1 – Le peuplement des Amériques

Le côté sucré de la colonisation de l’Amérique

Le profil démographique de la population actuelle de l’Amérique résulte de la prise de Constantinople par l’Empire ottoman de Mehmed II en 1453. Constantinople, porte entre l’Asie et l’Europe pour le commerce des épices et de la soie depuis l’Empire romain, passe aux mains des musulmans, ennemis des chrétiens depuis les Croisades. « Les intermédiaires entre la Chine, les Indes et l’Arabie deviennent d’une insatiable voracité »[1]. L’or, servant de monnaie d’échange, devient rare en Europe. La recherche d’une nouvelle route pour l’accès aux épices et à la soie devient essentielle. Dans cette situation de blocage, toute nouvelle route pour les épices sera très lucrative.  L’investissement dans de grandes expéditions d’exploration devient avantageux.

En plus du côté épicé, il y a également un côté sucré à l’histoire.  Le sucre commence à faire son entrée sur les tables des nobles et des bourgeois d’Europe à la Renaissance.  La demande de cette denrée, provenant du Sud, est en croissance à l’époque dans une Europe dont la nordicité empêche la culture de la canne à sucre. La recherche de site propice à cette culture contribue à l’établissement de colonies en Amérique équatoriale.

La canne à sucre a ses origines dans le Sud-est asiatique et les îles du Pacifique.  Des traces de sa culture remontent au début de l’agriculture, il y a plus de 10 000 ans. Les conquêtes d’Alexandre le Grand en Inde firent connaître cette plante en Occident. Toutefois, son usage demeure marginal.  Par coutume, le miel demeure la substance utilisée pour sucrer les aliments.  La culture de la canne à sucre prend son expansion en Inde où une méthode de raffinage pour purifier et cristalliser le produit en sucre blanc y est développée vers l’an 350 sous la dynastie des Gupta. Demeurées un produit exotique jusqu’à la Renaissance en Europe, des cultures de canne à sucre se développent peu à peu dans le sud de l’Italie et de l’Espagne. L’usage du sucre raffiné prend de la popularité auprès de la noblesse et de la nouvelle bourgeoisie en Europe qui veulent ainsi montrer leur richesse. Les découvertes des îles Canaries, Açores et Madère par les Portugais, permettent l’expansion de la culture de la canne à sucre dans ces îles.  Ces nouveaux territoires favorisent l’atteinte d’excellent rendement dans une industrie qui importe des esclaves de la côte africaine toute proche. Le mot esclave est un dérivé de slave, en référence aux pays slaves d’où provenait la majorité des esclaves d’Europe à l’époque de l’Empire romain. La dynamique économique du monde change avec la culture de la canne à sucre dans ces îles au large de l’Afrique.

L’accessibilité plus grande à cette denrée alimentaire conduit au développement de son usage et par effet d’entraînement à l’augmentation de sa demande. La découverte des Antilles en Amérique, lieu propice à la culture de la canne à sucre, devient d’une importance stratégique pour l’enrichissement des monarchies européennes. La prospérité liée à la culture de la canne à sucre commence à influencer l’histoire du monde. Au-delà du chocolat, la gourmandise pour des friandises gouverne de plus en plus la destinée de notre monde suite à la découverte de l’Amérique. La dominance humaine s’impose sur la planète grâce à l’efficacité croissante des outils pour asservir un environnement autrefois farouchement sauvage.

Le modèle économique développé dans les îles Canaries est reproduit aux Antilles, puis dans les Amériques par les principales puissances colonisatrices européennes : Portugal, Espagne, Hollande, France et Angleterre. Bien que la production de sucre demeure un élément d’une grande importance commerciale encore de nos jours, tant pour les fortunes qu’elle a générées que pour ses impacts sociaux, d’autres denrées influencent la colonisation européenne de l’Amérique.  Dans la région de Terre-Neuve, la pêche à la morue pratiquée par les Basques et les Bretons entraîne l’échange de produits avec les autochtones.  Les autochtones offraient des fourrures aux pêcheurs en échange d’outils européens. Ce commerce de la fourrure conduit à la création de la Nouvelle-France, puis de la Nouvelle-Hollande en réponse à cette concurrence brisant la situation monopolistique hollandaise avec la Russie.

