vie d’efforts physiques intenses ne favorise pas la fécondité des filles. Certaines doivent réduire leur activité physique pour tomber enceintes. « Quand une jeune fille devient enceinte, elle choisit parmi ses amants celui qu’elle désire épouser. »[21] Chez les Hurons, le mariage se fait suite à un consentement mutuel et après la naissance de l’enfant le couple devient monogame.
La sexualité prenait place même au niveau des rituels collectifs. La condamnation de ces activités sexuelles par les missionnaires a permis la transmission de connaissances sur ses pratiques traditionnelles comme celle nommée l’andacouandet : « Dans ce rituel, la jeunesse célibataire venait faire l’amour près du malade pour le réconforter. »[22] Le rituel est codifié, les participants choisissent leur partenaire et deux sachems à chaque bout du logis chantent et jouent du tambour tout au long de la cérémonie. Tout le contraire d’une cérémonie religieuse chrétienne basé sur le repentir et la culpabilité.
La sexualité est perçue comme une occasion d’échanger des connaissances et de s’ouvrir aux autres. « En faisant l’amour avec les Blancs, comme elles le font avec les vieillards de leur propre village, les Indiennes recevaient d’eux certains pouvoirs qu’elles pourraient transmettre ensuite à leur maris et amants, et du coup, aux générations futures. »[23] Le savoir, c’est le pouvoir. La démocratisation des connaissances permet le développement d’une société plus égalitaire. La grande liberté sexuelle s’harmonise avec l’esprit de la société de bienveillance partageant ses connaissances. L’ouverture bienveillante de l’esprit offre une plus grande accessibilité aux savoirs, aux idées de technologies accessibles, facilement diffusables, permettant d’acquérir prestige et reconnaissance auprès de tous. La liberté d’esprit des autochtones a conduit à l’établissement d’un monde tolérant recherchant l’harmonie avec son milieu.
Comme la sexualité, l’éducation des enfants se fait sans contrainte avec un profond respect pour ceux-ci. « Autant les Européens ont été scandalisés de voir comment les Hurons élevaient sans contraintes leurs enfants, autant les Hurons ont été horrifiés d’apprendre que les Européens frappaient, giflaient et fouettaient leurs enfants. »[24] Cette différence d’approche éducative révèle le profond fossé séparant la conception de l’organisation sociale entre l’Amérique et l’Europe.
Chez les Amérindiens le contrat social respectueux, bienveillant, renforce la cohésion sociale. Lorsque tous adhérent librement aux mêmes principes de vie commune, le respect du contrat social nécessite un contrôle social minimal. « Van der Donck écrivait que les Hollandais qui habitaient et commerçaient avec les Indiens étaient tout étonnés de voir comment de telles sociétés pouvaient se maintenir sans institutions judiciaires. »[25] Bien que les Européens détiennent un système policier, système absent chez les Amérindiens, les crimes étaient plus fréquents dans les communautés européennes. « En Huronie, à l’exception des cas de sorcellerie, on ne punit jamais le criminel, on exige plutôt réparation pour le crime »[26] Dans l’esprit amérindien c’est le crime que l’on punit, non pas le criminel. Cela évite la stigmatisation des personnes, un moyen efficace pour éviter la récidive.
La vision de la torture de part et d’autre de l’Atlantique révèle également les différences fondamentales entre les conceptions du monde. Sur les deux continents, la torture est pratiquée, mais pas pour les mêmes raisons sociales. En Europe, la torture est un rituel au service des institutions de gouvernance pour fonder leur pouvoir par la crainte. Elle vise à punir tout contrevenant à l’ordre établi par un roi de droit divin. La torture est un instrument de répression sociale utilisé pour servir d’exemple à des fins de soumission des masses populaires. En Amérique, les Amérindiens font partie d’une même communauté solidaire, la torture et le cannibalisme ne s’appliquent qu’à l’ennemi. La torture offre la possibilité de démontrer sa vaillance dans cette société de bienveillance. Braver stoïquement la torture est signe de grand courage et apporte le respect. « Chez les Amérindiens les rituels cannibales manifestaient le désir de s’accaparer la force et le courage de l’autre pour mieux le combattre. »[27] La torture chez les autochtones sert à acquérir le pouvoir des ennemis extérieurs, tandis qu’en Europe la torture est un instrument de répression visant autant l’ennemi intérieur qu’extérieur récalcitrant au pouvoir souverain de l’élite.
