Préface

Selon Napoléon, l’histoire du monde est une série de mensonges convenus.  La découverte de l’Amérique par Christophe Colomb démontre que l’histoire officielle sert à nourrir l’imaginaire collectif nécessaire à la cohésion sociale.  En plus des autochtones présents en Amérique qui avaient découvert le continent bien avant lui, nous savons tous que les Vikings établirent une colonie à Terre-Neuve autour de l’an mille.  Toutefois, l’année 1492 marque le début de relation commerciale permanente à grande échelle entre l’Amérique et les vieux continents. Dans les faits, l’élite dominante met l’emphase sur l’histoire qui convient à son maintien.

La découverte du Nouveau Monde créa une peuplade où sa nouvelle élite propose une version de l’histoire convenant à son mythe fondateur.   La traversée de l’Atlantique demeure un exploit renforçant ce mythe fondateur, car les autochtones présents étaient venus à pied par le détroit de Béring asséché lors de la dernière période glaciaire, il y a 12 000 ans.  L’histoire officielle ne clame pas que d’autres humains avaient réussi l’exploit de la traversée de l’Atlantique, il y a plus de 20 000 ans.  Ces Indiens blancs d’Amérique étaient toujours présents lors de l’époque coloniale.  Toussaint Charbonneau vivait parmi eux lorsque Lewis et Clark le recrutèrent comme guide pour trouver un passage à travers les Rocheuses vers l’Océan Pacifique en 1804 : « Le sergent Gass parle d’enfants aux cheveux blonds et le soldat Whitehouse écrit qu’il n’a jamais vu d’indien à la peau si claire ». [1]   Aujourd’hui, des preuves génétiques confirment les témoignages de l’expédition de Lewis et Clark. Les Ojibwés et les Sioux conservent des traces génétiques de cette migration précolombienne en provenance d’Europe. [2]

La science nous apporte des réponses à de nombreuses questions.  Toutefois, les mythes fondateurs sont plus simples à transmettre par leur simplification.  Ces mythes servent à nous encadrer dans une réalité fabuleuse, mais frauduleuse. Les biais que la science peut amener à cette construction sociale servant l’élite seront vivement combattus, ignorés ou tablettés.

Un autre biais possible sur l’exploit de Colomb viendrait de l’usage de cartes chinoises par ce dernier : Gavin Menzies, dans son livre intitulé 1421, prétend que les Chinois cartographièrent la planète entre 1421 et 1423 et que tous les explorateurs européens en ont bénéficié. [3] Un changement de régime politique au retour de la flotte d’exploration chinoise conduit à la disparition des découvertes de Zheng He.  Des cartes de ses expéditions auraient abouti en Europe par l’entremise de Niccolo da Conti, un marchand vénitien qui aurait pris contact avec la flotte chinoise à Calcutta, avec laquelle il se serait rendu à Java où il y passa neuf mois.[4]  Ce champ de recherche historique ouvert par Gavin Menzies, ancien commandant de sous-marin de la Royal Navy britannique, ne semble pas avoir suscité plus de curiosité.  Pourtant, les archives du Vatican contiendraient des preuves de ces événements dans un rapport au pape Eugène IV.[5]   Cela affecterait-il trop nos croyances ? Notre vision de la construction de la mondialisation serait mise en doute.

Il y a des histoires connues, mais moins popularisées mondialement. Comme celle des Bretons et des Basques venant pêcher dans le golfe du Saint-Laurent avant la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb.  En 1514, une entente entre les habitants de l’île de Bréhat, en Bretagne, et les moines de l’abbaye de Beauport fait référence à la pêche à la morue à Terre-Neuve ayant cours depuis 60 ans. Donc depuis 1454, soit 38 ans avant l’arrivée de Colomb en Amérique.[6]  