En plus de la fourrure, cette région recèle une denrée alimentaire sucrée inconnue de l’Ancien Monde, l’eau d’érable. L’eau d’érable produit un sucre d’une grande qualité à la saveur sublime. L’érable à sucre (Acer Saccharum) est présent dans le nord-est de l’Amérique du Nord autour des Grands Lacs jusqu’à la Côte-Est et les Provinces Maritimes en passant par le Québec. Sa distribution géographique embrasse en grande partie le bassin du fleuve Saint-Laurent sur lequel prendra forme la Nouvelle-France.  Le fleuve Saint-Laurent, qui draine l’ensemble des Grands Lacs, sans compter les multiples rivières qui s’y déversent, est un des bassins hydrographiques majeurs de l’Amérique du Nord. Pénétrant au cœur du continent, il représente la grande porte d’entrée pour le commerce de la fourrure. L’Ancien Monde demeure indifférent au sucre d’érable; un sucre naturel de grande qualité, mais jamais totalement blanc.  La vision économique et les standards sociaux de l’Ancien Monde favorisent la culture industrielle de la canne à sucre dans les Antilles esclavagistes pour produire un sucre bon marché d’une pure blancheur.

L’Europe n’aura d’intérêt que pour le commerce de la fourrure. Par contre du côté des autochtones, l’échange de fourrures contre des chaudrons de fer révolutionne le raffinement de l’eau d’érable.[2] Basé à Québec à l’embouchure du Saint-Laurent, le réseau français de la traite de la fourrure s’imbrique dans les routes commerciales amérindiennes pour des raisons en partie gastronomiques. Les Amérindiens intéressés par les haches, couteaux et casseroles invitent les Français à s’établir chez eux, comme en 1633, le chef algonquin Capitanal vient à Québec rencontré Champlain pour l’inviter à ouvrir un poste de traite à Trois-Rivières.[3] Donc, le spectacle de la Fête nationale du Québec en 2020 a eu lieu sur un territoire autochtone concédé volontairement.

Les autochtones de la région du Nord-Est américain célébraient le printemps avec l’arrivée du temps des sucres lorsque la sève de l’érable remontait pour redonner vie à l’arbre. « Pour les Objibwés, le temps des sucres, c’était le mois du sucre ou la lune d’érable. »[4] L’eau d’érable avait divers usages tant pour la santé que pour l’alimentation, spécialement comme eau de cuisson du gibier. Les autochtones, en plus des produits sucrés de l’érable, produisent également du vinaigre d’érable. Avant l’arrivée des Européens, de multiples usages sont faits de l’érable, même médicinaux. Dans leurs croyances spirituelles, ces premiers habitants considèrent que tous les objets créés ont reçu un souffle de vie.  Ainsi porteurs de ce souffle de vie, les objets matériels, les animaux ou les plantes peuvent « transmettre eux-mêmes de la vie ou en corriger une vie défaillante. »[5]  L’érable et ses produits dérivés font partie de la pharmacie autochtone pour veiller à leur bien-être.

La création des principaux produits de l’érable que nous connaissons aujourd’hui (sirop, tire, sucre) par la transformation de l’eau d’érable illustre l’intégration mutuelle des connaissances et des techniques entre les colons français et leurs alliés amérindiens. Les Amérindiens transformaient l’eau d’érable en fonction des technologies disponibles. Les peuples nomades la faisaient bouillir avec des pierres chaudes dans des contenants de bois pour l’évaporation de l’eau, d’autres nations plus sédentaires, « comme les Hurons et les Iroquois utilisaient un chaudron de terre cuite suspendu au-dessus d’un feu. »[6] Les peuples sédentaires pouvaient utiliser des vases de terre plus lourds.[7] Dans ce contexte technologique, l’accès aux chaudrons de fer en échange de fourrures devait vraiment être considéré comme très avantageux. Par contre, l’adoption rapide de chaudrons de fer rend plus mystérieux les types de transformation de l’eau d’érable en usage chez les autochtones avant le contact avec les Européens.  Le sucre d’érable n’aurait été réalisé qu’à la suite de l’acquisition de chaudron de fer.