Dans le monde autochtone d’Amérique du Nord, il n’y a pas de disparité dans la richesse, le chef sachem n’est pas plus riche que les autres. En distribuant tous ses biens superflus, sa grande bienveillance a fait de lui un chef. Les Amérindiens ayant visité l’Europe à la même époque furent surpris par les grandes disparités sociales et la concentration de la richesse chez les Européens.[28] Il n’y avait pas de pauvres ou de classes sociales chez les Amérindiens, car acquérir du prestige ne se faisait pas par l’accumulation de richesses. Le rapport à l’autorité est différent entre les autochtones. Une personne ne peut avoir d’autorité sur une autre. Tous doivent être responsables de leur de vie, de leur milieu de vie et d’en préserver l’harmonie pour en bénéficier pleinement.
L’anthropologue abénakise, Nicole O’Bomsawin explique dans le documentaire l’Empreinte que les autochtones sont élevés pour devenir de vrais êtres humains. Cela signifie pour un autochtone le respect des gens qui l’entourent, des aînés, de ses parents. Une fois cette base acquise le reste vient de soi, comme le respect de la nature. Car le respect dans la crainte n’est pas du respect. Le respect se fait en prenant conscience de notre responsabilité face à notre environnement. Il faut apprendre à respecter la valeur réelle des choses composant notre milieu de vie.[29] Cet environnement qui nous nourrit, nous protège et dont nous faisons partie, nous enseigne à vivre en harmonie avec la nature. Comme pour l’eau d’érable s’écoulant d’une branche cassée, la nature nous enseigne si nous prenons le temps de l’observer. Selon l’historien Huron-Wendat, Georges Sioui, la pensée amérindienne est circulaire et matricentrée, elle se base sur l’observation des cycles de la nature et des valeurs maternelles la rendant attentive à tout ce qui favorise l’harmonie conduisant à l’épanouissement de la vie.[30]
L’arrivée des Européens bascule la société autochtone dans le patriarcat sous l’impulsion de l’Église chrétienne. À l’opposé, l’image du bon sauvage vivant librement en harmonie avec la nature sera à l’origine des Lumières et des révolutions démocratiques en Occident. Les colons français, voyageurs, coureurs des bois et missionnaires ayant le plus côtoyé les sociétés amérindiennes seront la courroie de transmission de cette image. Alors qu’autrefois les Amérindiens vivaient dans une société matriarcale, aujourd’hui, l’Amérique du Nord vit dans une société patriarcale. À l’image de la conception autochtone du rôle social attribué par le sexe, ou la femme a des tâches tournées vers la vie et l’homme des tâches tournées vers la mort, la société nord-américaine semble plus destructrice de la nature supportant la vie.
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[1] Germain, Georges-Hébert,Les coureurs des bois, saga des indiens blancs, Edition Libre Expression, 2003 p23
[2] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p56
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cahokia En ligne 30 juin 2020
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Monk%27s_Mound En ligne 30 juin 2020
[5] Germain, Georges-Hébert,Les coureurs des bois, saga des indiens blancs, Edition Libre Expression, 2003 p22
[6] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p82
[7] Côté, L., Tardivel, L., Vaugeois, D., L’Indien généreux, Boréal, 1992 p37
[8] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p38
[9] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p73
[10] Germain, Georges-Hébert,Les coureurs des bois, saga des indiens blancs, Edition Libre Expression, 2003 p18
[11] L.Côté, L.Tardivel, D.Vaugeois, L’indien généreux, ce que le monde doit aux Amériques, Boréal, 1992 p. 150
[12] Germain, Georges-Hébert, Les coureurs des bois – La saga des indiens blancs, Éditions Libre Expression, 2003, p53
[13] Germain, Georges-Hébert, Les coureurs des bois – La saga des indiens blancs, Éditions Libre Expression, 2003, p52
[14] L.Côté, L.Tardivel, D.Vaugeois, L’indien généreux, ce que le monde doit aux Amériques, Boréal, 1992 p. 150
[15] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p64
[16] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p65
[17] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p65
[18] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p61
[19] L.Côté, L.Tardivel, D.Vaugeois, L’indien généreux, ce que le monde doit aux Amériques, Boréal, 1992 p. 152
[20] Germain, Georges-Hébert, Les coureurs des bois, saga des indiens blancs, Edition Libre Expression, 2003 p18
[21] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p71
[22] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p82
[23] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014p205
[24] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p71
[25] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p73
[26] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p77
[27] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p77
[28] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
[29] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
[30] Poliquin, Carole & Dubuc, Yvan, L’empreinte, ISCA films, 2014, 85min
© Bastien Guérard, 2020
La prolifération des épidémies générées par l’unification du commerce mondial aura un impact dévastateur sur les habitants du Nouveau Monde. Le système immunitaire des Amérindiens n’a pas les anticorps pour se défendre contre les nouveaux microbes importés des vieux continents. Les vagues successives d’épidémies décimeront 95 % des autochtones.