Les premiers contacts établis entre l’Europe et l’Amérique dans le nord-est du nouveau continent furent plus cordiaux que ceux officiellement établis dans les Antilles.  Les autochtones de la région commerçaient avec les pêcheurs européens : technologiquement moins avancés, les autochtones s’intéressaient à l’amélioration de leur existence par l’apport de nouveaux types d’outils en fer. L’échange de haches et de chaudrons contre de la fourrure donne naissance à une relation commerciale entre des gens d’Europe et d’Amérique : une relation d’échange s’établit contribuant à améliorer l’activité de subsistance de chacun. Contrairement à l’histoire officielle qui se déroule plus au Sud, au Nord une relation commerciale plus respectueuse se développe. « D’après l’historien Jeanen, il y avait tant de descendants de pêcheurs malouins et d’Indiennes chez les Penobscots, ou les MicsMacs, au XVIe siècle qu’ils ont été surnommés les Malécites. »[7] 

Au Sud, la découverte officielle de l’Amérique repose sur des intérêts commerciaux déjà encadrés par l’élite des vieux continents. En 1453, la conquête de Constantinople par l’Empire ottoman pousse les Européens à rechercher de nouvelles routes pour le commerce des épices.  L’or, servant de monnaie d’échange, devient rare en Europe, car « les intermédiaires entre la Chine, les Indes et l’Arabie deviennent d’une insatiable voracité »[8]. La recherche d’une nouvelle route pour l’accès aux épices et à la soie devient essentielle. Les Portugais, avec Vasco de Gama, contournent l’Afrique pour arriver en Inde. L’histoire devient fabuleuse lorsque l’Italien Christophe Colomb découvre des Indiens en Amérique pour le compte des Espagnols !

L’établissement de nouvelles routes commerciales océaniques fiables libère l’Europe de sa dépendance envers la Route de la soie vers la Chine ou la Route des épices vers l’Inde. Les grandes découvertes placent les nations européennes à la tête des premiers empires commerciaux mondiaux s’appuyant sur de grandes routes océaniques. L’abondance d’or et d’argent rapportés d’Amérique par les Espagnols dynamise le commerce international.

En plus du côté épicé, il y a également un côté sucré à l’histoire de l’Amérique.  Le sucre blanc commence à faire son entrée sur les tables des nobles et des bourgeois d’Europe à la Renaissance : époque qui prend fin avec la découverte de l’Amérique.  La canne à sucre a ses origines dans le Sud-est asiatique et les îles du Pacifique. La culture de la canne à sucre prend son expansion en Inde où une méthode de raffinage pour purifier et cristalliser le produit en sucre blanc y est développée vers l’an 350 sous la dynastie des Gupta.[9] Dans une Europe dont la nordicité empêche la culture de la canne à sucre, la demande croissante de cette denrée favorise la recherche de sites propices à cette culture. Cette situation contribue à l’établissement de colonies européennes en Amérique équatoriale pour la production de sucre blanc.

L’avancement de la technologie permet de reproduire un même modèle d’exploitation de l’environnement dans divers endroits sur la planète. Depuis cette époque des grandes découvertes, notre système économique s’est orienté vers l’accumulation de capital financier servant le maintien au pouvoir d’une nouvelle élite bourgeoise. À l’aide du capital, celle-ci développe la technologie pour mieux exploiter l’environnement pour le maintien de son pouvoir. 

Dans les Antilles la production de sucre blanc conduit à l’anéantissement des autochtones, à l’établissement de la traite des esclaves avec l’Afrique et à l’exploitation industrielle des humains, de l’environnement au nom de l’accumulation de richesses pour le maintien du pouvoir. À l’aide de nouvelles technologies, sous l’auspice d’une mission civilisatrice de christianisation, un système contre nature se développe en Amérique.

La production de sucre influence également l’établissement de liens commerciaux en Amérique du Nord. L’Europe n’y aura d’intérêt que pour le commerce de la fourrure. Par contre pour les autochtones, l’échange de fourrures contre des chaudrons de fer révolutionne le raffinement de l’eau d’érable.[10] Chaque printemps dans le Nord-Est de l’Amérique les autochtones exploitent l’eau d’érable.  L’eau d’érable est réduite en sirop par diverses techniques.  Toutefois, l’introduction du chaudron de fer permet la transformation de l’eau d’érable de manière plus efficace pour en faire du sucre d’érable. Ainsi, la pêche, la fourrure et l’eau d’érable conduisent à l’établissement d’une relation plus fraternelle entre les autochtones d’Amérique et des gens du Royaume de France.