En plus du chaudron, l’arrivée de la hache en fer modifie l’exploitation de l’érable grâce à sa plus grande maniabilité pour faire des entailles. Les techniques d’entaille et d’exploitation de l’eau d’érable varient grandement d’une nation à l’autre en fonction du mode de vie.  Les techniques de récolte de l’eau d’érable de groupes autochtones ne conviendraient pas aux amis des arbres d’aujourd’hui.  Certains avec une hache de pierre fendaient profondément les érables pour tirer un maximum d’eau d’érable d’un seul arbre.  Souvent les blessures infligées à l’arbre s’avèrent fatales pour ce dernier. D’autres Amérindiens ne font que des entailles à la hache puis placent « des goutterelles de bois, petites lamelles enfoncées au bas des arbres, permettaient l’écoulement de l’eau recueillie dans un récipient d’écorce (mokuk), de bois ou de céramique posé à même le sol. »[8]

Le développement des variétés de produits de l’érable que nous connaissons aujourd’hui a émergé suite à l’arrivée des Français grâce à l’usage de chaudrons en fer facilitant la transformation du produit par les autochtones. Il serait difficile de dire à quel point le commerce des fourrures en échange de chaudrons de fer pour faire bouillir l’eau d’érable a influencé l’établissement de la Nouvelle-France. Nous ne pouvons que constater que l’aire de répartition de l’érable à sucre se confond en grande partie avec l’ancien territoire de la Nouvelle-France. Dans cette relation d’échange, l’influence mutuelle de cette denrée alimentaire n’a pas le même poids que le commerce de la fourrure, mais elle a certainement une influence dans les échanges culturels entre les peuples l’intégrant dans leur alimentation.

Aire de répartition de l'érable à sucre en comparaison au territoire de la Nouvelle-France en 1713

Bien que Louis XIV raffolât des dragées au sucre d’érable confectionnées par Agathe de Repentigny à Montréal, son bon goût ne semble pas s’être transmis pour en faire un produit recherché sur le marché européen. Sans débouché commercial, la production de sucre à partir de l’eau d’érable demeure marginale au début de la colonie.  Elle ne peut faire compétition à la production de masse du sucre blanc raffiné dans les Antilles bercées dans des mers chaudes où le commerce maritime est possible à longueur d’année. En Nouvelle-France le commerce maritime est interrompu huit mois par an. Les conditions climatiques rendent laborieux le développement de cette colonie. Le fleuve Saint-Laurent, par son entrée plus au nord du continent, est scellé dans la glace chaque hiver. Dans une région prise par la glace une grande partie de l’année, jumelée à une navigation périlleuse pour l’accès au fleuve Saint-Laurent où un navire sur trois faisait naufrage,[9] la situation rend difficile toute entreprise commerciale. Par contre, le froid est l’élément essentiel au développement d’animaux à belle fourrure et à la production de sucre d’érable. Le développement du commerce de la fourrure avec les Amérindiens sera le moteur du développement de la Nouvelle-France et l’eau d’érable une denrée prépondérante lors de l’établissement de la culture francophone d’Amérique du Nord.


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[1] Lacoursière, J., Histoire populaire du Québec, Edition septentrion, 1995. p.12

[2] Dupont, Jean-Claude, « Le temps des sucres » Les Éditions GID, 2004

[3] Lacoursière, Jacques, Histoire populaire du Québec, tome 1, Septentrion, 1995 p.62

[4] L.Côté, L.Tardivel, D.Vaugeois, « L’indien généreux, ce que le monde doit aux Amériques » Ed. Boréal, 1992, p. 123

[5] Dupont, Jean-Claude, « Le temps des sucres » Les Éditions GID, 2004, p151

[6] https://quelle-histoire.com/pages/texte-le-sirop-derable-et-ses-sources En ligne 30 juin 2020

[7] Dupont, Jean-Claude, « Le temps des sucres » Les Éditions GID, 2004, p38

[8] Dupont, Jean-Claude, « Le temps des sucres » Les Éditions GID, 2004, p38

[9] Jacques Lacoursière, Épopée québécoise en Amérique, https://www.youtube.com/watch?v=F8jh45hRHJw  En ligne 30 juin 2020