Plusieurs facteurs tendent à expliquer la faible résistance des Amérindiens aux microbes. L’isolement des Amérindiens depuis la formation du détroit de Béring est le plus évident. Les faibles contacts entre l’Eurasie et l’Amérique située en zone froide auront empêché la contamination microbienne au cours des pandémies successives. Une explication simple à comprendre pour tous, qui ne remet aucunement en cause le modèle social des vieux continents qui a pourtant joué un rôle dans la propagation des épidémies.
En approfondissant la question, entre en jeu le type de mode de vie pratiqué dans les Amériques qui soulève un facteur intéressant par rapport à la virulence des épidémies. Contrairement aux vieux continents, les Amérindiens pratiquent peu l’élevage, un facteur de propagation de microbes. [1]La vie à proximité des animaux favorise l’échange de microbes, car cela augmente leurs chances de sauter la barrière des espèces. Ainsi, l’absence d’élevage a un effet positif sur la salubrité des milieux de vie en Amérique. De plus, l’hygiène corporelle est plus développée chez les autochtones que chez les Européens. Le mode de vie des autochtones exigeait moins de résistance envers les microbes, facilitant ainsi la propagation d’épidémies aux contacts des Européens vivant avec une plus vaste flore microbienne.
L’apparition de nouveaux virus est favorisée par la concentration de population humaine vivant avec des animaux, car cela multiple l’échange de microbes entre les espèces. La Chine a toujours été propice au développement de nouveaux virus, comme le SRAS ou le H1N1. Il n’est pas étonnant qu’en 2019 le Coronavirus soit d’abord apparu en Chine. « Près de 86 % des personnes contaminées habitent Wuhan ou bien se sont rendues dans la ville où le virus est apparu sur un marché où étaient vendus des animaux vivants. »[2] Depuis des temps immémoriaux, la Chine favorise la promiscuité de nouveaux agents pathogènes pour l’humain avec une population dense consommant la viande d’une grande variété d’animaux d’élevage ou sauvages vendus vivants dans les marchés. La peste au Moyen Âge qui décima le tiers de la population de l’Europe provenait de Chine. Toutefois, la grippe espagnole provenait des élevages du Midwest des États-Unis : elle fut propagée par les soldats américains venus au secours de l’Europe en guerre en 1917. Elle engendra deux fois plus de morts que la Première guerre mondiale.
Les explorateurs européens furent les catalyseurs de l’unification microbienne de la planète. L’exploration du fleuve Saint-Laurent par Jacques Cartier en 1534 entraîne l’année suivante une épidémie dans le village iroquoien de Stadacona situé dans la région de Québec. Paradoxalement, les habitants du village montreront aux Français comment combattre le scorbut pendant l’hiver, sauvant ainsi Cartier et son équipage installés à Cap-Rouge. Malgré cette aide des Amérindiens, la colonie de Cap-Rouge est abandonnée en 1542. Le choc bactérien doublé du choc culturel aurait contribué à la détérioration des relations avec les autochtones. Après le passage de Cartier, les Iroquois du Saint-Laurent disparaissent pour des raisons encore incertaines.[3] Un scénario commun aux Amérindiens d’Amérique du Nord semble le plus probable pour expliquer la disparition des Iroquois du Saint-Laurent : les tribus affaiblies par les maladies deviennent des proies faciles pour les tribus ennemies. Ainsi elles sont anéanties par la guerre qui s’ensuit, les survivants fuyant vers d’autres nations amies.