Pour les autochtones de la côte Atlantique, l’accès à des produits européens technologiquement plus avancés leur permet d’en faire le commerce avec d’autres nations autochtones au cœur du continent.  Comme en témoigne l’exploitation de l’eau d’érable, les autochtones adaptent les nouveaux outils pour l’exploitation de leur environnement en fonction de leur mode de vie.

L’avancement technique a conduit à la mondialisation des échanges commerciaux. L’exploitation de la canne à sucre dans les Antilles marque l’instauration de l’industrie du sucre blanc, qui aujourd’hui fait la fortune des dentistes et des diététistes, avant d’avoir fait la fortune des esclavagistes.  L’époque des grandes découvertes maritimes et scientifiques a conduit à la mise en place de l’économie mondiale actuelle. 

De ce nouveau modèle économique créé suite à la découverte du Nouveau Monde, les États-Unis symbolisent le succès de la liberté du commerce mondial. La performance de ce pays en fait le phare d’un idéal de liberté moderne.  Ce pays propage son rêve américain de liberté à travers le monde. Toutefois, le mode de vie américain conduit à un délire de consommation insoutenable pour notre environnement.

En Amérique du Nord, le modèle économique sucre blanc domine l’économie. Toutefois un modèle économique sucre d’érable a émergé des contacts entre Français et Autochtones.  Un modèle économique imprégné des traditions autochtones, un modèle plus bienveillant, plus en harmonie avec l’environnement.  Ce modèle représente une autre vision de la liberté, une liberté lucide recherchant davantage l’équilibre avec son milieu de vie.

Aujourd’hui, le Québec représente ce modèle économique sucre d’érable avec plus de 70 % de la production mondiale de sirop d’érable. Ce modèle économique sucre d’érable fut à la source de l’Amérique d’aujourd’hui. Par sa manière d’être, le Québec porte toujours l’esprit de liberté lucide de l’Amérique. Le présent ouvrage tente de mettre en lumière l’histoire voilée des gens d’origine française, qui recherchant la liberté en Amérique, ont embrassé la culture autochtone.  Les colons français se sont ainsi rapidement « ensauvagés ». On les a alors appelés «Canadiens » pour les distinguer des Français qu’ils n’étaient déjà plus. Leur histoire ne fut jamais mise en valeur par l’élite française. Par la suite, le Conquérant anglais fidèle à la Couronne s’est approprié leur nom, leur hymne et leurs symboles pour imaginer un mythe fondateur différent des États-Unis. Malgré cela, le Québec est toujours en train de se réinventer pour être libre.

Tous Pur Sirop reflète l’esprit du Québec où chaque humain est perçu comme de l’eau d’érable à laquelle l’histoire a donné une teinte et une saveur particulière.  C’est cet esprit de liberté lucide de l’Amérique tenu à l’écart de la marche du monde dont cet ouvrage souhaite vous faire prendre conscience. En espérant que tous à travers le monde pourront statuer de la profondeur de leurs racines québécoises.



[1] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p206
[2] Levy, Nigel, Stone Age Columbus (Mais qui étaient donc les premiers américains?), documentaire, BBC, 2002
[3] Menzies, Gavin, 1421, Bantam Edition, 2003, p435
[4] Menzies, Gavin, 1421, Bantam Edition, 2003, p229
[5] Menzies, Gavin, 1421, Bantam Edition, 2003, p115
[6] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995 p.13
[7] Montour, Pierre, Ô Canada ! Au voleur ! Les métis du Québec, Les intouchables, 2003 p96
[8] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995. p.12
[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Sucre en ligne 20 avril 2022
[10] Dupont, Jean-Claude, « Le temps des sucres » Les Éditions GID, 2004

 

 


© Bastien Guérard, 2022