© Bastien Guérard, 2020

Les fruits de la découverte de l'eau d'érable

Chaque groupe amérindien a sa légende sur la découverte de l’eau d’érable.  De toutes les légendes, nous pouvons déduire que c’est par l’observation de la nature que les Amérindiens ont découvert l’usage de l’eau d’érable.   « En effet, lorsqu’une branche d’érable à sucre se casse sous le poids du verglas, la blessure causée coule au printemps. De cette entaille naturelle, la sève suit toujours le même trajet, parfois même jusqu’au pied de l’arbre. Jour après jour, le chaud soleil printanier évapore l’eau et il ne reste finalement qu’une traînée de tire d’érable que les écureuils lèchent avec beaucoup de plaisir. »[1]  Par l’observation du comportement de l’écureuil, les autochtones adoptèrent l’usage de cette eau printanière riche en sucre. Les ressources de la nature sont abondantes, il s’agit de s’arrêter pour regarder ce qui est disponible pour nos besoins essentiels.  C’était une époque où les gens prenaient le temps d’observer la nature pour profiter des possibilités offertes par l’environnement.

Les explorateurs du Nouveau Monde découvrent de nombreuses nouvelles denrées alimentaires cultivées par les autochtones en Amérique, mais l’eau d’érable est unique à une région du continent. Son exploitation n’est pas transposable ailleurs, donc moins intéressante dans une économie impérialiste.  De tous les nouveaux produits que l’Amérique apporte à l’Ancien Monde, les produits de l’érable ne se sont pas démarqués. Ce sucre, si bon, demeura un secret bien gardé et deviendra une ressource stratégique en Nouvelle-France.  Le meilleur sucre au monde fut oublié à la faveur de la colonisation des Antilles au profit de la production de sucre de canne, un produit de moindre qualité à meilleur marché générant plus de profit pour les producteurs.

L’eau d’érable représente les bienfaits de la nature à notre portée en comparaison du sucre blanc industriel, source d’hyperconsommation et d’asservissement. Aujourd’hui les analyses scientifiques n’arrêtent pas de découvrir de nouveaux avantages à la consommation de sucre issu de l’eau d’érable.  Déjà nous savions qu’il contenait des minéraux essentiels comme le potassium, magnésium, phosphore, manganèse, fer en concentration supérieure au miel.  Les plus récentes découvertes identifient des propriétés anti cancérigènes, anti inflammatoires et anti oxydantes. Parmi les 54 composés bénéfiques assignés par une équipe de scientifiques : « Cinq de ces composés sont identifiés pour la première fois dans la nature et sont par conséquent uniques au sirop d’érable. L’un d’eux a été nommé Quebecol en l’honneur du Québec. Il se forme durant le processus d’ébullition qui transforme l’eau d’érable en sirop. »[2] Un honneur bien mérité, le Québec étant le plus grand producteur mondial avec environ 75 % de la production.  Le docteur Navindra Seeram, professeur adjoint en pharmacologie à l’Université du Rhode Island et scientifique responsable de l’équipe de recherche sur le sirop d’érable considère le sirop d’érable comme un super aliment, dans le merveilleux monde du sucre !

À l’exception du sirop d’érable, la découverte de l’Amérique exporte l’usage d’une variété de nouveaux fruits et légumes à travers le monde.  Le maïs, que nous nommons souvent blé d’Inde à cause de l’erreur historique de Christophe Colomb, est sans doute le plus connu et toujours très présent dans notre alimentation. Spécialement à travers le sirop de maïs et autres dérivés composés de glucose et fructose envahissant tous les produits alimentaires industriels.  Le sirop de maïs est nommé sirop de poteau par les Québécois connaisseurs du vrai sirop d’érable. Cette distinction est signe du fossé culturel entre les Québécois et la culture de consommation industrielle des Américains. Comme le maïs, la patate ou la tomate, plusieurs produits alimentaires de l’Amérique marqueront les cultures à travers le monde. Par sa spécificité régionale, l’eau d’érable marque la culture des premiers colons français devenus les Canadiens d’origine.