Lorsque Champlain reviendra dans le Saint-Laurent en 1608, la population iroquoise de la région a totalement disparu. C’est dans cette brèche démographique que les alliés autochtones des Français les inviteront à s’installer. Les puritains du Mayflower profitèrent de la même situation à leur arrivée à Plymouth en 1620. Une épidémie avait frappé les populations autochtones de la région de 1617 à 1619. « D’une intensité variable selon les régions, l’épidémie avait complètement dépeuplé la région de Patuxet (Plymouth). Les Narraganetts profitèrent de l’affaiblissement des Pokanokets pour les attaquer et les refouler. Ceux-ci s’allièrent alors aux arrivants européens dans l’espoir d’en faire des alliées contre leurs ennemis traditionnels. » [4] L’ensemble des Amériques sera touché par les épidémies, ce qui facilitera la prise de contrôle du territoire pour les Européens. Pizarro a aisément conquis l’Empire inca, car la moitié de sa population avait été décimée par les maladies avant son arrivée. La désorganisation sociale engendrée par les épidémies facilite la prise de contrôle de territoires par des forces étrangères partout en Amérique. [5]
Les épidémies provoquées par le développement des échanges entre l’Europe et l’Amérique causent un dépeuplement du territoire facilitant l’installation des colons. L’arrivée de nouveaux colons augmente les possibilités d’échanges, donc la fréquence et la virulence des épidémies. Une boucle de rétroaction favorisant les colons se met en place : « Il semble y avoir un lien entre la multiplication des épidémies et la croissance rapide de la population de souche européenne sur la côte atlantique, en Nouvelle-Angleterre particulièrement. »[6] Pour les autochtones la boucle de rétroaction est négative. Voici le scénario commun aux Amérindiens : « une première épidémie commence par affaiblir la population d’une région ; malade, celle-ci peut difficilement poursuivre ses activités productives, et les survivants, mal nourris, deviennent des proies faciles lors d’épidémies subséquentes. »[7] Une pandémie touchera le nord-est de l’Amérique à partir de 1634, affectant les Iroquois, puis les Montagnais, les Algonquins et les Hurons en 1635.[8] La dévastation des populations est colossale. Dans les Relations des Jésuites de l’époque, le Père Vimont signale « que là où l’on voyait il y a huit ans, quatre-vingts et cent cabanes, à peine en voit-on maintenant cinq ou six. »[9] Les missionnaires sont également un facteur de propagation de maladie en s’enfonçant toujours plus loin dans les nouveaux territoires pour propager la parole de Dieu.
Bien que les Amérindiens fassent le lien entre le commerce et la maladie, l’attrait du commerce pour l’accès aux nouvelles technologies est irrésistible pour les autochtones. Mais pour les missionnaires catholiques, l’intérêt des Amérindiens pour le produit imaginaire proposé par la foi chrétienne est très différent. Certains missionnaires accusés de sorcellerie seront mis à mort, comme les pères Isaac Jogues et Jean La Lande chez les Iroquois lors d’épidémie de 1646-47. La pratique des missionnaires baptisant les gens malades pour sauver leur âme ne joue pas en faveur de ces derniers. Comme la plupart mouraient par la suite, la population accusait le missionnaire de sorcellerie.[10] Ainsi les missionnaires, par un trop grand usage d’eau bénite, se sont placés dans une situation diablement périlleuse.
En emportant trop rapidement vers la mort les personnes actives, les épidémies affectent également la transmission du savoir entre les générations. Cette transmission est essentielle à l’exploitation des ressources du milieu. En plus, les ressources animales se réduisent, affectées également par des épizooties. Peu d’information est disponible sur l’impact du brassage international des microbes sur la faune, mais des témoignages existent. Dans la partie nord des Plaines et des Grands Lacs pendant l’hiver 1781-82 « une épidémie de variole y a décimé plus de la moitié des populations amérindiennes, en même temps, une épizootie a affecté les bisons, les caribous, les orignaux, les cygnes, les oies les canards et les goélands. Les animaux mouraient autant que les hommes. » [11] Le grand brassage microbien international représente un facteur important dans l’effondrement des sociétés amérindiennes. L’arrivée des Européens a entraîné la perte de leurs milieux de vie traditionnels et de leurs connaissances ancestrales.
Dans le contexte de la perte des ressources naturelles les soutenant, les Amérindiens doivent réinventer leur mode de vie. La disparition de la faune leur impose la pratique de l’élevage comme sur les vieux continents, ce qui est contraire à leur conception autochtone de la vie empreinte de liberté. L’arrivée des colonisateurs européens déséquilibre les sociétés autochtones qui ne sauront pas s’en remettre, contrairement à la colonisation sur les vieux continents où la population ne fut pas décimée par la maladie. De la même façon que les tribus affaiblies par les maladies devenaient des proies faciles pour les tribus rivales, l’ensemble des Amériques affaibli par les maladies devient une proie facile pour des colons qui proviendront des autres continents.
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[1] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p96
[2]https://www.sciencesetavenir.fr/sante/coronavirus-premier-bilan-precis-de-la-maladie_141702En ligne 30 juin 2020
[3] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014p71
[4] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p97
[5] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p97
[6] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p103
[7] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p99
[8] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p97
[9] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p99
[10] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p241
[11] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991 p103
© Bastien Guérard, 2020