La variété d’aliments provenant des Amériques adoptés par l’Ancien Monde démontre le fort impact de sa découverte sur les cultures du monde entier. Ce contact entre l’Ancien et le Nouveau Monde engendre une nouvelle richesse dans les cultures culinaires qui deviennent plus planétaires. La pizza italienne, avec sa sauce tomate, n’a pu exister qu’après la découverte de l’Amérique. De même que les sauces aux arachides dans la cuisine asiatique ou encore le chocolat.  Comment vivrait le monde sans chocolat ? Toutes ses denrées alimentaires sont tellement liées à des cultures culinaires de pays, qu’il nous est difficile d’imaginer ce que les gens cuisinaient avant la découverte de l’Amérique.

L’impact se fait sentir non pas seulement sur l’alimentation, mais également dans l’organisation sociale par la modification des cultures de survivance.  Le rendement de certaines cultures en provenance d’Amérique est supérieur à celui des cultures traditionnelles, permettant de nourrir encore plus de personnes par hectare cultivé.  « Le taux de rendement céréalier en France était de 1 pour 1 les mauvaises années et de 6 pour 1 les meilleures années. » [3]  Les Hollandais réussissaient à atteindre 15 pour 1, mais en Amérique avec le maïs le taux de rendement atteint 200 pour 1.  Ce rendement agricole élevé contribue à l’établissement d’une population plus nombreuse en Amérique par rapport à l’Europe avant l’arrivée de Christophe Colomb.

Le mode d’agriculture des autochtones favorisait la productivité et la préservation des ressources.  Dans le nord-est de l’Amérique, la culture mixte des trois sœurs, soit le maïs, la courge et le haricot, reflète bien l’harmonisation des activités humaines avec son environnement par l’intégration des connaissances du milieu. La culture de la courge par ses larges feuilles réduit la capacité de développement des mauvaises herbes et conserve l’humidité du sol, la tige du maïs en grandissant sert de support à la culture des haricots.  En grimpant vers le soleil, les haricots fixent l’azote dans le sol, ce qui bénéficie à la croissance des courges et du maïs. [4] Le maïs et les haricots fournissent les acides aminés essentiels au corps humain. Ce type d’agriculture revient à la mode aujourd’hui dans le contexte de préservation de la biodiversité et de l’optimisation des ressources de la Terre.

Les richesses des Amériques ont été exploitées dans les Vieux continents principalement en fonction de coutumes et de cultures proprement européennes, asiatiques ou africaines.  Pour bien démontrer la révolution alimentaire que la découverte de l’Amérique a engendrée, rappelons que haricot, tomate, patate, arachide, piment, maïs, courge, citrouille, fève, fruit de la passion, quinoa ou chocolat sont tous des aliments développés dans les Amériques pendant l’époque précolombienne et sont aujourd’hui totalement intégrés dans les cultures des vieux continents.  Les découvertes agroalimentaires se sont répandues dans le monde en fonction de l’adaptabilité du produit à son climat et d’un point de vue commercial au bénéfice des populations locales. Cette conjoncture reflète également toute la connaissance perdue des cultures précolombiennes. Nous avons pris les fruits, mais avons oublié les fruits de la connaissance que ses peuples avaient développée comme dans la culture mixte des trois sœurs. Aujourd’hui nous redécouvrons cette technique que nous nommons permaculture !

Dans toute cette saga de l’impact des denrées alimentaires de l’Amérique sur le reste du monde, les produits de l’érable demeurent une ressource locale. Il fallait venir sur place, avoir l’ouverture d’esprit envers les autochtones pour que ceux-ci partagent l’art d’extraire l’eau d’érable au printemps.  Contrairement aux autres colonisateurs, les Québécois ou les Canadiens d’origine ont appris cette culture culinaire directement des autochtones.  Par cette relation particulière avec la culture profonde du Nouveau Monde, ils ont été imprégnés plus que toutes les autres nations de la planète de la culture amérindienne.  L’intégration rapide par les colons français du savoir-faire autochtone transforme ses gens plus que tous les autres peuples colonisateurs en Amérique.  Plus que tout autres nouveaux arrivants sur le continent, les Canadiens d’origine sont allés à la source de ce monde de liberté et de richesse que représente l’Amérique à l’époque amérindienne.  Et la clé du secret de l’Eldorado en Amérique réside dans cette eau d’érable.

Source : Édifice Mont-Royal/Papineau, photo Bastien Guérard


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[1] https://grandquebec.com/histoire/histoire-sirop-erable/  En ligne 30 juin 2020

[2] Normandin, Céline, « Le sirop d’érable, aliment aux mille vertus? » La Terre de chez nous. En ligne 19 septembre 2014 https://www.laterre.ca/le-sirop-derable-aliment-aux-mille-vertus/

[3] Delâge, Denys, Le Pays renversé, Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1665, Boréal, 1991, p58

[4] http://www.virtualmuseum.ca/sgc-cms/expositions-exhibitions/iroquoiens-iroquoians/vie_saisons_trois_soeurs-seasonal_life_three_sisters-fra.html  En ligne 30 juin 2020


© Bastien Guérard, 2020

D’où nous viennent les Amérindiens?

Nous avons tous appris que les peuples autochtones présents avant l’arrivée des Européens en Amérique sont passés par la Béringie, à savoir le détroit de Béring entre la Sibérie et l’Alaska lorsque ce dernier était asséché, entre 10 000 et 12 000 ans av. J.-C.  Toutefois, en regardant la tête d’anciens chefs autochtones, comme Maȟpíya Lúta, mieux connu sous le nom de Red Cloud, nous recherchons en vain son apparence asiatique. De nouvelles fouilles archéologiques relatives à l’émergence de la présence humaine en Amérique remettent en question cette colonisation unique par le détroit de Béring.

Maȟpíya Lúta - Red Cloud - Nuage rouge

Nuage Rouge
Source : Charles Milton Bell - http://www.sd4history.com/Unit4/redcloud.htm, Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=40956735

Aux États-Unis, des pointes de flèches trouvées à Clovis au Nouveau-Mexique ont mené à soupçonner l’arrivée des premiers humains en Amérique vers 20 000 ans av. J.-C. Toutefois, ce type de pointe de flèche préhistorique a été retrouvé également en Europe.  Le peuple solutréen façonnait avec une technique similaire ses pointes de flèche. Il s’est épanoui dans le sud-ouest de la France et dans le nord de l’Espagne entre 22 000 et 17 000 ans av. J.-C. Une période de l’époque glaciaire où certains scientifiques pensent qu’il y avait une jonction sur l’Atlantique de la masse glaciaire européenne et américaine.  En utilisant les mêmes méthodes que les Inuits actuels pour se déplacer sur la banquise, des Solutréens auraient, en faisant du cabotage à la limite des glaces, traversé l’Atlantique.  En considérant que les Solutréens devaient avoir un mode de vie similaire à celui des Inuits actuels, ce périple aurait été possible en se nourrissant des produits de la mer.

Cette hypothèse avancée par Dennis Stanford et Bruce Bradley de la Smithsonian Institute demeure controversée.  L’un des principaux éléments permettant de mettre en doute cette théorie est l’art pariétal absent sur le site Clovis contrairement aux sites solutréens en Europe où de nombreuses cavernes regorgent de peinture. Toutefois, la colonisation américaine est le fait de petits groupes d’individus, de telle sorte que leur lente dispersion à travers un vaste continent ne laisse pas autant de traces que la forte concentration des populations européennes. Le second élément de controverse est la différence de datation de 5 000 ans entre les artéfacts trouvés sur les sites européens et celui de Clovis en Amérique.  Les sceptiques de la colonisation européenne de l’Amérique à l’époque préhistorique avancent qu’une technique similaire aurait pu se développer des deux côtés de l’Atlantique à deux époques différentes.  Comme l’agriculture s’est développée à divers endroits dans le monde.  Mais, l’agriculture s’est développée avec des plantes et des approches différentes en fonction des régions, ce qui n’est pas le cas avec les outils de silex du site de Clovis et ceux des Solutréens en Europe.  Ils sont basés sur la même technique de coupe.  Dans leurs recherches, Stanford et Bradley n’ont pas identifié de technique similaire à celles des peuples Clovis ou Solutréens chez les peuples originaires d’Asie ayant pris le chemin de l’Amérique par la Béringie. Cette méthode spécifique de taille de silex n’avait été développée que dans le sud-est de l’Amérique du Nord et dans l’Ouest européen jusqu’à la découverte d’une pointe de silex en Virginie. Cette nouvelle pointe de 2 500 ans plus vieille que la pointe de Clovis comble le fossé entre les Solutréens et les Clovis.  Sa méthode de confection est plus proche de celle des Solutréens que des Clovis démontrant l’évolution de la technique de taille de silex en sol américain.[1]

Des sources génétiques viennent confirmer la thèse de la colonisation de l’Amérique par les Solutréens.  Notre science en constante évolution permet aujourd’hui à l’aide de marqueurs génétiques de suivre les migrations humaines.  Dans les études sur les migrations en Amérique, tous les migrants originaires d’Asie proviennent de quatre lignées différentes, soit A, B, C, D.  Jusqu’à ce que le Dr Douglas Wallace analyse l’ADN d’un Objiwas où il retrouve les quatre lignées asiatiques, mais un quart de l’ADN provient d’une autre source qu’il nomme X.  Suite à l’analyse approfondie de cette lignée, il découvre qu’elle est de souche européenne et date d’environ 15 000 ans. Son analyse génétique confirme qu’une lignée X, d’origine européenne, se retrouve chez des Premières Nations en Amérique.   Des tribus du nord-est de l’Amérique, comme les Sioux et les Ojibwas, seraient porteurs de ce marqueur génétique X.  Cette preuve de la migration européenne vers l’Amérique dans des temps préhistoriques répond à cette interrogation sur les faciès autochtones d’Amérique qui ne semblent pas purement asiatiques, comme celui de Red Cloud qui est justement d’origine Sioux Lakota.

Le tableau des migrations humaines, ci-après, démontre, à l’aide des marqueurs génétiques, des routes de colonisation de la planète à partir de l’Afrique.  Nous retrouvons le marqueur de la lignée X à la frontière des peuples européens du nord s’aventurant par pointillé vers l’Amérique. Il est difficile de confirmer le cheminement de certains marqueurs génétiques à travers les continents sur une longue période historique.  Les catastrophes naturelles, les guerres, les maladies ont pu éliminer la trace de peuple entier dans certaines parties du monde.  Le marqueur M identifiant la migration des humains vers l’Australie semble totalement disparu du continent eurasien, des pointillés marquent le passage du marqueur vers l’Australie, tout comme le marqueur X de l’Europe vers l’Amérique du Nord.

 

Carte des migrations humaines hors d’Afrique

Source: CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=227326

 

Les divers récits des premiers Européens tendent également à confirmer cette hypothèse.  À l’occasion de son voyage de 1536, Cartier se fait certifier par le chef Donnacona qu’à la « terre de Saguenay où il y a d’immenses quantités d’or, de rubis et autres richesses et où les hommes sont blancs comme en France et accoutrés de draps de laine. » [2] Le Saguenay ne devait pas avoir la même localisation qu’actuellement, car ce n’est qu’en 1738 que Pierre de La Vérendrye et ses fils rencontraient des Amérindiens plus blancs que les autres, les Mandanes, dans les plaines du Missouri dans le Dakota. À l’époque, la population est évaluée à 15 000 personnes réparties dans 9 villages. Sédentaires, ils vivent de la culture de la terre et de la chasse aux bisons. [3]

En 1805, l’expédition de Lewis et Clark rencontre, vivant parmi les Mandanes, Toussaint Charbonneau qui sera leur guide vers l’Ouest.  Comme bien des coureurs des bois de l’époque, il vivait parmi les autochtones. Parmi eux, Jean-Baptiste Trudeau, un des rares coureurs des bois à tenir un journal, décrit « des femmes qui sont assez blanches et qui ont les cheveux tirant sur le blond. »[4] Les remarques des membres de l’expédition de Lewis et Clark sur les Mandanes sont également révélatrices : « Le sergent Gass parle d’enfants aux cheveux blonds et le soldat Whitehouse écrit qu’il n’a jamais vu d’indien à la peau si claire ».[5]  À l’époque, ils ne sont plus que 2 000 regroupés dans deux villages.  En 1837, Étienne Provost, envoyé en mission pour constater les ravages des épidémies dans la région, évalue que « la moitié des Arikaras, plus des trois quarts des Pieds-Noirs et les Mandanes au grand complet sont anéantis. »[6]

Les Mandanes semblent avoir été une dernière concentration d’un groupe de peuplement de l’Amérique en provenance d’Europe.  Nous pouvons imaginer qu’à la rencontre d’autres groupes de peuplement, il y a eu métissage entre les groupes sur le nouveau continent.  L’échange de personne entre les tribus était des pratiques communes, entre autres, à l’occasion de guerres. Sacagawea, la femme de Toussaint Charbonneau qui accompagnera l’expédition de Lewis et Clark, était à l’origine une prisonnière Shoshone, une nation au pied des Rocheuses. Selon certaines versions de l’histoire, Toussaint Charbonneau l’aurait gagnée au jeu, cette troisième femme![7] Ce qui semble plus certain, est que l’arrivée d’un peuplement en plus grand nombre en provenance d’Asie, par voie terrestre, semble avoir dissous les traits indo-européens dans les nations autochtones de l’Amérique. L’épopée des Solutréens semble plutôt tenir de la légende tout comme l’énigmatique blancheur des Mandanes, toutefois mises ensemble ses deux histoires trouvent un sens épique.

Aujourd’hui, de nouvelles techniques de recherche entraînent des découvertes captivantes sur l’histoire de la migration humaine vers les Amériques. Les recherches repoussent toujours plus dans le temps les premières traces d’occupation humaine. Aujourd’hui, les recherches laissent à penser que l’arrivée de premiers groupes date d’environ 40 000 ans. Tout comme celles arrivées d’Europe, d’autres personnes seraient venues d’Asie par cabotage sur le bord des côtes pacifiques. Le site de Clovis, découvert en 1932, est devenu la référence dans la datation du peuplement des Amériques évoquant une date charnière entre deux époques il y a environ 12 000 ans. Comme le démontre le graphique ci-dessous, des archéologues et des spécialistes de la migration humaine soupçonnent plusieurs autres peuplements précédant la grande vague ayant passé par le détroit de Béring.  Les possibilités de migration s’ouvrent sur de nouvelles provenances de colonisation qui sont européennes, africaines et même australiennes.

Carte de datation de sites archéologiques dans les Amériques

Source : Pratyeka — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=61647077

À une époque lointaine, un maillage entre les divers peuplements aurait donné naissance aux nations autochtones d’Amérique. À leur arrivée, les Européens les ont tous vus comme des Amérindiens venant d’un autre côté du monde, considérant que leur exploit de la traversée de l’Atlantique aurait été un exploit improbable pour les autochtones. Maintenant, l’histoire d’une migration humaine unique provenant d’Asie est devenue un dogme difficile à briser. Toutefois, la poursuite des recherches sur cette question pour approfondir nos connaissances sur les diverses facettes de l’histoire humaine nous permet de préserver cet esprit d’ouverture qui permit au genre humain de se rendre et de prospérer sur le nouveau continent américain.  Retenons que le concept du melting pot américain n’est pas une création des États-Unis, il a été créé bien avant la fondation de ce pays. Les Amérindiens le vivaient pleinement, à l’arrivée de la colonisation européenne.  Contrairement aux autochtones d’Amérique, l’idée du melting pot américain aux États-Unis demeure encore aujourd’hui un idéal difficile à atteindre.


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[1] Levy, Nigel, Stone Age Columbus (Mais qui étaient donc les premiers américains?), documentaire, BBC, 2002

[2] Lacoursière, Jacques, Histoire populaire du Québec, tome 1, Septentrion, 1995 p.22

[3] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p207

[4] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p206

[5] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p206

[6] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p340

[7] Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine, Ils ont couru l’Amérique, Lux, 2014 p206


© Bastien Guérard, 2020